Pourquoi il ne sera pas facile de réinitialiser l'horloge iranienne

•	Joe Biden et Kamala Harris se croisent alors que Harris se dirige vers la tribune pour prendre la parole lors d'une campagne au collège Alexis Dupont à Wilmington. (Dossier/AP)
• Joe Biden et Kamala Harris se croisent alors que Harris se dirige vers la tribune pour prendre la parole lors d'une campagne au collège Alexis Dupont à Wilmington. (Dossier/AP)
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Publié le Lundi 09 novembre 2020

Pourquoi il ne sera pas facile de réinitialiser l'horloge iranienne

Pourquoi il ne sera pas facile de réinitialiser l'horloge iranienne
  • Le retrait de M. Donald Trump du Plan d'action global conjoint (PAGC), autrement connu sous le nom d'Accord sur le nucléaire iranien, a provoqué une onde de choc parmi les ministères des Affaires étrangères du monde entier
  • Biden semble enclin à renouveler le PAGC, ce qui est loin d'être simple

Alors que M. Joe Biden continue de se rapprocher de la présidence des États-Unis, le moment est propice pour examiner la manière dont la nouvelle administration américaine pourrait percevoir l'Iran.

Le retrait de M. Donald Trump du Plan d'action global conjoint (PAGC), autrement connu sous le nom d'Accord sur le nucléaire iranien, a provoqué une onde de choc parmi les ministères des Affaires étrangères du monde entier. Il a avancé un argument valable selon lequel l'accord de 2015 était loin d'être parfait. Cependant, cet accord limitait la capacité de l'Iran à produire des armes nucléaires en suspendant la plus grande partie de son programme nucléaire et en limitant sa capacité à enrichir l'uranium, sous une supervision internationale rigoureuse. Le PAGC a été signé par les P5+1 (membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, plus l'Allemagne) d'une part et l'Iran d'autre part. En effet, les Européens étaient particulièrement attachés à cet accord ; les hauts représentants successifs de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ont été étroitement impliqués dans les négociations, tout comme les ministres des Affaires étrangères de l'Allemagne, de la France et du Royaume-Uni. Comment oublier les nombreuses conférences de presse de l'ancien ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier devant des hôtels suisses au bord du lac Léman en plein hiver ?

Quand Trump a renoncé à l'accord en 2018, les Européens ont tenté de convaincre Téhéran de respecter sa part du marché, chose qu'il a faite pendant une période étonnamment longue.

Biden semble enclin à renouveler le PAGC, ce qui est loin d'être simple. Il est bien conscient de ses lacunes, et la rumeur dit qu'il souhaite renforcer l’accord. Pourtant, de nouvelles réalités économiques et politiques ont émergé depuis l'été 2018.  Les sanctions américaines ont frappé l'Iran de plein fouet. La production de pétrole a chuté de 3,8 millions de barils par jour en juin 2018 à 1,9 million en août 2020, et les exportations sont devenues minimales.

Il est impossible d'éviter la puissance à grande portée du département du Trésor américain lorsqu'il s'agit de mécanismes de paiement. Les Européens ont essayé de concevoir une chambre de compensation libellée en euros qui éviterait de recourir au dollar et permettrait plutôt d'effectuer des paiements en euros. L'instrument d'appui aux échanges commerciaux, ou INSTEX comme on l'appelait, n'a jamais démarré, car toute banque impliquée dans ce mécanisme aurait dû faire face à des sanctions visant ses opérations aux États-Unis. UBS, Commerzbank, Barclays et les autres banques se sont trouvées face à un choix difficile : traiter soit avec la 28e économie mondiale, soit avec la plus importante. Lorsque l'embargo des Nations unies sur les armes iraniennes est arrivé à expiration en octobre, l'Iran s'est réjoui, mais les États-Unis ont imposé de nouvelles sanctions.

Il est vrai que la Russie et la Chine entretiennent des relations commerciales avec l'Iran, mais ce n'est que pour servir leurs propres intérêts au Moyen-Orient. Moscou a ainsi coopéré avec Téhéran pour soutenir Bachar El-Assad en Syrie.

La Chine entend étendre sa puissance économique et géopolitique au Moyen-Orient et en Asie centrale. L'Iran, qui participe à l'initiative « Ceinture et route » (Belt and Road), est également membre observateur de l'Organisation de coopération de Shanghai, une alliance politique, économique et de sécurité eurasienne qui compte parmi ses membres la Chine, la Russie et l'Inde.

La Chine est devenue le plus grand partenaire commercial de l'Iran, avec un chiffre d'affaires de 20,7 milliards de dollars au cours de l'année qui se termine en mars 2020. En outre, l'Iran envisage une coopération économique plus poussée avec la Chine dans les secteurs énergétique, pétrochimique, militaire et maritime.

Quelle que soit la position adoptée à l'égard des avantages (ou non-avantages) du PAGC, l'esprit qui régnait en 2015 sera pour le moins difficile à rétablir.

Cornelia Meyer

Sur le front politique, le régime iranien a fait clairement savoir qu'il n'est pas forcément disposé à réintégrer le PAGC. Il a en effet indiqué qu'il négociait avec les pays concernés, et non avec les administrations américaines qui pourraient changer. Toutefois, les sanctions américaines peuvent adoucir cette position, tout comme les ravages causés par la pandémie de Covid-19.

Néanmoins, le président Hassan Rouhani a misé sa réputation sur le PAGC et sur une prime économique qui est restée sans lendemain. Les prochaines élections iraniennes sont prévues en mai. Il ne reste donc que trois mois à l'administration Biden pour parvenir à un nouvel accord ; si la ligne dure reprend le pouvoir à Téhéran, cela mettra un terme à tout accord nucléaire.

N'oublions pas non plus que, quel que soit le nouveau président américain, la lutte contre la pandémie et la relance économique figureront en tête de sa liste de priorités.

Les Européens, quant à eux, seraient favorables à une réactivation du PAGC. Le Moyen-Orient est la région la plus proche de l'Europe. Pour Bruxelles et les autres capitales européennes, moins de tensions, mieux c'est.

Par ailleurs, les gains géopolitiques de la Russie au Proche-Orient préoccupent l'Europe, et plusieurs dirigeants européens sont inquiets des liens politiques et économiques de plus en plus étroits entre Pékin et Téhéran.

Si la nouvelle administration américaine choisit de s'engager à nouveau dans le PAGC, elle peut tabler sur le soutien du haut représentant de l'UE pour les affaires étrangères, Josep Borrell, et des ministres des Affaires étrangères à Londres, Paris et Berlin.

Tout processus de négociation devrait éviter une faille fatale; le manque d'engagement suffisant avec les pays du Golfe. Si l'Europe se préoccupe de ses voisins, Riyad et Abou Dhabi le sont aussi, et ils sont beaucoup plus proches de Téhéran que toute autre capitale européenne.  Là aussi, de nouvelles réalités ont émergé: les accords d'Abraham permettent à plusieurs pays du CCG de partager plus ouvertement les préoccupations d'Israël au sujet de l'arsenal nucléaire iranien et de l'ingérence régionale.

Quelle que soit la position adoptée à l'égard des mérites (ou les non-mérites) du PAGC, l'esprit qui régnait en 2015 sera pour le moins difficile à rétablir.

 

 

      Cornelia Meyer est une économiste titulaire d'un doctorat, avec 30 ans d'expérience dans le domaine de la banque d'investissement et de l'industrie. Elle est présidente et PDG de la société de conseil aux entreprises Meyer Resources. Twitter : @MeyerResources

 

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