La politique américaine à l'origine de l'enquête du FBI sur le meurtre d'Abu Akleh

Une femme allume une bougie devant une affiche de la journaliste assassinée Shireen Abu Akleh (Photo, AFP).
Une femme allume une bougie devant une affiche de la journaliste assassinée Shireen Abu Akleh (Photo, AFP).
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Publié le Samedi 19 novembre 2022

La politique américaine à l'origine de l'enquête du FBI sur le meurtre d'Abu Akleh

La politique américaine à l'origine de l'enquête du FBI sur le meurtre d'Abu Akleh
  • Abu Akleh a été abattue d'une balle dans la tête par un franc-tireur alors qu'elle couvrait un assaut militaire israélien contre des cibles dans la ville de Jénine, en Cisjordanie
  • Le FBI n'a pas contacté les dirigeants israéliens pour les informer qu'il lançait une enquête sur le meurtre d'Abu Akleh, ce que de nombreux Américains réclamaient depuis six mois

Des sources israéliennes – plutôt qu’américaines – ont annoncé cette semaine que le FBI ouvrait une enquête sur l'assassinat, le 11 mai dernier, de la journaliste palestinienne américaine Shireen Abu Akleh.

Abu Akleh a été abattue d'une balle dans la tête par un franc-tireur alors qu'elle couvrait un assaut militaire israélien contre des cibles dans la ville de Jénine, en Cisjordanie. Elle portait des vêtements qui l'identifiaient clairement comme une journaliste. Il ne fait aucun doute qu'Abu Akleh a été tuée par un soldat israélien, mais, parce qu'il s'agit d'Israël, les faits sont souvent négligés et remaniés dans l'espoir qu'il n'y aura pas de conséquences.

Le président américain, Joe Biden, a insisté en juillet dernier sur le fait qu'il y aurait une «explication complète et transparente» du meurtre d'Abu Akleh. Et le secrétaire d'État, Antony Blinken, a exprimé les préoccupations de l'administration au sujet du meurtre de cette citoyenne américaine lorsqu'il a rencontré la famille d'Abu Akleh à Washington au cours du même mois. Cependant, tout cela s'est passé il y a plus de trois mois et cela fait maintenant six mois qu'elle a été tuée.

Pourquoi cela a-t-il pris autant de temps? En vérité, les États-Unis ont l'habitude d’occulter les choses lorsqu'il s'agit d'Israël, par exemple en mettant leur veto aux résolutions qui critiquent Tel-Aviv au Conseil de sécurité des nations unies ou en enterrant les résolutions présentées au Congrès américain par la poignée de membres propalestiniens de la Chambre des représentants.

Tous ces retards et ce manque de justice sont liés à la politique américaine. C'est pourquoi le FBI n'a pas contacté les dirigeants israéliens pour les informer qu'il lançait une enquête sur le meurtre d'Abu Akleh, ce que de nombreux Américains réclamaient depuis six mois. Si Abu Akleh avait été tuée dans n'importe quel autre pays, les enquêtes auraient fait la une des journaux avec de gros titres qui auraient relaté l’indignation des responsables américains, ces derniers exigeant un compte rendu immédiat de la mort.

Mais Biden se préparait à ce que beaucoup attendaient comme des élections difficiles, celles de mi-mandat, la semaine dernière. Ces dernières devaient décider si son parti – démocrate – conserverait le contrôle du Congrès. Habituellement, le parti de l'opposition marque des points importants lors de cette échéance électorale, mais cela ne s'est pas produit cette fois. En raison de l'impopularité croissante de l'ancien président Donald Trump, le parti républicain a subi une défaite catastrophique.

Si Biden avait demandé au FBI d'enquêter sur le meurtre avant les élections de mi-mandat, les résultats auraient pu être très différents.

Ray Hanania

Les démocrates ont conservé le contrôle des cent membres du Sénat, qui gère les nominations du président, et ils n'ont perdu les quatre cent trente-cinq membres de la Chambre que d’une poignée de sièges. Les républicains étaient donc bien loin du pouvoir dont ils avaient besoin pour contrôler les dépenses et initier des changements de politique. Ils sont désormais en train de décider s'ils doivent se débarrasser de Trump et trouver un nouveau leader dans la perspective de l'élection présidentielle de 2024.

Avec ce tsunami politique, Biden est en mesure de faire un peu plus pression sur Israël – le pays qui a plus d'influence sur la politique américaine que tout autre. Si le président des États-Unis avait ordonné au FBI d'enquêter sur le meurtre d'Abu Akleh avant les élections, les républicains, qui sont beaucoup moins critiques à l'égard des politiques abusives et des violations du droit international par Israël, en auraient fait un enjeu électoral et les résultats auraient pu être très différents. La question d'Israël joue un rôle clé dans les élections américaines.

Biden sera toujours confronté à la réticence des députés des deux partis, tant à la Chambre des représentants qu'au Sénat, mais cela n'aura pas d'incidence sur l'élection. Le fait est que moins de la moitié des démocrates du Sénat ont demandé une «implication directe» dans l'enquête sur Abu Akleh ainsi qu'un pourcentage encore plus faible à la Chambre.

Si Biden avait ordonné au FBI d'enquêter sur le meurtre d'Abu Akleh avant les élections, les dirigeants israéliens en colère auraient poussé les républicains à s'opposer publiquement à cette enquête. Mais, même si les élections sont terminées, on peut encore constater l’influence politique d'Israël sur Biden et sur la politique américaine.

Normalement, le FBI devrait publier un communiqué de presse ou tenir une conférence de presse pour annoncer qu'il enquête sur le meurtre d'un citoyen américain dans un pays étranger, mais il ne l’a pas fait cette fois. Au lieu de cela, il a discrètement informé le ministère israélien de la Justice de son intention.

Le ministre israélien de la Défense sortant, Benny Gantz, a déclaré que la décision du FBI était une «grave erreur» et il a insisté sur le fait que le gouvernement israélien «ne coopérera pas». Entre-temps, interrogée sur l'enquête du FBI, la Maison Blanche s'est contentée de répondre que «[ses] pensées» allaient «à la famille Abu Akleh» sans aucune allusion à l'enquête.

L'attention politique des États-Unis est presque entièrement concentrée sur l'échec surprenant des républicains lors des récentes élections. La justice au sujet d’Abu Akleh restera donc entourée d’un flou politique volontaire qui n'aura que des conséquences minimes pour le gouvernement. Ce dernier, en fin de compte, a échoué à défendre les droits d'une Américaine dont la vie a été ôtée par une armée étrangère.

Ne vous attendez pas à ce que l'enquête du FBI débouche sur quoi que ce soit de consistant. Tout ce qu'elle aura pour conséquence, c'est de permettre à Biden de dire à la famille d'Abu Akleh qu'il se penche sur son cas. Il espère également que cela réduira au silence la poignée d'alliés politiques qui ont essayé de demander des comptes à Israël.

En fin de compte, l'Amérique ne critiquera jamais sévèrement Israël, même lorsqu'il assassine l'un de ses propres citoyens.

 

Ray Hanania est un ancien journaliste politique et chroniqueur plusieurs fois primé de la mairie de Chicago. On peut le joindre sur son site personnel à l'adresse www.Hanania.com. Twitter: @RayHanania

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.