Point de basculement historique atteint entre l’UE et la Chine

Les ouvertures chinoises vers l'Europe arrivent avec une contrepartie claire (Photo, AFP).
Les ouvertures chinoises vers l'Europe arrivent avec une contrepartie claire (Photo, AFP).
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Publié le Lundi 02 janvier 2023

Point de basculement historique atteint entre l’UE et la Chine

Point de basculement historique atteint entre l’UE et la Chine
  • La visite à Pékin du chancelier allemand a reflété l'importance des liens commerciaux entre l'Allemagne et la Chine
  • Le réchauffement climatique est une question sur laquelle les deux parties entretiennent depuis longtemps un dialogue largement constructif

Alors que le président français, Emmanuel Macron, se prépare à son grand voyage en Chine pour la nouvelle année, un énorme débat est en gestation en Europe sur la politique du bloc à l'égard de Pékin, qui pourrait bien avoir atteint un point de basculement historique.

Macron sera la dernière grande personnalité européenne à se rendre en Chine ces derniers mois. Fin novembre et début décembre, le président du Conseil européen, Charles Michel, était à Pékin. Sa visite intervient après celle d’Olaf Scholz, au mois de novembre. Elle s'est déroulée dans un contexte de divisions intraeuropéennes relatives à la Chine.

La visite du chancelier allemand, la première d'un dirigeant du G7 en Chine depuis le début de la pandémie de Covid-19, a reflété l'importance des liens commerciaux entre l'Allemagne et la Chine. Cette année, pour la seule période courant de janvier à juin, les entreprises allemandes ont investi plus de 10 milliards d'euros, soit 10,6 milliards de dollars, en Chine, selon l'Institut économique allemand.

Bien que le voyage se soit déroulé sans incident, il a laissé la sensation d'un clivage intra-Union européenne, voire intraoccidental, des positions vis-à-vis la Chine. L'Allemagne, notamment sous la longue chancellerie du prédécesseur de Scholz, Angela Merkel, a longtemps été le principal défenseur de l'engagement économique européen, et plus largement occidental, avec Pékin.

Cette stratégie allemande de longue date à l'égard de la Chine a toutefois fait l'objet de critiques beaucoup plus vives depuis le départ à la retraite de Mme Merkel. L'impression que Scholz pourrait chercher à conserver intacte une grande partie de sa politique chinoise a été largement critiquée. Par exemple, Ivo Daalder, ancien ambassadeur des États-Unis auprès de l'Otan sous l'ère Obama, a averti que l'Allemagne «se dirigeait vers une collision» avec l'administration du président Joe Biden.

Si l'atmosphère diplomatique qui entoure ces récents voyages européens a été globalement optimiste, les relations bilatérales ont été ébranlées depuis le début de la crise du coronavirus, avec un pic de tension significatif qui n'a pas été adouci par le soutien de la Chine à la Russie au sujet de l'Ukraine.

La liste des questions sur lesquelles Pékin et Bruxelles sont en désaccord ne s'allège pas. Parmi elles, on trouve l'imposition d'une loi sur la sécurité nationale à Hong Kong, les violations présumées des droits de l'homme au Xinjiang ainsi qu’un accord global sur l'investissement négocié de longue date entre la Chine et l'Union européenne (UE) dont la ratification est actuellement «gelée».

Ces défis s'inscrivent dans un contexte où M. Michel et d'autres fonctionnaires de l'UE à Bruxelles estiment qu'il est clairement nécessaire de renforcer une stratégie commune à l'échelle européenne à l'égard de la Chine dans la mesure où des fonctionnaires chinois de haut rang ont engagé des discussions bilatérales avec un large éventail de pays membres de l'UE au cours des derniers mois.

Les Européens redoutent depuis longtemps que l'accent mis par la Chine sur le continent en matière de politique étrangère ne vise à diviser et régner, sapant ainsi les intérêts collectifs de l'UE.

Prenons l'exemple de l'initiative chinoise appelée «Belt and Road» («La ceinture et la route», également désignée par l’acronyme anglais «BRI», NDLR). De nombreux États membres de l'UE, dont la Croatie, la République tchèque, la Hongrie, la Pologne, la Grèce, Malte, le Portugal et l'Italie, membre du G7, y ont adhéré. Pourtant, Bruxelles avait émis une longue liste de réserves à l'égard de ce projet, notamment parce que la lenteur présumée de Pékin à la perspective d’ouvrir sa propre économie fait naître des frustrations, et parce qu’on a assisté à une vague de rachats d'entreprises européennes par la Chine dans des secteurs clés.

 

Ainsi, malgré la prolifération des pressions, il n'est pas encore inévitable que les relations se détériorent de manière significative. Tant l'UE que la Chine peuvent encore tirer profit d'un partenariat approfondi sur des questions essentielles.

Andrew Hammond

 

Des tendances clés se dégagent de plus en plus des interventions extérieures de la Chine en Europe. Par exemple, il est de plus en plus évident que Pékin adapte son approche aux besoins spécifiques de chaque État ou bloc de pays. En outre, les ouvertures chinoises vers l'Europe s'accompagnent d'une contrepartie claire, comme en témoigne la signature de la BRI par les pays en échange d'investissements chinois.

Si Charles Michel a envoyé au président chinois Xi Jinping des messages clairs et percutants sur ces questions, lui et d'autres dirigeants européens ne veulent pas renoncer aux autres avantages des relations. Les deux parties souhaitent donc essayer de mettre l'accent sur les domaines d'intérêt commun et de coopération, notamment sur le multilatéralisme économique et sur les efforts de lutte contre le changement climatique.

Sur le premier point, la Chine espère toujours que l'accord global sur les investissements pourra être conclu, malgré l'opposition de l'administration Biden. Toutefois, la perspective d'une ratification qui tombe dans les oubliettes de Bruxelles s'accroît.

Comme l'ont montré les discussions de la Conférence des nations unies sur le changement climatique (COP27), en Égypte, le réchauffement climatique est une question sur laquelle les deux parties entretiennent depuis longtemps un dialogue largement constructif. L'une des raisons pour lesquelles les discussions bilatérales sur le changement climatique ont, la plupart du temps, été si coopératives réside dans le fait que, fondamentalement, les deux parties partagent la vision d'un avenir prospère et sûr sur le plan énergétique dans un climat stable, et qu’elles reconnaissent la nécessité d'une collaboration pour y parvenir.

Leur accord bilatéral de 2015, par exemple, prévoyait d'intensifier la coopération en matière de politiques nationales environnementales, de marchés du carbone, de villes à faible émission de carbone, d'émissions de gaz à effet de serre des secteurs aérien et maritime, et d'hydrofluorocarbures.

Grâce à une vision et à un engagement appropriés, Xi Jinping et ses homologues européens reconnaissent que l'accélération de la transition vers un avenir à faible émission de carbone, y compris avec l'échange de droits d'émission et le soutien de la croissance économique en Chine ainsi qu’en Europe représentent une opportunité potentiellement importante pour les deux parties.

Ainsi, malgré les pressions qui se multiplient, il n'est pas encore inévitable que les relations se détériorent de manière significative. L'UE et la Chine ont encore tout à gagner d'un partenariat approfondi sur ces questions essentielles.

Cependant, la politique pourrait ne pas le permettre et il est probable que beaucoup de choses dépendront désormais de l'évolution du conflit en Ukraine, avec cette question, notamment: jusqu'où pourrait aller Pékin pour soutenir Moscou?

 

Andrew Hammond est un collaborateur de LSE Ideas à la London School of Economics.

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com