Les périls d'un éventuel retour à la «normalité»

Le vice-président Joe Biden et sa femme Jill avec le Premier ministre Benjamin Netanyahu et sa femme Sara à Jérusalem le 9 mars 2016. (Reuters)
Le vice-président Joe Biden et sa femme Jill avec le Premier ministre Benjamin Netanyahu et sa femme Sara à Jérusalem le 9 mars 2016. (Reuters)
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Publié le Samedi 21 novembre 2020

Les périls d'un éventuel retour à la «normalité»

Les périls d'un éventuel retour à la «normalité»
  • Oui, le monde est « de retour à la normale » maintenant que Biden a vaincu Trump. C'est du moins ce que la majeure partie des médias et de la gauche souhaitent vous faire croire
  • Nombreux sont ceux qui diront que M. Biden ravivera l'espoir d'aboutir à la paix sans jamais la faire progresser

En politique américaine, tout change et rien ne change, surtout en ce qui concerne le Moyen-Orient.

Le président élu Joe Biden a engagé cette semaine une conversation très amicale avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Le premier a assuré le second qu'Israël est l'allié le plus proche de l'Amérique et que le soutien américain à la région ne changera pas. Dans un communiqué de presse, l'équipe de transition de M. Biden a déclaré que « le président élu a tenu à remercier le Premier ministre pour ses félicitations et a réitéré son soutien indéfectible à la sécurité d'Israël et à son avenir en tant qu'État juif et démocratique ». Le communiqué ne fait aucune mention des centaines de colonies illégales qu'Israël continue à construire dans les territoires occupés.

L’Autorité palestinienne a également publié une déclaration qui montre qu'elle est moins contrariée par la politique du président Donald Trump que par lui personnellement. Le président Mahmoud Abbas a annoncé que l'Autorité palestinienne (AP) reprendrait sa « coopération en matière de sécurité » avec Israël, qu'elle avait interrompue en mai pour contester le plan de Netanyahu, visant à annexer de grandes parties de la Cisjordanie et qui était soutenu par Trump.

je considère que le statu quo n'est rien d'autre qu'une poudrière de violence potentielle, un géant endormi qui, si on le réveille, ne fera que noyer toutes les parties dans une plus grande souffrance

Ray Hanania

Les médias principaux ont poussé un soupir de soulagement collectif, et ont salué la victoire de Biden sur Trump et le changement de gouvernement imminent ; des évènements qui montrent comment l'ordre mondial peut retrouver la situation qui prévalait avant l'élection de Trump en 2016. Le retour à la « normale » dans ce cas précis apaisera les inquiétudes au sujet de l'argent. En outre, restaurer les liens de sécurité permettra de relancer le transfert des recettes fiscales de 108 millions de dollars par mois d'Israël vers les Palestiniens, dont l'Autorité palestinienne pourra se servir pour payer ses employés. Par ailleurs, M. Biden a promis de débloquer des millions de dollars destinés aux Palestiniens que M. Trump avait suspendus. Le président élu exercera également des pressions pour rouvrir le bureau diplomatique de la Palestine à Washington, qui avait été fermé par M. Trump et le secrétaire d'État Mike Pompeo.

Oui, le monde est « de retour à la normale » maintenant que Biden a vaincu Trump. C'est du moins ce que la majeure partie des médias et de la gauche souhaitent vous faire croire. Mais ce retour apparent à la normalité constitue une véritable menace pour les populations du Moyen-Orient. En effet, la « normale » a sombré dans le passé dans la violence, les violations des droits civils et a souffert des lois israéliennes qui discriminaient la population non juive du pays ou opprimaient les habitants de la Cisjordanie qui vivent sous l'occupation militaire.

La normalisation que M. Biden entend restaurer n'est pas moins moche que les politiques critiquées de M. Trump.

Certains Arabes, et notamment les activistes, semblent favorables à un statu quo qui s'aligne sur ce qui leur paraît acceptable. Mais comment peut-on accepter le statu quo de non paix ? À vrai dire, de nombreux militants en vivent.

Ne comptez pas sur M. Biden pour parvenir à un véritable accord de paix entre les Palestiniens et les Israéliens après sa prestation de serment. Il ne le fera pas. Par contre, Biden sortira probablement le Moyen-Orient de la politique de Trump, qui a fait signer trois accords de normalisation entre Israël et les Émirats arabes unis, le Bahreïn et le Soudan. Nous reviendrons plutôt à la situation antérieure où le statu quo était gelé - une situation qui oscille entre la paix et le conflit.

Il s'agit d'une situation qui a permis aux Israéliens de vivre dans les territoires qu'ils ont violemment volé aux chrétiens et aux musulmans, alors que les chrétiens et les musulmans, eux, ont appris à vivre soit comme des citoyens de seconde classe en Israël, soit sans droits comme victimes de l'apartheid israélien dans les territoires occupés.

Les Israéliens seront ravis de revenir à une situation où rien ne bouge et rien ne progresse. Il y aura de la violence, certes, mais pas assez pour mettre leur vie en péril. Israël pourra à nouveau tuer et arrêter des Palestiniens et confisquer leurs terres, sans en subir les conséquences. Les gens pourront trouver un endroit pour survivre, mais sans jamais réellement résoudre leurs problèmes.

L'Autorité palestinienne considère que cette situation lui permettra de continuer à survivre et à travailler. Israël se réjouit de la maintenir tant qu'il conservera un contrôle militaire et légal sur les non-juifs.

Nombreux sont ceux qui diront que M. Biden ravivera l'espoir d'aboutir à la paix sans jamais la faire progresser. Personnellement, je considère que le statu quo n'est rien d'autre qu'une poudrière de violence potentielle, un géant endormi qui, si on le réveille, ne fera que noyer toutes les parties dans une plus grande souffrance.

Ray Hanania est un ancien journaliste politique et chroniqueur à l'hôtel de ville de Chicago. Il est joignable sur son site web à l'adresse www.hanania.com.

Twitter: @RayHanania

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com