Soixante après le traité de l’Élysée, l’amitié franco-allemande indispensable à l’avenir de l’UE

L’alliance franco-allemande revêt une importance primordiale pour l’Europe (AFP).
L’alliance franco-allemande revêt une importance primordiale pour l’Europe (AFP).
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Publié le Lundi 23 janvier 2023

Soixante après le traité de l’Élysée, l’amitié franco-allemande indispensable à l’avenir de l’UE

Soixante après le traité de l’Élysée, l’amitié franco-allemande indispensable à l’avenir de l’UE
  • L’alliance franco-allemande reste très importante en Europe, mais s’inscrit dans un nouveau cadre, soixante ans après la signature du traité de l’Élysée
  • Angela Merkel et Emmanuel Macron n’étaient certainement pas d’accord sur toutes les questions, mais formaient de manière générale un duo moteur pour l'UE

Pendant une grande partie de l’après-guerre, l’Allemagne et la France ont été les moteurs d’une intégration européenne toujours plus étroite. Pourtant, soixante ans après la signature du traité historique de l’Élysée, ce processus se déroule dans un contexte profondément différent.

Lorsque le traité de l’Élysée, qui a établi une nouvelle base pour les relations franco-allemandes après des siècles de rivalités et de guerres, a été signé par le président Charles de Gaulle et le chancelier Konrad Adenauer le 22 janvier 1963, la Communauté économique européenne (CEE)  était alors composée de six membres fondateurs: la France, l’Allemagne de l’Ouest, la Belgique, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas. L’objectif initial de la CEE était de réaliser l’intégration économique entre ses États membres, notamment un marché commun et une union douanière.

À l’époque, Harold Macmillan était Premier ministre britannique, Nikita Khrouchtchev chef de l’Union soviétique, John Kennedy président des États-Unis et Mao Zedong dirigeait la Chine. En janvier 1963, le général De Gaulle s’opposait également à l’adhésion du Royaume-Uni à la CEE.

Six décennies plus tard, l’Union européenne (UE) compte actuellement 27 États membres, l’Allemagne de l’Est et de l’Ouest ont été réunifiées (1990), le Royaume-Uni a à la fois rejoint (1973) puis quitté (2020) le club européen et l’Union soviétique a disparu du paysage géopolitique (bien que la Russie continue de défier l’ordre mondial, comme le montrent les événements récents en Ukraine).

Dans ce monde transformé, l’alliance franco-allemande reste très importante en Europe, mais s’inscrit dans un nouveau cadre soixante ans plus tard.

«L’intégration européenne continue d’être, pour Berlin et Paris, un projet qui leur tient à cœur» - Andrew Hammond

Entre les deux pays, les relations entre l’actuel président français, Emmanuel Macron, et le chancelier allemand, Olaf Scholz, sont mitigées. Fin octobre, une réunion conjointe des gouvernements français et allemand a par exemple été reportée à la dernière minute en raison de grandes divergences sur l’énergie et la défense. Et une réunion entre MM. Macron et Scholz en décembre a également eu lieu sur fond de tensions.

Il convient aussi de noter ici que depuis la transition politique en Allemagne qui a commencé avec la fin de l’ère Angela Merkel, Emmanuel Macron cherche à équilibrer les liens franco-allemands avec ceux d’autres nations clés. Jeudi, il a par exemple signé un traité d’amitié avec l’Espagne.

Par ailleurs, fin 2021, il a signé le traité dit du «Quirinal» avec l’Italie. Dans le cadre de ce nouveau pacte, la France et l’Italie s’engagent à une plus grande coordination dans les secteurs de la sécurité, de la défense, des migrations, des domaines stratégiques (dont la 5G et l’intelligence artificielle) et de la macroéconomie. Les deux pays assureront également une plus grande coordination avant les sommets des dirigeants de l’UE pour tenter de convenir de positions communes – un processus qui a longtemps eu lieu entre la France et l’Allemagne.

À une échelle plus large, la France et l’Allemagne sont toujours les États les plus puissants de l’UE, avec les plus grandes économies de la zone euro. Cependant, l’équilibre relatif des pouvoirs s’est déplacé sur le continent ces soixante dernières années, notamment au cours des deux décennies où les États d’Europe centrale et orientale ont connu un essor au sein de l’UE, en partie en raison de leur convergence économique avec l’Occident. Par ailleurs, ces États arrivent de plus en plus à tirer parti de leur pouvoir à Bruxelles, notamment au moyen de forums comme le groupe de Visegrád (composé de la Pologne, de la Hongrie, de la République tchèque et de la Slovaquie) et le groupe des «neuf de Bucarest» (Bulgarie, République tchèque, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie et Slovaquie).

Dans cette nouvelle Union européenne de plus en plus multipolaire, MM. Macron et Scholz ne se contenteront pas de réparer leurs liens personnels. En plus d’envoyer un message de réconciliation concernant les relations bilatérales, le traité de l’Élysée a également énoncé les fondements d’une coopération étroite pour soutenir l’intégration européenne, qui continue d’être, pour Berlin et Paris, un projet qui leur tient à cœur. 

Angela Merkel et Emmanuel Macron n’étaient certainement pas d’accord sur toutes les questions, mais formaient de manière générale un duo formidable, traçant l’avenir de l’Europe et son rôle dans le monde. Parmi leurs principales réalisations, citons la persuasion des autres membres de l’UE d’accepter de donner au bloc, pour la première fois dans son histoire, le pouvoir de lever des dettes pour financer un plan de relance post-coronavirus de 750 milliards d’euros, ouvrant potentiellement la voie à un avenir meilleur en matière de pouvoirs supranationaux de taxation et favorisant la mise en place d’un continent plus fédéralisé.

Le défi pour les deux dirigeants est qu’il existe une multitude de points de vue sur l’avenir du bloc qui reflètent les nouveaux centres de pouvoir au sein de l’UE. La célébration dimanche des soixante ans du traité de l’Élysée représente donc l’occasion pour Paris et Berlin de dynamiser le débat.

Une relation Macron-Scholz plus solide pourrait inciter l’UE à approfondir la coopération au cours des prochaines années, dans les domaines de l’énergie à la défense, avec des États partageant plus de pouvoir, prenant rapidement des décisions et les appliquant aussitôt. Pourtant, même après la fin de la guerre en Ukraine, rien ne garantit cela.

Bien que la direction de l’UE soit toujours incertaine, ce qui est clair, c’est que Berlin et Paris auront – soixante ans après la signature du traité de l’Élysée – une influence considérable sur les événements. MM. Macron et Scholz savent tous deux que le reste de leur mandat pourrait avoir des répercussions démesurées sur la définition du caractère économique et politique du bloc européen, non seulement pour le reste des années 2020, mais peut-être même bien au-delà.

Andrew Hammond est un associé à la London School of Economics.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com