Le régime iranien se crispe sur le «golfe Arabique»

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Publié le Mercredi 25 janvier 2023

Le régime iranien se crispe sur le «golfe Arabique»

Le régime iranien se crispe sur le «golfe Arabique»
  • Le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir Abdollahian, a confirmé que l’ambassadeur irakien avait été convoqué dans son pays
  • Les Iraniens ont des priorités qui vont bien au-delà de la sémantique du Golfe

Le «golfe Arabique» est l’une des expressions les plus sensibles pour le régime iranien par rapport à ses voisins arabes. Certains faits de l’histoire récente le montrent bien, comme l’organisation par l’Irak de la 25e Coupe du Golfe des nations de football.
Le différend entre Bagdad et Téhéran est né après que Téhéran a convoqué l’ambassadeur irakien pour protester contre l’utilisation, pendant la compétition, du nom «golfe Arabique» au lieu de son nom farsi.
Le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir Abdollahian, a confirmé que l’ambassadeur irakien avait été convoqué dans son pays après que les autorités irakiennes ont utilisé un «terme fictif».
Il a également déclaré avoir transmis le fait que «le peuple iranien [soit] sensible» à l’utilisation d’un terme correct et complet – du point de vue iranien, bien sûr – pour qualifier le Golfe. «Bien que nous ayons une relation stratégique, fraternelle et profonde avec l’Irak, nous avons clairement exprimé notre protestation sur cette question», a souligné Abdollahian.
Dans ce contexte, plusieurs observations peuvent être faites. La première d’entre elles, c’est que le régime iranien soulève la question de la dénomination du «golfe Arabique».
Cela vient de l’utilisation de cette expression par le Premier ministre irakien, Mohammed Chia al-Soudani, et par Moqtada al-Sadr pour accueillir les hôtes du tournoi à Bassora, ce qui constitue pourtant un élément banal et de trivial, puisque l’Irak est un pays arabe qui accueille les nations arabes du Golfe.
Par conséquent, l’utilisation de cette expression dans le cadre des positions et des politiques irakiennes officiellement acceptées est normale et n’est en rien une nouveauté. Dans toutes les capitales arabes et du Golfe, le nom « golfe Arabique » est utilisé et circule quotidiennement, mais l’Iran n’a fait que protester contre la position irakienne.
À mon avis, il y a une raison importante à cet état de fait: le point de vue du régime iranien sur l’Irak et sur sa politique étrangère, qui, à ses yeux, doit être définie par une dépendance complète des positions et des politiques iraniennes. Or, cela est clairement inacceptable pour les peuples irakien et arabe.
La deuxième observation va dans le même sens. L’Iran est très préoccupé et contrarié par le fait que l’Irak accueille la Coupe du Golfe et il y voit un retour progressif de l’Irak dans son giron arabe naturel. Cela déplaît à Téhéran, qui a œuvré depuis 2003 pour faire entrer l’Irak dans l’orbite iranienne.
En agissant ainsi, l’Iran ignore la dimension arabe historique de cette grande nation, qui dispose de politiciens si compétents et de ressources humaines et matérielles indépendantes de tout autre pays. Les percées stratégiques iraniennes en Irak, au cours des dernières années et jusqu’à présent, ne seront qu’un nuage éphémère dans l’évolution de cet État arabe.
Les choses devraient revenir à la normale une fois que l’Irak sera débarrassé des problèmes qui l’ont rongé. Le ministre iranien des Affaires étrangères soutient que le peuple iranien se sent offensé lorsqu’on évoque le golfe Arabique comme un «concept imaginaire».
Il oublie cependant que le peuple iranien n’est pas intéressé par ces positions mesquines que le régime fabrique pour détourner l’attention de ce qui se passe dans les manifestations et du fossé qui se creuse entre le gouvernement et le peuple. Les Iraniens ont des priorités qui vont bien au-delà de la sémantique du Golfe.
Tout cela a éclaté au grand jour lors de l’incident qui s’est produit quand a résonné l’hymne national iranien, que les membres de l’équipe de football iranienne se sont abstenus de chanter lors de la dernière Coupe du Golfe, au Qatar. Néanmoins, le régime a voulu nous faire croire que le peuple iranien, dont la colère grandit et qui rejette tout ce qui concerne le régime, est contrarié par l’utilisation de l’expression «golfe Arabique».
Le tollé de l’Iran contre les politiques de l’Irak et le traitement de ses frères dans le monde arabe ainsi que dans le Golfe ne s’arrêtera pas tant qu’il continuera d’essayer de lier les mains des politiciens irakiens.
Ou l’on s’incline devant la dictature iranienne, ou l’on fait face à sa colère, avec toutes les conséquences politiques, partisanes et sécuritaires qui affecteraient la vie intérieure de l’Irak. Le fait est que le régime iranien doit comprendre que l’Irak doit agir comme un pays souverain, respectueux de tous et libre de toute ingérence.

Réduire les tensions semble être un intérêt exclusivement irakien; la stabilité régionale est liée à sa sécurité et à son développement durable


Les positions de l’Irak exprimées dans les déclarations de son Premier ministre sont objectives et dignes d’être reconnues, car Mohammed Chia al-Soudani a souligné que les relations de son pays avec l’Iran étaient historiques et qu’il existait des similitudes culturelles, religieuses et sociales entre les deux nations.
Ces faits ne peuvent être niés, car ils sont fondés sur une réalité géopolitique: des frontières communes de plus de 1 200 km et des affinités culturelles et religieuses de longue date.
Al-Soudani n’en est pas resté là. Il a souligné, dans les propos qu’il a confiés au journal allemand Bild, que l’Iran soutient le processus politique en Irak depuis 2003 et que Téhéran aide la lutte contre le terrorisme. Il s’agit d’une position officielle irakienne qui mérite le respect, que l’on soit d’accord ou non avec elle.
Toutefois, dans le même entretien, Al-Soudani a clairement indiqué qu’il voulait «maintenir la coopération et le soutien loin de toute ingérence dans les affaires intérieures». Ce point est important. Il faudra beaucoup de temps et d’efforts pour convaincre Téhéran et son régime que l’Irak n’est pas une enclave iranienne, mais un pays indépendant.
L’Irak ne veut pas non plus prendre le train en marche de la politique d’axes, que ce soit au niveau régional ou international. Il veut établir des relations équilibrées avec «tous» les pays voisins. Ce sont des principes évidents qui ne devraient pas être remis en question par l’Iran.
En tant que chercheur, je pense que l’Irak mène actuellement une politique judicieuse que tous les acteurs, en particulier l’Iran – s’il veut vraiment assurer la sécurité et la stabilité régionales –, devraient soutenir.
En effet, si l’Irak ne parvient pas à s’engager sur des axes d’intérêt commun pour l’ensemble de la région et que l’Iran essaie de dominer sa décision souveraine, il ne fera que se maintenir et laissera toute la région dans un état de fragmentation et d’instabilité.
L’Irak se concentre également sur la création de partenariats économiques. Il prend des initiatives afin de rapprocher les points de vue de l’Iran et des pays arabes. Réduire les tensions semble être un intérêt exclusivement irakien; la stabilité régionale est liée à sa sécurité et à son développement durable.
Le régime iranien aurait dû soutenir ces tendances et ces stratégies raisonnables au lieu d’essayer d’entraîner l’Irak dans des conflits improvisés et de fabriquer des différends inutiles. Le seul but de ces derniers est de maintenir la région dans un état de tension, ce que le régime iranien considère comme une condition préalable à sa survie.
 

Salem al-Ketbi est un politologue émirati et ancien candidat au Conseil national fédéral. Twitter: @salemalketbieng
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.