Comment Bruxelles veut ramener l'ordre dans le «Far West» numérique

« Nous allons augmenter le pouvoir de l'UE de réduire les comportements déloyaux des plateformes », assure Thierry Breton, commissaire au Marché intérieur (Photo, AFP)
« Nous allons augmenter le pouvoir de l'UE de réduire les comportements déloyaux des plateformes », assure Thierry Breton, commissaire au Marché intérieur (Photo, AFP)
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Publié le Mardi 24 novembre 2020

Comment Bruxelles veut ramener l'ordre dans le «Far West» numérique

  • L'assassinat en France du professeur Samuel Paty, ciblé sur les réseaux sociaux, a souligné les dangers de l'anarchie numérique
  • La vente sur internet est propice aux arnaques, et les plateformes sont régulièrement montrées du doigt pour le manque de contrôle sur leurs revendeurs

BRUXELLES : Haine en ligne et désinformation, pratiques anticoncurrentielles et loi du plus fort... La Commission européenne doit présenter le 9 décembre un projet de législation pour mieux encadrer le monde numérique.

Le texte sera étudié et négocié pendant plus de deux ans avec le Parlement et les Etats membres, rendant le résultat final très incertain.

Sont visés les géants comme Google, Facebook ou Amazon, accusés de tuer la concurrence, de menacer les libertés et la démocratie. « L'internet ne peut rester un Far west », affirme le commissaire au Marché intérieur, Thierry Breton, qui porte le dossier avec la vice-présidente de la Commission, Margrethe Vestager.

Haine en ligne et désinformation

L'assassinat en France du professeur Samuel Paty, ciblé sur les réseaux sociaux, a souligné les dangers de l'anarchie numérique. La désinformation via les plateformes avait été dénoncée après l'élection américaine de 2016 ou le référendum sur le Brexit au Royaume-Uni. 

Sous l'étiquette « Digital Services Act (DSA) », la nouvelle législation imposera « à tous les services numériques le devoir de coopérer avec les régulateurs » pour retirer des contenus dangereux, a expliqué Mme Vestager. Elle imposera des obligations dans la modération des contenus.

Contrefaçons et produits dangereux

La vente sur internet est propice aux arnaques, et les plateformes sont régulièrement montrées du doigt pour le manque de contrôle sur leurs revendeurs. Sous couvert de bonnes affaires, certains écoulent des contrefaçons et des produits bafouant les normes européennes.

Le DSA imposera aux vendeurs en ligne de « mettre en place des procédures simples et claires pour gérer les notifications » de pratiques illégales, a indiqué Mme Vestager. Ils devront aussi « contrôler l'identité des revendeurs avant de les autoriser sur leur plateforme ».

Des règles visant les géants

La grande nouveauté du règlement sera la création d'interdictions et obligations qui toucheront uniquement les acteurs les plus puissants. Ces règles figureront dans le Digital Market Act (DMA), complément du DSA.

« Nous allons augmenter le pouvoir de l'UE de réduire les comportements déloyaux des plateformes systémiques pour que l'internet ne profite pas seulement à une poignée de compagnies mais aussi à de nombreuses petites et moyennes entreprises », assure Thierry Breton.

La Commission affirme élaborer « des critères quantitatifs et qualitatifs » pour déterminer les entreprises soumises à ces règles spécifiques. Les mastodontes américains se sentent visés.

Transparence des algorithmes

Les grandes plateformes devront « fournir plus d'informations sur le fonctionnement de leurs algorithmes », a expliqué Mme Vestager.

Elles « devront nous dire comment elles décident des informations et produits qu'elles nous recommandent, et de ceux qu'elles cachent, et nous donner la possibilité d'influencer ces décisions. Elles devront nous dire qui paye pour les publicités que nous voyons et pourquoi nous avons été ciblés ».

Google est accusé de paramétrer son moteur de recherche pour rendre ses offres plus visibles que celles des concurrents. La nouvelle loi « visera l'interdiction de l'auto-préférence », affirme Mme Vestager.

Partage des données

Certaines contraintes « concerneront les données et le partage de données », a expliqué la vice-présidente de la Commission. 

« Les personnes qui contrôlent les données, contrôlent les algorithmes et donc la nouvelle économie », a expliqué Alexandre de Streel, professeur de droit à l'Université de Namur, spécialiste du numérique. "Si on veut instaurer une concurrence à armes égales, le remède, c'est le partage des données", estime cet expert.

L'exécutif européen reste évasif sur les données personnelles. Mais il envisage d'interdire aux plateformes systémiques de profiter des données de leurs clients business pour les concurrencer, comme Amazon est accusé de le faire avec des revendeurs de sa plateforme.

Interopérabilité

Le phénomène est bien connu des utilisateurs de réseaux sociaux comme Facebook, Instagram ou Whatsapp: il est intéressant d'en faire partie si on peut interagir avec un maximum de gens. Logiquement, des outils qui ne communiquent pas entre eux favorisent la domination de quelques uns.

Solution: permettre aux utilisateurs des petits réseaux de communiquer avec ceux des géants américains.

« Une façon d'empêcher les plateformes structurantes d'enfermer leurs utilisateurs pourrait être de rendre plus facile le changement de plateforme ou bien le fait de pouvoir utiliser plus qu'un seul service », a indiqué Mme Vestager.

Nouveaux outils d'investigation

L'UE peut lancer des enquêtes qui durent des années à partir du moment où elle constate une position dominante. Mais les grosses amendes qui en résultent ne sont pas dissuasives pour les géants du numériques et arrivent trop tard, quand la concurrence a déjà disparu.

Mme Vestager proposera de nouveaux outils d'enquête : « l'idée est de pouvoir intervenir sur ces marchés avant que la dominance soit établie ».


La note française menacée de passer en catégorie inférieure dès vendredi

La dette française s'y négocie déjà à un taux bien plus coûteux que la dette allemande, dépassant même l'espace d'une journée, mardi, le taux de la dette italienne. (AFP)
La dette française s'y négocie déjà à un taux bien plus coûteux que la dette allemande, dépassant même l'espace d'une journée, mardi, le taux de la dette italienne. (AFP)
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  • La dette française s'y négocie déjà à un taux bien plus coûteux que la dette allemande, dépassant même l'espace d'une journée, mardi, le taux de la dette italienne
  • Les marchés donnent déjà à la France une "notation implicite" bien plus basse que sa note actuelle de AA-, estime M. Morlet-Lavidalie

PARIS: Fitch sera-t-elle vendredi la première agence de notation à faire passer la note souveraine française en catégorie inférieure? Les économistes, qui le pensaient il y a quelques jours, discernent des raisons d'en douter, mais ce ne pourrait être que partie remise.

Fitch ouvre le bal des revues d'automne des agences de notation. Toutes, au vu de l'état des finances publiques françaises et de la crise politique persistante depuis la dissolution, classent la France AA- ou équivalent (qualité de dette "haute ou bonne"), avec, pour certaines comme Fitch, une "perspective négative".

Ce qui préfigure une dégradation: en ce cas, la France basculerait en catégorie A (qualité "moyenne supérieure"), et devrait verser à ceux qui investissent dans sa dette une prime de risque supérieure, accroissant d'autant les remboursements de cette dette.

Pour Eric Dor, directeur des études économiques à l'IESEG School of Management, une dégradation serait "logique". D'abord parce que la situation politique n'aide pas à mettre en œuvre "un plan crédible d'assainissement budgétaire", comme Fitch l'exigeait en mars.

Mais aussi pour effacer "une incohérence" : 17 pays européens sont moins bien notés que la France alors qu'ils ont - à très peu d'exceptions près - des ratios de finances publiques meilleurs que les 5,8% du PIB de déficit public et 113% du PIB de dette publique enregistrés en France en 2024.

Coup d'envoi 

Depuis mardi, la nomination rapide à Matignon de Sébastien Lecornu pour succéder à François Bayrou, tombé la veille lors du vote de confiance, ravive l'espoir d'un budget 2026 présenté en temps et heure.

Lucile Bembaron, économiste chez Asterès, juge ainsi "plausible" que Fitch "attende davantage de visibilité politique" pour agir.

D'autant, remarque Hadrien Camatte, économiste France chez Natixis, que les finances publiques n'ont pas enregistré cette année de nouveau dérapage inattendu, et que "la croissance résiste".

L'Insee a même annoncé jeudi qu'en dépit du "manque de confiance" généralisé, celle-ci pourrait dépasser la prévision du gouvernement sortant - 0,7% - pour atteindre 0,8% cette année.

Anthony Morlet-Lavidalie, responsable France à l'institut Rexecode, observe aussi que Fitch, la plus petite des trois principales agences internationales de notation, "donne rarement le coup d'envoi" des dégradations.

Mais il estime "très probable" que la principale agence, S&P Global, abaissera le pouce lors de sa propre revue, le 28 novembre.

Selon ses calculs, la France ne sera en effet pas en mesure de réduire à moins de 5% son déficit public l'an prochain, contre les 4,6% qu'espérait François Bayrou.

Les économistes affirment cependant qu'une dégradation ne troublerait pas les marchés, "qui l'ont déjà intégrée", relève Maxime Darmet, économiste senior chez Allianz Trade.

Syndrome 

La dette française s'y négocie déjà à un taux bien plus coûteux que la dette allemande, dépassant même l'espace d'une journée, mardi, le taux de la dette italienne.

Les marchés donnent déjà à la France une "notation implicite" bien plus basse que sa note actuelle de AA-, estime M. Morlet-Lavidalie.

Il craint des taux qui resteraient "durablement très élevés", provoquant "un étranglement progressif", avec des intérêts à rembourser captant "une part significative de la dépense publique, alors qu'on a des besoins considérables sur d'autres postes".

L'économiste décrit une France en proie au "syndrome du mauvais élève".

"Lorsqu'on avait 20/20", explique-t-il - la France était jusqu'à 2012 notée AAA, note maximale qu'a toujours l'Allemagne - "on faisait tout pour s'y maintenir. Maintenant on dit que 17/20 (AA-) ça reste une très bonne note. Bientôt ce sera +tant qu'on est au-dessus de la moyenne, c'est pas si mal+. Quand on est la France, en zone euro, on devrait quand même être un peu plus ambitieux que cela!", dit-il à l'AFP.

Pour autant, même abaissée à A+, "la dette française resterait de très bonne qualité", relativise M. Camatte, préférant souligner "la forte épargne des ménages et une position des entreprises qui reste très saine".


La précarité s'ancre dans le quotidien des Français, alerte le Secours populaire

Revenus insuffisants, dépense imprévue, endettement excessif: au final, un Français sur cinq s'estime précaire pour différentes raisons, soit 20% de la population, contre 24% l'an dernier. (AFP)
Revenus insuffisants, dépense imprévue, endettement excessif: au final, un Français sur cinq s'estime précaire pour différentes raisons, soit 20% de la population, contre 24% l'an dernier. (AFP)
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  • "La précarité est toujours plus ancrée en France, elle interfère dans tous les aspects de la vie, que ce soit la santé, les loisirs, la vie familiale", estime auprès de l'AFP Henriette Steinberg, secrétaire générale du Secours populaire
  • "La situation en France s'est détériorée" depuis une quinzaine d'années et dernièrement "on observe une stabilisation", précise Henriette Steinberg

PARIS: La précarité s'ancre dans le quotidien des Français, touchant tous les aspects de la vie des plus fragiles, alerte jeudi le Secours Populaire, qui publie un baromètre témoignant de cette situation jugée préoccupante.

"La précarité est toujours plus ancrée en France, elle interfère dans tous les aspects de la vie, que ce soit la santé, les loisirs, la vie familiale", estime auprès de l'AFP Henriette Steinberg, secrétaire générale du Secours populaire.

L'association publie un baromètre qui indique qu'un tiers des Français (31%) rencontrent des difficultés financières pour se procurer une alimentation saine permettant de faire trois repas par jour. De même 39% ont du mal à payer leurs dépenses d'électricité et 49% à partir en vacances au moins une fois par an, selon ce sondage réalisé par l'Institut Ipsos, auprès d'un échantillon de 1.000 personnes, représentatif de la population nationale âgée de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas.

"La situation en France s'est détériorée" depuis une quinzaine d'années et dernièrement "on observe une stabilisation", précise Henriette Steinberg.

Revenus insuffisants, dépense imprévue, endettement excessif: au final, un Français sur cinq s'estime précaire pour différentes raisons, soit 20% de la population, contre 24% l'an dernier.

Malgré un "léger mieux" constaté sur certains indicateurs lié au "ralentissement de l'inflation", ce baromètre révèle "une situation sociale toujours très préoccupante", selon le Secours populaire.

En début de semaine, la déléguée interministérielle à la prévention et la lutte contre la pauvreté, Anne Rubinstein, a évoqué des "difficultés" rencontrées par l'Etat pour résorber un taux de pauvreté qui a atteint un niveau record en 2023 en France métropolitaine.

Face à cette situation, la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) a appelé mardi à une "mobilisation collective" pour "débloquer la lutte contre la précarité".

Au niveau européen, 28% de la population déclare se trouver en situation précaire, également selon ce baromètre du Secours Populaire, qui s'appuie aussi sur des échantillons de 1.000 personnes représentatifs de neuf autres pays (Allemagne, Grèce, Italie, Pologne, Royaume-Uni, Moldavie, Portugal, Roumanie, Serbie).

La part des personnes se considérant comme précaires demeure à un niveau "très alarmant" en Grèce (46%) et en Moldavie (45%), pointe le baromètre.

En 2024, le Secours populaire a soutenu 3,7 millions de personnes en France. L'association fournit notamment de l'aide alimentaire et organise des activités pour différents publics pour rompre l'isolement.


Face à l'explosion des dépenses militaires, l'ONU appelle à «repenser les priorités»

Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a appelé mardi le monde à "repenser les priorités" en redirigeant une partie des dépenses militaires record vers le développement de l'humanité et la lutte contre la pauvreté. (AFP)
Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a appelé mardi le monde à "repenser les priorités" en redirigeant une partie des dépenses militaires record vers le développement de l'humanité et la lutte contre la pauvreté. (AFP)
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  • "Aujourd'hui, nous publions un rapport qui révèle une réalité saisissante: le monde dépense bien plus à faire la guerre qu'à construire la paix", a-t-il déclaré Antonio Guterres
  • Selon l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), les dépenses militaires mondiales ont atteint en 2024 près de 2.700 milliards de dollars, en hausse de plus de 9% sur un an

NATIONS-UNIES: Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a appelé mardi le monde à "repenser les priorités" en redirigeant une partie des dépenses militaires record vers le développement de l'humanité et la lutte contre la pauvreté.

"Aujourd'hui, nous publions un rapport qui révèle une réalité saisissante: le monde dépense bien plus à faire la guerre qu'à construire la paix", a-t-il déclaré Antonio Guterres.

Selon l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), les dépenses militaires mondiales ont atteint en 2024 près de 2.700 milliards de dollars, en hausse de plus de 9% sur un an.

C'est "l'équivalent de 334 dollars par habitant de la planète", "près de 13 fois le montant de l'aide publique au développement des pays les plus riches et 750 fois le budget ordinaire de l'ONU", a noté Antonio Guterres.

Et en parallèle, la majorité des Objectifs de développement durables (ODD) visant à améliorer le sort de l'humanité d'ici 2030 (éradication de l'extrême pauvreté, égalité hommes-femmes, éducation...) ne sont pas sur la bonne voie.

Pourtant, mettre un terme à la faim dans le monde d'ici 2030 nécessiterait seulement 93 milliards de dollars par an, soit 4% des dépenses militaires de 2024, et faire en sorte que chaque enfant soit totalement vacciné coûterait entre 100 et 285 milliards par an, note le rapport demandé par les Etats membres.

Au total, l'ONU estime aujourd'hui à 4.000 milliards de dollars les investissements supplémentaires nécessaires chaque année pour atteindre l'ensemble des ODD, un montant qui pourrait grimper à 6.400 milliards dans les prochaines années.

Alors le secrétaire général de l'ONU a lancé un "appel à l'action, un appel à repenser les priorités, un appel à rééquilibrer les investissements mondiaux vers la sécurité dont le monde a vraiment besoin".

"Des dépenses militaires excessives ne garantissent pas la paix, souvent elles la sapent, encourageant la course aux armements, renforçant la méfiance et détournant des ressources de ce qui représentent les bases de la stabilité", a-t-il ajouté. "Un monde plus sûr commence par investir au moins autant pour lutter contre la pauvreté que nous le faisons pour faire la guerre".

"Rediriger même une fraction des dépenses militaires actuelles pourraient combler des écarts vitaux, envoyer des enfants à l'école, renforcer les soins de santé de base, développer les énergies propres et des infrastructures résistantes, et protéger les plus vulnérables", a-t-il plaidé.