Le sens du mot «antisémitisme» brouillé pour défendre les intérêts d’Israël

Bezalel Smotrich, ministre israélien des Finances et chef du Parti sioniste religieux. (Reuters)
Bezalel Smotrich, ministre israélien des Finances et chef du Parti sioniste religieux. (Reuters)
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Publié le Samedi 11 mars 2023

Le sens du mot «antisémitisme» brouillé pour défendre les intérêts d’Israël

Le sens du mot «antisémitisme» brouillé pour défendre les intérêts d’Israël
  • La récente augmentation des accusations d’antisémitisme présumé va de pair avec l’augmentation de l’argent donné par le comité d’action politique pro-israélien aux représentants américains
  • Chaque personne se doit de dénoncer toute forme de haine, quelle que soit la nationalité, la religion ou la culture de la victime

Les dirigeants américains – du président, Joe Biden; de l’ambassadrice auprès de l’Organisation des nations unies (ONU), Linda Thomas-Greenfield, aux membres du Congrès – dénoncent la recrudescence des propos antisémites, en particulier sur les réseaux sociaux.

Les députés de plusieurs États américains, comme en Géorgie cette semaine, ont adopté, ou envisagent d’adopter, des lois qui définissent l’antisémitisme, ce qui permet aux procureurs de cibler plus facilement les individus coupables de haine antijuive. Cependant, ces lois pourraient également être utilisées pour faire taire les critiques légitimes de la politique du gouvernement israélien.

Au Congrès, par exemple, des membres tels que le représentant de l’Illinois, Brad Schneider, mènent le combat, soutenus par les dons de la campagne pro-israélienne. M. Schneider a défendu les musulmans, notamment en coparrainant un projet de loi visant à lutter contre l’islamophobie, mais il s’est également élevé contre les critiques formulées à l’encontre d’Israël par des groupes et des militants propalestiniens. Le mois dernier, Brad Schneider a présenté la résolution 92 de la Chambre, qui déclare qu’Israël est «l’allié légitime et démocratique des États-Unis», tout en condamnant l’antisémitisme, «y compris l’antisémitisme déguisé en sentiment de haine à l’égard d’Israël».

De telles mesures pourraient être légitimes pour faire face au véritable antisémitisme, qui est motivé par la haine, si M. Schneider et de nombreux groupes pro-israéliens et antipalestiniens n’avaient pas également inclus les critiques légitimes contre Israël dans leurs condamnations de l’antisémitisme.

Le mois dernier, Brad Schneider a demandé – dans une lettre du Congrès adressée au secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, qu’il a cosignée avec dix-sept autres membres du Congrès – le limogeage de Francesca Albanese en tant que rapporteuse spéciale de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés. Qu’a-t-elle donc fait pour mériter cela? Elle «a refusé à plusieurs reprises de condamner les attaques terroristes contre les Israéliens tout en poursuivant ses condamnations contre Israël». La lettre accuse la rapporteuse de «fort parti pris contre Israël», affirmant que l’antisémitisme était «profondément enraciné» à l’ONU.

La récente augmentation des dénonciations d’antisémitisme présumé va de pair avec l’augmentation de l’argent donné par le comité d’action politique pro-israélien aux représentants américains. Le lobby pro-israélien a investi des centaines de millions de dollars (1 dollar = 0,94 euro) dans les campagnes des membres du Congrès, qui s’emploient ensuite à réprimer toutes les voix qui dénoncent les atrocités d’Israël. À titre d’exemple, M. Schneider a reçu 19 460 dollars de l’American Israel Public Affairs Committee lors de la dernière phase de sa campagne, ce qui en fait son quatrième plus grand donateur.

«Les efforts pour éradiquer l’antisémitisme pourraient être sincères s’ils s'exprimaient avec autant de virulence contre la haine croissante dont font preuve les dirigeants israéliens.»

Ray Hanania

Leurs efforts pour éradiquer l’antisémitisme pourraient être sincères s’ils s’exprimaient avec autant de virulence contre la haine croissante dont font preuve les dirigeants israéliens, comme le ministre des Finances, Bezalel Smotrich. Il a récemment exhorté Israël à «anéantir» la ville palestinienne de Huwara, après qu’elle a été attaquée par des colons juifs.

En apprenant que l’administration Biden envisageait d’interdire à M. Smotrich d’entrer aux États-Unis, où il devait s’adresser à un public farouchement antiarabe, ce dernier a précisé que ses propos étaient «un lapsus émotionnel». Mais ils sont loin d’être un simple lapsus.

Cependant, le représentant Schneider et ses collègues n’ont ni publié de déclaration ni présenté de résolution dénonçant les propos haineux et racistes de Bezalel Smotrich. Ce dernier défend constamment la violence israélienne contre les Palestiniens, mais Brad Schneider préfère garder le silence lorsque les Palestiniens et leurs partisans sont faussement accusés d’antisémitisme parce qu’ils dénoncent la violence israélienne.

En confondant la critique légitime d’Israël avec la haine antijuive – et en la liant à un aveuglement politique envers les atrocités d’Israël contre les civils palestiniens non juifs –M. Schneider et ses semblables atténuent par inadvertance le sens du mot «antisémitisme».

L’antisémitisme est une haine pernicieuse dirigée contre les personnes de religion juive. Mais le terme a été instrumentalisé par des gens tels que Brad Schneider pour défendre Israël, alors qu’eux gardent le silence face à de véritables crimes de haine contre d’autres personnes.

De nombreux politiciens pro-israéliens aux États-Unis montrent qu’ils tolèrent la haine en ne l’abordant pas lorsqu’elle est dirigée contre les Palestiniens. Ils n’expriment leurs inquiétudes que lorsque les politiques du gouvernement israélien suscitent des critiques à l’égard de ce pays.

La haine est la haine. Chaque personne se doit de la dénoncer sous toutes ses formes, quelle que soit la nationalité, la religion ou la culture de la victime. De toute évidence, cependant, certains de ceux qui font campagne pour sensibiliser à l’antisémitisme ont un motif sinistre et veulent saper les efforts visant à mettre fin à la haine contre les Palestiniens ou quiconque critique Israël.

Au lieu de réduire l’antisémitisme, la politisation de ce terme brouille son sens et crée un environnement dans lequel les véritables antisémites peuvent trouver une couverture pour leur haine.

 

Ray Hanania est un ancien journaliste politique et chroniqueur primé de la mairie de Chicago. Il peut être contacté sur son site Web personnel à l’adresse www.Hanania.com.

Twitter: @RayHanania

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com