Pourquoi la percée historique de l’UE est une étape marquante

John Thys/AFP
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Publié le Vendredi 25 février 2022

Pourquoi la percée historique de l’UE est une étape marquante

Pourquoi la percée historique de l’UE est une étape marquante
  • Le sommet a été un jalon, non pas uniquement en raison de l’envergure colossale de l’ensemble de l’accord, mais aussi du fait que le principe du programme de relance post-coronavirus représente une première
  • C’est la toute première fois que les dirigeants de l’UE s’engagent sur une dette mutualisée en tant qu’outil de financement

Les présidents et Premiers ministres européens ont conclu mardi un accord innovant sur un budget à long terme de plus d’un trillion d’euros ($1,15 trillions), ainsi qu’un fonds de redressement post-coronavirus de 750 milliards d’euros. Cet accord de nature principalement économique peut aussi être considéré comme une étape politique majeure dans l’histoire de la communauté européenne de l’après-guerre.

Cet accord historique est la résultante du plus long sommet tenu par des dirigeants de l’UE depuis deux décennies, alors que le continent est encore en proie à la pandémie dévastatrice du coronavirus qui y a causé la mort d’au moins 135.000 personnes cette année, ainsi qu’à une récession économique de huit pour cent. Le sommet a été un jalon important, non pas uniquement en raison de l’envergure colossale de l’ensemble de l’accord, mais aussi du fait que le principe du programme de relance post-coronavirus représente une première. C’est en effet la toute première fois que les dirigeants de l’UE s’engagent sur une dette mutualisée en tant qu’outil de financement, ouvrant potentiellement la voie à un accroissement, dans le futur, du pouvoir d’imposition au niveau de l’UE.

En définitive, l’accord de relance suite à la pandémie se traduira par 390 milliards d’euros de subventions pour les pays les plus touchés, et par 360 milliards d’euros de prêts, les montants étant en partie levés à travers une dette émise conjointement. On parle même de ‘’Moment Hamiltonien’’ pour Bruxelles, en référence à Alexander Hamilton, le premier secrétaire au Trésor des États-Unis d’Amérique nouvellement créés, qui avait en 1790 convaincu le Congrès des avantages de la dette commune.

Le succès du sommet, qui a renforcé les marchés financiers, est une immense fierté pour le nouveau leadership politique de Bruxelles, en particulier la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, ainsi que le Président du Conseil européen Charles Michel, qui ont montré qu’ils pouvaient obtenir de grands accords politiques. Cela a également été un moment clé pour la Chancelière allemande Angela Merkel, en raison du fait que l’Allemagne assume depuis le 1er juillet la présidence de six mois de l’UE dont la fin coïncide avec la longue période au pouvoir de Merkel. La Chancelière considère le semestre qui s’étend jusqu’à Noël comme peut-être le dernier grand moment pour elle de clore ce qui fut une époque remarquable.

Merkel, au pouvoir depuis 2005 - ce qui représente, du point de vue politique, une éternité-, a longtemps été la plus importante dirigeante politique de l’Europe continentale. A titre de comparaison, trois présidents américains (George W. Bush, Barack Obama et Donald Trump), quatre présidents français (Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron), ainsi que cinq Premiers ministres anglais (Tony Blair, Gordon Brown, David Cameron, Theresa May et Boris Johnson) se sont succédé au cours de son long mandat. Merkel a en outre battu le record tenu par Margaret Thatcher de la femme ayant été le plus longtemps au pouvoir en Europe.

Merkel a non seulement un parcours remarquable de succès politique en Allemagne, mais également au niveau de l’UE. Son influence a été cruciale pour aider le continent à traverser les remous politiques et économiques de la dernière décennie, notamment la crise de la zone euro, l’afflux de migrants, ainsi que l’Euroscepticisme, y compris le départ de la Grande-Bretagne de l’UE.

La grande préoccupation de Merkel en ce moment est le risque d’accroissement des lignes de fracture politiques à travers l’Europe du fait de la pandémie. Elle a actuellement pour objectif, après les deux accords de cette semaine, un accord commercial post Brexit en automne avec la Grande-Bretagne qu’elle espère, avec d’autres dirigeants européens, faire aboutir à un partenariat constructif après des années de conflit à la suite du référendum sur le Brexit de juin 2016.

Alors que le Brexit et l’accord commercial UE-GB n’étaient pas officiellement inscrits à l’ordre du jour du sommet, ils se sont imposés au cœur des débats informels à Bruxelles, cependant que les pourparlers sur le Brexit progressent difficilement. Le Premier ministre britannique Boris Johnson continue à insister sur la possibilité d’un accord commercial au courant de ce mois, mais cette perspective reste fantaisiste, même dans le cas où les deux parties se rencontraient chaque semaine en vue d’accélérer les avancées sur la question.

Le danger, avec les échéances qui arrivent rapidement, est que la probabilité d’une finalisation difficile et potentiellement chaotique de la période de transition sans accord GB-UE, devient de plus en plus évidente. Cette perspective a été exploitée par Merkel pour mettre en avant l’urgence pour les 27 de l’UE de faire front commun pour contrer le pire choc économique depuis des décennies.

Ses arguments étaient essentiels pour garantir l’accord du sommet de relance, particulièrement pour obtenir l’adhésion des autres dirigeants européens réticents. Les principales divergences étaient dues au nord de l’Europe, économe et plus riche (spécialement les Pays-Bas, l’Autriche, le Danemark, la Suède et la Finlande) et aux pays du sud, plus endettés (incluant l’Italie et l’Espagne) qui ont été le plus durement touchés par la pandémie.

Les pays les plus conservateurs sur le plan fiscal étaient en faveur d’un niveau de financement global moins élevé à long terme, ainsi que d’un ratio plus important de prêts par rapport aux subventions du fonds de relance. Bien qu’ils n’aient pas pu obtenir tout ce qu’ils voulaient, ils ont obtenu des concessions suffisantes pour approuver l’accord, dont de substantielles réductions supplémentaires sur les contributions budgétaires – qui rappellent celles obtenues par Thatcher en 1984 pour la Grande-Bretagne.

Cependant, les désaccords du sommet n’étaient pas uniquement nord-sud. Un autre sujet de discorde est-ouest est apparu, des pays d’Europe de l’Est tels que la Hongrie et la Pologne rejetant la mise en garde de Michel sur le fait que les financements à venir devraient dépendre du respect des règlements et d’une gouvernance plus élargie.

Pour aboutir à un accord, ce principe a été mis à mal au cours du sommet. A titre d’exemple, la Pologne a atténué le lien suggéré entre le fonds de relance post-pandémie et l’objectif de neutralité climatique 2050. La Pologne, qui s’apprête à recevoir 37 milliards d’euros de subventions et potentiellement plusieurs milliards supplémentaires d’un ‘’fonds pour une transition énergétique équitable‘’ pour l’abandon du charbon, est le seul pays de l’UE à ne pas avoir validé l’engagement 2050.

Les compromis existants mettent en relief la façon avec laquelle les 27 membres de l’UE ont pris en compte les arguments de Merkel sur le fait que le Brexit était un avertissement et qu’il était crucial pour les pays de l’Union de faire front commun face au pire choc subi par le contient depuis des décennies. Il est fort probable que l’enveloppe sera un facteur non pas uniquement de relance économique, mais potentiellement aussi de solidarité sociale, le soutien de Bruxelles à certains pays du Sud ayant été réduit au début de la crise. Le sommet a mis en lumière le besoin, non seulement de dynamiser la croissance, mais aussi de regagner la confiance de l’opinion publique dans des pays comme l’Italie et l’Espagne.

 

·                  Andrew Hammond est professeur associé à LES IDEAS à la London School of Economics.

Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de Arab News.