Vingt ans après sa chute, Saddam Hussein encore vénéré en Jordanie

Vingt ans après la chute de son régime, le défunt président irakien Saddam Hussein reste admiré et populaire en Jordanie, où son image est encore visible dans tout le pays. En Jordanie, son visage immédiatement reconnaissable s'affiche sur les autocollants des voitures et les couvertures des téléphones portables, bien que les symboles et les images associés à son régime soient largement considérés comme tabous en Irak même. (AFP).
Vingt ans après la chute de son régime, le défunt président irakien Saddam Hussein reste admiré et populaire en Jordanie, où son image est encore visible dans tout le pays. En Jordanie, son visage immédiatement reconnaissable s'affiche sur les autocollants des voitures et les couvertures des téléphones portables, bien que les symboles et les images associés à son régime soient largement considérés comme tabous en Irak même. (AFP).
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Publié le Samedi 08 avril 2023

Vingt ans après sa chute, Saddam Hussein encore vénéré en Jordanie

  • En Jordanie, le visage de Saddam s'affiche de façon plus débridée et de nombreux Jordaniens expriment ouvertement leur nostalgie pour l'ex-homme fort de l'Irak
  • «Des dizaines de milliers de Jordaniens ont obtenu des diplômes dans des universités irakiennes grâce à des bourses offertes» sous Saddam, explique le député jordanien Khalil Attiyeh

AMMAN : Vingt ans après la chute de son régime, l'ancien dictateur irakien Saddam Hussein continue de susciter l'admiration de nombreux Jordaniens, qui voient en lui un "héros" des causes arabe et palestinienne.

Alors que ses portraits et les symboles associés à son règne ont complètement disparu de la vie publique en Irak, son visage est omniprésent en Jordanie, que ce soit sur les autocollants ornant les vitres des voitures ou les coques de téléphones portables à son effigie.

Le 20 mars 2003, 150 000 Américains et 40 000 Britanniques sont déployés pour une intervention éclair. Trois semaines suffisent pour sceller le sort du régime de Saddam Hussein et prendre le contrôle de Bagdad, le 9 avril.

Après une traque de neuf mois, il est arrêté le 13 décembre 2003 puis jugé et pendu fin 2006.

Son parti, le Baas, est dissous à la suite de l'invasion, et désormais, toute personne exhibant ses photos ou des slogans liés à son régime déchu peut faire l'objet de poursuites judiciaires en Irak.

Dans les rues du vieux Bagdad, on trouve néanmoins dans des magasins d'antiquités diverses reliques arborant le visage de l'ancien dictateur. "Je vends cela à des collectionneurs", confie un vendeur qui souhaite rester anonyme.

Chez un horloger de la vieille ville, on trouve, si l'on insiste un peu, des montres avec le visage de l'ex-dirigeant datant des années 90.

L'une d'entre elles coûte 400 dollars, indique l'horloger, qui lui aussi souhaite conserver l'anonymat. Il exprime à demi-mot sa crainte de ce que le gouvernement actuel pourrait penser de son commerce.

En Jordanie toutefois, le visage de Saddam s'affiche de façon plus débridée et de nombreux Jordaniens expriment ouvertement leur nostalgie pour l'ex-homme fort de l'Irak.

«Nous l'aimons»

"Des dizaines de milliers de Jordaniens ont obtenu des diplômes dans des universités irakiennes grâce à des bourses offertes" sous Saddam, explique à l'AFP le député jordanien Khalil Attiyeh.

Saddam Hussein a également soutenu la cause palestinienne et aidé "les familles des martyrs palestiniens à reconstruire les maisons démolies par l'ennemi" israélien, ajoute-t-il.

C'est pour ces raisons que "les Jordaniens l'adorent, ne l'oublient pas et conservent ses photos, montrant leur loyauté envers ce leader héroïque", explique le député.

Salameh Blewi, un entrepreneur de 67 ans qui fréquentait Bagdad dans les années 80, le qualifie de "dirigeant arabe digne et honnête, aux positions honorables".

"Malgré la guerre avec l'Iran (1980-1988), l'Irak était un pays riche, mais après Saddam, le pays a été pillé par les corrompus", lance-t-il.

Depuis la chute du régime, "l'argent gaspillé a dépassé les 600 milliards de dollars" pour aller dans les poches des "corrompus et des partis au pouvoir", a accusé l'ancien Premier ministre irakien Moustafa al-Kazimi dans une interview télévisée en mars.

Les pertes humaines sont elles aussi considérables: de 2003 à 2011, année du retrait de l'armée américaine, plus de 100 000 civils irakiens ont été tués, selon l'organisation Iraq Body Count. Les Etats-Unis ont déploré près de 4 500 morts.

"Ce n'est pas la chute du régime de Saddam, c'est la chute de l'Irak", lance Shaher Abu Sharkh, 67 ans, qui vend des accessoires de téléphonie mobile à Amman.

"Les Jordaniens sont convaincus que Saddam Hussein (...) a vaillamment défendu les causes arabes. Nous l'aimons tous", assure ce commerçant.

Pour Zuhair Amleh, un vendeur de livres anciens sur la place Hachemite à Amman, l'Irak "ne peut pas redevenir ce qu'il était".

«Héros et sauveur»

Les Jordaniens considèrent l'ancien dirigeant "comme un héros et un sauveur dont la mission était de développer la nation arabe à tous les niveaux", insiste le député Khalil Attiyeh.

Selon lui, Saddam Hussein a été "le seul dirigeant arabe à mettre en place une industrie militaire ayant permis de (tout) fabriquer, des balles aux missiles, et à avoir bombardé l'entité sioniste (Israël) avec 39 missiles fabriqués par l'Irak".

"S'il était encore en vie, beaucoup de choses ne se seraient pas produites", souffle pour sa part Anas Nahas, 19 ans, qui propose dans son échoppe des housses de téléphones à l'effigie de l'ancien dictateur.

Il cite tour à tour "les crimes de l'occupation israélienne contre notre peuple en Palestine", les guerres en Syrie et au Yémen et "l'humiliation que subissent les Arabes".

"Les Arabes considéraient Saddam comme le leader de la nation" arabe, confirme un ancien diplomate irakien, qui était en poste à Amman.

L'ancien tyran irakien "s'est fait aimer de nombreux Arabes en Jordanie, en Palestine, en Egypte et dans d'autres pays de son vivant, et même après sa mort", dit-il.


Le Hamas en Egypte pour discuter de l'offre de trêve à Gaza

Khalil al-Hayya (à droite), responsable des relations arabes du Hamas, lors d'une visite à Damas, la capitale syrienne, le 19 octobre 2022, pour la première fois depuis que le groupe islamiste palestinien a rompu ses liens avec la Syrie il y a une dizaine d'années. (Photo Louai Beshara AFP)
Khalil al-Hayya (à droite), responsable des relations arabes du Hamas, lors d'une visite à Damas, la capitale syrienne, le 19 octobre 2022, pour la première fois depuis que le groupe islamiste palestinien a rompu ses liens avec la Syrie il y a une dizaine d'années. (Photo Louai Beshara AFP)
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  • «La réalité, en ce moment, c'est que le seul obstacle entre le peuple de Gaza et un cessez-le-feu, c'est le Hamas», a affirmé vendredi soir le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken
  • L'offre comprend une pause de l'offensive israélienne et la libération de prisonniers palestiniens contre celle d'otages enlevés lors de l'attaque sans précédent du Hamas le 7 octobre dans le sud d'Israël, qui a déclenché la guerre

TERRITOIRES PALESTINIENS : Une délégation du Hamas se rend samedi au Caire pour «poursuivre les discussions» afin de «parvenir à un accord» de trêve dans la bande de Gaza avec Israël, qui menace de lancer une opération terrestre dans le secteur de Rafah malgré les mises en garde de Washington et de l'ONU.

«La réalité, en ce moment, c'est que le seul obstacle entre le peuple de Gaza et un cessez-le-feu, c'est le Hamas», a affirmé vendredi soir le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken, qui avait déjà qualifié d'«extraordinairement généreux» le projet de trêve proposé par Israël.

Dans un communiqué publié tard vendredi, le mouvement islamiste palestinien a dit être dans un «esprit positif».

«A la lumière des récents contacts avec les frères médiateurs en Egypte et au Qatar, la délégation du Hamas se rendra au Caire samedi pour achever les discussions», a-t-il ajouté.

Au pouvoir dans la bande de Gaza depuis 2007, le Hamas est toutefois «déterminé» à obtenir «un arrêt total de l'agression» israélienne, «le retrait» des forces israéliennes et «un arrangement sérieux pour l'échange» d'otages israéliens contre des prisonniers palestiniens.

Un haut responsable du Hamas a confirmé à l'AFP que la délégation arrivera en matinée au Caire et sera menée par Khalil al-Hayya, N.2 de la branche politique du mouvement dans la bande de Gaza.

Et selon le site Axios, le chef de la CIA, William Burns, est déjà arrivé vendredi soir dans la capitale égyptienne, signe que l'heure des décisions clés a sonné après des mois de tractations.

Les médiateurs - Egypte, Qatar et Etats-Unis - attendent depuis près d'une semaine la réponse du Hamas à une nouvelle offre de trêve soumise fin avril.

La délégation du mouvement islamiste avait alors annoncé quitter Le Caire, lieu des derniers pourparlers, pour se rendre au Qatar afin d'étudier cette offre de trêve tout en promettant de retourner en Egypte pour transmettre sa réponse.

- Trêve ou Rafah ? -

L'offre comprend une pause de l'offensive israélienne et la libération de prisonniers palestiniens contre celle d'otages enlevés lors de l'attaque sans précédent du Hamas le 7 octobre dans le sud d'Israël, qui a déclenché la guerre.

Or le Hamas insiste sur un cessez-le-feu définitif, ce que refuse Israël qui insiste pour mener une offensive terrestre sur le secteur de Rafah (sud), dernier grand bastion du mouvement islamiste où s'entassent plus d'un million de Palestiniens, en majorité des déplacés par les violences.

«Nous ferons ce qui est nécessaire pour gagner et vaincre notre ennemi, y compris à Rafah», a répété cette semaine le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu en réaffirmant son intention de lancer cette offensive «avec ou sans accord» de trêve.

Mais pour Hossam Badran, membre du bureau politique du Hamas, les déclarations de M. Netanyahu sur un assaut à Rafah «visent clairement à faire échouer toute possibilité d'accord».

Dans la nuit de vendredi à samedi, des sources hospitalières ont fait état de frappes israéliennes à Rafah mais aussi dans la ville voisine de Khan Younès, détruite après une opération terrestre israélienne et d'intenses combats avec le Hamas.

- «Bain de sang» -

Selon le Wall Street Journal, qui cite des sources égyptiennes, Israël donnerait encore une semaine aux pourparlers en vue d'une trêve, sans quoi son armée lancera son offensive promise depuis des semaines sur le secteur de Rafah, situé à la lisière de l'Egypte.

Les Etats-Unis, grand allié d'Israël, ont manifesté à plusieurs reprises leur opposition à cette attaque.

Selon M. Blinken, Israël n'a présenté aucun plan pour protéger les civils de Rafah. «En l'absence d'un tel plan, nous ne pouvons pas soutenir une opération militaire d'envergure à Rafah, car les dommages qu'elle causerait seraient au-delà de ce qui est acceptable», a-t-il averti.

«Une opération militaire à grande échelle à Rafah pourrait conduire à un bain de sang», a prévenu lui aussi vendredi Tedros Adhanom Ghebreyesus le chef de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) qui prépare un plan d'urgence pour «faire face à une augmentation des blessés et des morts» en cas d'opération à Rafah.

«Ce plan d'urgence n'est qu'un pansement», a déclaré Rik Peeperkorn, le représentant de l'OMS dans les territoires palestiniens. «Le système de santé en difficulté ne sera pas en mesure de résister à l'ampleur potentielle de la dévastation que l'incursion causerait», a-t-il ajouté.

L'aide internationale, strictement contrôlée par Israël, arrive au compte-gouttes principalement d'Egypte via Rafah, et reste très insuffisante pour répondre aux besoins des quelque 2,4 millions de Gazaouis.

Face aux difficultés d'acheminement de l'aide par la route, des vivres sont parachutés par plusieurs pays sur Gaza. Les Etats-Unis construisent de leur côté un port artificiel au large de Gaza et une jetée afin de faciliter l'acheminement de l'aide par voie maritime.

Premier allié d'Israël, Washington s'oppose à une vaste opération sur Rafah qui causerait des dommages «au-delà de l'acceptable» a souligné M. Blinken qui avait dit plus tôt cette semaine ne pas avoir vu jusqu'à présent de plan israélien pour protéger les civils sur place.

- «Ces enfants dormaient» -

Une opération à l'heure actuelle interviendrait dans un contexte déjà tendu aux Etats-Unis avec la multiplication des manifestations contre la conduite de la guerre à Gaza sur les campus.

Et 88 parlementaires dans les rangs des démocrates américains ont exhorté vendredi le président Joe Biden à envisager d'interrompre ses ventes d'armes à Israël si le gouvernement israélien ne change pas sa conduite de la guerre contre le Hamas.

Cette guerre Israël-Hamas a débuté le 7 octobre par une attaque de commandos du mouvement islamiste dans le sud israélien qui a entraîné la mort de plus de 1.170 personnes, essentiellement des civils, selon un bilan de l'AFP établi à partir de données officielles israéliennes.

Durant l'attaque, plus de 250 personnes ont été enlevées et 128 restent captives à Gaza, dont 35 sont mortes, selon l'armée.

En représailles, Israël a lancé une offensive de grande envergure à Gaza qui a fait jusqu'à présent 34.622 morts, majoritairement des civils, selon le ministère de la Santé du Hamas.

Vendredi, dans un quartier de Rafah, plusieurs corps dont ceux d'enfants ont été retrouvés sous les décombres de la maison de la famille Chahine touchée par une frappe israélienne avant l'aube.

Sur place, Sanaa Zourob, une Palestinienne qui a perdu sa sœur et six de ses neveux et nièces dans ce bombardement n'en pouvait plus de cette guerre. «Quelle est leur faute à ces enfants? Qu'ont-ils fait pour que leur immeuble soit bombardé? Ces enfants dormaient!».

 


Le Hamas, «seul obstacle entre le peuple de Gaza et un cessez-le-feu», souligne Blinken

Le secrétaire d'État américain Antony Blinken a rencontré des dirigeants de premier plan lors de son dernier voyage au Moyen-Orient la semaine dernière. (Reuters)
Le secrétaire d'État américain Antony Blinken a rencontré des dirigeants de premier plan lors de son dernier voyage au Moyen-Orient la semaine dernière. (Reuters)
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  • «Nous attendons de voir si, vraiment, ils peuvent accepter de répondre oui au cessez-le-feu et à la libération des otages», a déclaré M. Blinken lors du Forum Sedona de l'Institut McCain dans l'Etat d'Arizona
  • Le secrétaire d'Etat américain a par ailleurs estimé qu'une attaque israélienne contre Rafah, ville du sud de la bande de Gaza où s'entassent plus d'un million de Palestiniens déplacés par la guerre, causerait des dommages «au-delà de l'acceptable»

WASHINGTON : Le mouvement islamiste palestinien Hamas reste le «seul obstacle entre le peuple de Gaza et un cessez-le-feu» avec Israël, a affirmé vendredi le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken.

«Nous attendons de voir si, vraiment, ils peuvent accepter de répondre oui au cessez-le-feu et à la libération des otages», a déclaré M. Blinken lors du Forum Sedona de l'Institut McCain dans l'Etat d'Arizona. «La réalité, en ce moment, c'est que le seul obstacle entre le peuple de Gaza et un cessez-le-feu, c'est le Hamas», a-t-il ajouté.

Israël et les pays médiateurs attendent toujours une réponse du mouvement islamiste à une proposition portant sur une trêve de 40 jours associée à une libération d'otages retenus dans Gaza, en échange de prisonniers palestiniens détenus par Israël.

Une délégation se rend samedi au Caire pour poursuivre les discussions.

Notant que les militants du Hamas «prétendent représenter» le peuple palestinien, M. Blinken a assuré que «si cela est vrai, l'acceptation d'un cessez-feu devrait être évidente».

Le secrétaire d'Etat américain a par ailleurs estimé qu'une attaque israélienne contre Rafah, ville du sud de la bande de Gaza où s'entassent plus d'un million de Palestiniens déplacés par la guerre, causerait des dommages «au-delà de l'acceptable».

Selon M. Blinken, Israël n'a présenté aucun plan pour protéger les civils lors de cette éventuelle attaque. «En l'absence d'un tel plan, nous ne pouvons pas soutenir une opération militaire d'envergure à Rafah, car les dommages qu'elle causerait seraient au-delà de ce qui est acceptable», a-t-il déclaré.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a réaffirmé jeudi son intention de lancer une offensive à Rafah «avec ou sans accord» de trêve. «Nous ferons ce qui est nécessaire pour gagner et vaincre notre ennemi, y compris à Rafah», a-t-il déclaré.

M. Blinken, qui s'est rendu lundi en Arabie saoudite, a également affirmé que le dirigeant de fait du royaume, le prince héritier Mohammed ben Salmane, pourrait engager des discussions sur une possible normalisation des relations avec Israël.

«Il a dit clairement qu'il voulait faire quelque chose sur la normalisation et qu'il voudrait le faire aussi vite que possible» mais seulement si les conditions sont réunies, a assuré le secrétaire d'Etat américain.

Riyad veut la mise en place d'un processus conduisant à la création d'un Etat palestinien, un scénario rejeté par le Premier ministre israélien et ses alliés d'extrême droite.


En Tunisie, un décret présidentiel contre les « fausses informations» menace les libertés

Le président tunisien Kais Saied s'adresse aux journalistes après avoir voté aux élections locales de 2023 dans la localité de Mnihla, dans la province de l'Ariana, à la périphérie de Tunis, le 24 décembre 2023. (Photo, AFP)
Le président tunisien Kais Saied s'adresse aux journalistes après avoir voté aux élections locales de 2023 dans la localité de Mnihla, dans la province de l'Ariana, à la périphérie de Tunis, le 24 décembre 2023. (Photo, AFP)
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  • En un an et demi, plus de 60 personnes parmi lesquelles des journalistes, des avocats et des opposants à M. Saied ont fait l'objet de poursuites au nom du décret 54
  • La liberté d'expression était considérée comme le principal acquis de la Révolution de 2011 qui a fait chuter le dictateur Zine El Abidine Ben Ali

TUNIS: La multiplication des poursuites judiciaires en Tunisie contre des journalistes et personnalités publiques depuis la publication d'un décret visant à combattre ce que le gouvernement considère comme de "fausses informations" est devenu une "menace" pour la liberté d'expression encourageant "l'autocensure", déplorent des ONG et des professionnels des médias.

Le 13 septembre 2022, le président Kais Saied a promulgué le "décret 54" qui punit de jusqu'à cinq ans de prison quiconque utilise les réseaux d'information et de communication pour "rédiger, produire, diffuser (ou) répandre de fausses nouvelles (...) dans le but de porter atteinte aux droits d'autrui ou de porter préjudice à la sécurité publique".

La même peine peut être appliquée en cas de diffusion "de nouvelles ou de faux documents (...) visant à diffamer d'autres personnes, de porter atteinte à leur réputation, de leur nuire financièrement ou moralement". Le temps de détention double "si la personne visée est un agent public", selon le décret controversé.

En un an et demi, plus de 60 personnes parmi lesquelles des journalistes, des avocats et des opposants à M. Saied ont fait l'objet de poursuites au nom du décret 54, affirme à l'AFP le président du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), Zied Dabbar.

En dépit de ses objectifs officiels, ce "décret-loi n'a par exemple jamais été appliqué aux cas de cyberattaques", note-t-il.

Pour le célèbre chroniqueur radio Haythem Mekki, le texte vise "à faire taire les voix indésirables au pouvoir, ce qui explique les multiples poursuites lancées contre des personnes qui n'ont fait que critiquer les autorités".

Objet lui-même d'une enquête sur la base du décret 54 pour une publication sur l'état de la morgue de l'hôpital de Sfax (centre), ce journaliste estime que le texte a "réussi à intimider les milieux médiatiques et gravement affecté la liberté d'expression".

"On n'ose quasiment plus critiquer le président, ni en faire un objet de satire alors qu'à un moment on avait des guignols (des marionnettes humoristiques, ndlr) pour tous les responsables de l'Etat", constate-t-il. "La chape de plomb est là et pèse lourd", déplore M. Mekki.

La liberté d'expression était considérée comme le principal acquis de la Révolution de 2011 qui a fait chuter le dictateur Zine El Abidine Ben Ali. Mais depuis le coup de force en juillet 2021 du président Saied, par lequel il s'est octroyé tous les pouvoirs, plusieurs ONG et l'opposition ont déploré un recul des droits et libertés.

"Climat de peur" 

Selon l'ONG américaine Human Rights Watch, le pouvoir tunisien utilise ce décret "pour étouffer et intimider un large éventail de critiques".

Pour le professeur en science de l'information, Sadok Hammami, "ce décret-loi n'est pas du tout une réponse à la désinformation ni aux +fake news+ puisqu'il vise plus particulièrement des personnalités publiques et politiques".

"Le climat actuel décourage les professionnels des médias et instaure une atmosphère de peur, de censure et d'autocensure", selon lui.

"Aujourd'hui, les gens craignent de s'exprimer pour ne pas subir les foudres du décret 54", confirme à l'AFP Hamza Belloumi, un animateur de télévision vedette.

Son émission hebdomadaire qui dévoile des affaires de corruption ou des sujets sociaux sensibles, s'appuyait sur les témoignages de personnes "qui avaient le courage de parler, mais sont beaucoup plus réticentes aujourd'hui". "Soit elles n'acceptent pas de parler, soit elles réclament des garanties d'anonymat", regrette-t-il, soulignant avoir "énormément réduit" le nombre de reportages.

Même si "l'idée du texte était motivée par une bonne volonté, son utilisation est mauvaise. Il est devenu un instrument pour museler la parole", ajoute-t-il.

Fin février, 40 députés ont déposé une demande au Parlement pour réviser le décret mais son examen est "entravé par le président" de la Chambre, accuse le président du SNJT.

L'avocat et militant politique Ayachi Hammami, poursuivi depuis janvier en vertu du décret après une intervention radiophonique sur la situation des magistrats, déplore "une instrumentalisation des lois pour frapper fort les voix opposantes, les écarter et faire peur aux Tunisiens".

"Il est temps de réviser ce décret surtout à l'approche de la présidentielle (prévue à l'automne, ndlr) qui exige le plus grand niveau de solidarité entre les acteurs médiatiques, politiques et socio-économiques", abonde le député indépendant Mohamed Ali.