Macron veut accélérer pour tourner la page des retraites

En ce jour décisif, il avait joué la contre-programmation en recevant des tirailleurs sénégalais ou le Premier ministre d'Andorre Xavier Espot Zamora (Photo, AFP).
En ce jour décisif, il avait joué la contre-programmation en recevant des tirailleurs sénégalais ou le Premier ministre d'Andorre Xavier Espot Zamora (Photo, AFP).
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Publié le Samedi 15 avril 2023

Macron veut accélérer pour tourner la page des retraites

  • Emmanuel Macron, qui sort très affaibli de cette crise, semble néanmoins décidé à accélérer
  • L'Elysée a fait savoir qu'il entendait promulguer la loi dans les prochains jours, peut-être dès ce week-end

PARIS: Profil bas, avant l'accélération: Emmanuel Macron, soulagé par la décision du Conseil constitutionnel qui a validé la retraite à 64 ans, compte maintenant passer à la contre-offensive pour tenter de relancer un second quinquennat plombé par une crise qui laissera des cicatrices.

Elisabeth Borne a assuré que la réforme ultracontestée touchait ainsi à "la fin de son processus démocratique". "Ce soir, il n'y a ni vainqueur, ni vaincu", a ajouté la Première ministre, alors que le verdict des Sages correspond au scénario sur lequel misait la Macronie, avec une censure confinée à des mesures marginales.

Le chef de l'Etat, lui, est resté muet.

En ce jour décisif, il avait joué la contre-programmation en recevant des tirailleurs sénégalais ou le Premier ministre d'Andorre Xavier Espot Zamora.

Et en allant visiter le chantier de Notre-Dame où il a tout de même distillé un message empli de sous-entendus politiques. "Tenir le cap, c'est ma devise", a-t-il lancé... au sujet de la réouverture de la cathédrale fin 2024.

De fait, le président était déjà passé à l'après-retraites.

Avant même que ne tombe le couperet constitutionnel, il a invité les syndicats à le rencontrer mardi à l'Elysée pour ouvrir "sans préalable" un "cycle" de "dialogue". Les syndicats ont opposé sans surprise une fin de non-recevoir, après avoir réclamé, à l'image du patron de la CFDT Laurent Berger, un "délai de décence", au moins jusqu'aux manifestations du 1er mai.

Des proches du chef de l'Etat reconnaissent que tourner la page ne sera pas facile. "Il y aura du ressentiment, des cicatrices", dit l'un d'eux.

De l'extrême droite à la gauche, en passant par l'intersyndicale, les opposants à la réforme ont prévenu qu'ils entendaient continuer le combat. Et les autorités redoutaient des débordements.

Les socialistes proposent déjà une loi d'abrogation de la réforme des retraites

"Si le président de la République promulgue, les socialistes déposeront une proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites", ont indiqué le parti socialiste et ses parlementaires dans un communiqué commun.

Le texte, déjà prêt, vise à supprimer "le report de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans et l’accélération de la hausse de la durée de cotisation", mesures clés de la réforme qui ont été jugées vendredi conformes à la Constitution.

Les socialistes ont une nouvelle fois appelé Emmanuel Macron à ne "pas mettre en oeuvre cette réforme des retraites, comme l’avait fait son prédécesseur Jacques Chirac en 2006 lors de la mobilisation contre le Contrat première embauche (CPE)".

En attendant la promulgation du projet gouvernemental, le chef de l’État "peut également demander au Parlement une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles", ont-ils ajouté, afin qu'elle "soit enfin soumise au vote des représentants de la Nation".

Après le rejet vendredi par le Conseil constitutionnel d'une demande visant à ouvrir la voie à un référendum, portée par la gauche, les socialistes ont rappelé qu'une deuxième demande avait été déposée auprès des Sages, formulée différemment.

En attendant la décision, attendue le 3 mai, ils demandent "la suspension de l'application de la loi".

Retour sur le terrain

Emmanuel Macron, qui sort très affaibli de cette crise, semble néanmoins décidé à accélérer.

L'Elysée a fait savoir qu'il entendait promulguer la loi dans les prochains jours, peut-être dès ce week-end, conformément à "l'usage" qui est le sien depuis 2017.

"Il est important qu'il reprenne la main", explique un conseiller ministériel. Selon lui, après s'être imposé une posture en retrait depuis le début de l'année, "Emmanuel Macron a envie d'en découdre", "il est hyper impliqué".

Il devrait donc prendre la parole en début de semaine prochaine, selon plusieurs sources au sein de l'exécutif. Interview, allocution, conférence de presse? Son entourage assurait vendredi que toutes les options étaient sur la table.

Elisabeth Borne, qui doit s'exprimer samedi devant le parti présidentiel Renaissance pour ce qui est présenté comme le début de "son acte II", semble s'être imposée... faute d'alternative, alors que les spéculations sur son remplacement allaient bon train depuis un mois.

Même si elle a échoué à "élargir la majorité" relative du gouvernement comme le lui demandait Emmanuel Macron, beaucoup s'accordent à dire qu'aucun autre ténor n'y parviendrait à ce stade.

Une des hypothèses à l'étude est qu'Elisabeth Borne présente sa démission au président, qui lui demanderait aussitôt de former un nouveau gouvernement, remanié et resserré, selon un cadre macroniste.

Ministres et élus du camp présidentiel s'accordent à trouver que l'équipe actuelle, pléthorique, n'est pas à la hauteur. "Il faut faire rentrer des têtes d'affiches politiques, des grandes gueules, des ministres qui ressemblent aux Français", s'emporte une source gouvernementale.

Quant au chef de l'Etat, il devrait réaffirmer son "cap" devant les Français autour des trois axes énoncés en mars: l'ordre républicain, le plein emploi et la réindustrialisation, et les progrès au quotidien autour de l'éducation, la santé et l'écologie.

Un ministre plaide pour qu'il traduise de manière "sonnante et trébuchante" pour les Français la future loi Travail qui devrait être une des priorités des prochaines semaines.

"Je ne lui demande qu'une chose, qu'il retourne sur le terrain", lance un autre. "Quand il le fait, ça marche!"

Des déplacements sont à l'étude dans la foulée de sa prise de parole, selon un macroniste: l'un dans le Nord, à Denain, sur le thème de l'industrie, et un autre sur l'éducation, à l'occasion duquel le président pourrait lui-même faire des annonces sur la rémunération des enseignants.

Mais ce scénario idéal reste tributaire de la réaction de la rue.

Comme Emmanuel Macron, rattrapé jusqu'aux Pays-Bas cette semaine, Mme Borne a été chahutée par des manifestants lors de la visite d'un supermarché d'Eure-et-Loir vendredi.

Présente à ses côtés, la ministre déléguée aux PME Oliva Grégoire l'admet: il est "fort possible" que la contestation "se poursuive". Mais positive-t-elle, "sur cinq personnes qu’on a croisées, trois étaient contre et deux soutenaient" la réforme. "On n'est pas à 5-0!".


France: les députés rejettent l'emblématique taxe Zucman, au grand dam de la gauche

Des députés du Rassemblement national applaudissent lors de l'examen des textes par la "niche parlementaire" du groupe d'extrême droite Rassemblement national, à l'Assemblée nationale, la chambre basse du parlement français, à Paris, le 30 octobre 2025. (AFP)
Des députés du Rassemblement national applaudissent lors de l'examen des textes par la "niche parlementaire" du groupe d'extrême droite Rassemblement national, à l'Assemblée nationale, la chambre basse du parlement français, à Paris, le 30 octobre 2025. (AFP)
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  • L’Assemblée nationale a refusé la proposition de taxe de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros (228 voix contre 172), symbole des tensions entre gauche et droite sur la justice fiscale
  • Le Premier ministre Sébastien Lecornu tente d’éviter une censure et de sauver le budget 2026 en multipliant les concessions à la gauche

PARIS: Les députés français ont rejeté vendredi l'emblématique taxe Zucman sur la taxation des ultra-riches, au grand dam de la gauche, à laquelle le Premier ministre Sébastien Lecornu a tenté de donner des gages pour parvenir à faire voter un budget.

Les parlementaires sont engagés dans de difficiles débats pour arriver à un compromis sur ce sujet qui relève du casse-tête dans un paysage politique très fragmenté, sans majorité nette à l'Assemblée nationale depuis la dissolution décidée en juin 2024 par Emmanuel Macron.

Défendue par la gauche, la taxe Zucman, qui visait à instaurer un impôt minimum de 2% sur les patrimoines de plus de 100 millions d'euros, a été rejetée par 228 députés contre 172.

Cette proposition, qui cristallisait les débats budgétaires, s'inspire des travaux du discret économiste Gabriel Zucman, chantre de la justice fiscale pour la gauche et adversaire des entreprises pour la droite et les libéraux, jusqu'au patron de LVMH, qui le qualifie de "pseudo universitaire".

Les députés ont également rejeté une version de compromis de cette taxe, proposée par les socialistes.

"Vous faites, par votre intransigeance, je le crains, le mauvais chemin", a dénoncé le socialiste Boris Vallaud. Le chef des députés PS a appelé dans la foulée à voter le rétablissement de l'Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) supprimé en 2017.

De son côté, la droite s'est réjouie: "On est contre les augmentations d'impôts qui vont tuer de l'emploi et tuer de l'activité économique", a réagi le chef des députés Les Républicains (LR), Laurent Wauquiez.

Le Premier ministre Lecornu a réfuté l'existence d'un "impôt miracle pour rétablir la justice fiscale", et demandé à ses ministres de réunir les représentants de groupes politiques pour tenter de trouver une voie d'atterrissage et s'accorder sur un budget pour 2026.

Minoritaire, le quatrième gouvernement en moins d'un an et demi, le sixième depuis la réélection de M. Macron en mai 2022, a promis de laisser le dernier mot au Parlement. Mais la recherche d'un compromis reste très difficile entre un camp présidentiel fracturé, une gauche traversée de tensions et une extrême droite favorable à une union des droites.

- Le PS maintient la pression -

La pression est forte entre des délais très courts et l'inquiétude croissante sur la situation des finances publiques de la deuxième économie de l'UE dont la dette atteint 115% du PIB.

Tout en insistant sur la nécessité de réaliser d'importantes économies, le Premier ministre doit donc accepter des concessions, au risque de ne pas parvenir à doter l'Etat français d'un budget dans les temps ou de tomber comme ses prédécesseurs.

Pour convaincre les socialistes de ne pas le renverser, Sébastien Lecornu a déjà accepté de suspendre la réforme des retraites adoptée au forceps en 2023, une mesure approuvée vendredi en commission parlementaire.

Face à la colère froide de la gauche après les votes de vendredi, il s'est dit prêt en outre à renoncer au gel des pensions de retraite et des minimas sociaux, des mesures parmi les plus contestées de cette séquence budgétaire et dont la suppression était dans le même temps votée en commission des Affaires sociales.

Le gouvernement comptait faire jusqu'à 3,6 milliards d'économies sur ces sujets, et pourrait compenser cela, au moins en partie, par une hausse de la Contribution sociale généralisée (CSG) sur le patrimoine.

Pour Sébastien Lecornu, il s'agit d'échapper à une censure du PS, qui maintient son étreinte et l'appelle à "encore rechercher le compromis" sous peine de devoir "repartir aux élections". A ce stade, "il n'y a pas de possibilité de voter ce budget", a lancé le patron des socialistes, Olivier Faure.

Si le Parlement ne se prononce pas dans les délais, le gouvernement peut exécuter le budget par ordonnance. Une loi spéciale peut aussi être votée permettant à l'Etat de continuer à percevoir les impôts existants l'an prochain, tandis que ses dépenses seraient gelées, en attendant le vote d'un réel budget.


France: le cimentier Lafarge jugé à partir de mardi pour financement du terrorisme

Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie. (AFP)
Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie. (AFP)
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  • Aux côtés de Lafarge, avalé en 2015 par le groupe suisse Holcim, seront jugés au tribunal correctionnel de Paris l'ancien PDG du cimentier, Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté et deux intermédiaires
  • Dans ce dossier, ils devront répondre de financement d'entreprise terroriste et, pour certains, de non-respect de sanctions financières internationales

PARIS: Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie.

Aux côtés de Lafarge, avalé en 2015 par le groupe suisse Holcim, seront jugés au tribunal correctionnel de Paris l'ancien PDG du cimentier, Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté et deux intermédiaires syriens, dont l'un est visé par un mandat d'arrêt international et devrait donc être absent au procès.

Dans ce dossier, ils devront répondre de financement d'entreprise terroriste et, pour certains, de non-respect de sanctions financières internationales.

Le groupe français est soupçonné d'avoir versé en 2013 et 2014, via sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria (LCS), plusieurs millions d'euros à des groupes rebelles jihadistes dont certains, comme l'EI et Jabhat al-Nosra, ont été classés comme "terroristes", afin de maintenir l'activité d'une cimenterie à Jalabiya, dans le nord du pays.

La société avait investi 680 millions d'euros dans ce site, dont la construction a été achevée en 2010.

Plaintes 

Alors que les autres multinationales avaient quitté le pays en 2012, Lafarge n'a évacué cette année-là que ses employés de nationalité étrangère, et maintenu l'activité de ses salariés syriens jusqu'en septembre 2014, date à laquelle l'EI a pris le contrôle de l'usine.

Dans ce laps de temps, LCS aurait rémunéré des intermédiaires pour s'approvisionner en matières premières auprès de l'EI et d'autres groupes, et pour que ces derniers facilitent la circulation des employés et des marchandises.

L'information judiciaire avait été ouverte à Paris en 2017 après plusieurs révélations médiatiques et deux plaintes en 2016, une du ministère de l'Économie pour violation d'embargo, et l'autre de plusieurs associations et de onze anciens salariés de LCS pour financement du terrorisme.

Le nouveau groupe, issu de la fusion de 2015, qui a toujours pris soin de dire qu'il n'avait rien à voir avec les faits antérieurs à cette opération, avait entretemps lancé une enquête interne.

Confiée aux cabinets d'avocats américain Baker McKenzie et français Darrois, elle avait conclu en 2017 à des "violations du code de conduite des affaires de Lafarge".

Et en octobre 2022, Lafarge SA avait plaidé coupable aux États-Unis d'avoir versé à l'EI et Jabhat Al-Nosra près de 6 millions de dollars, et accepté d'y payer une sanction financière de 778 millions de dollars.

Une décision dénoncée par plusieurs prévenus du dossier français, à commencer par Bruno Lafont, qui conteste avoir été informé des paiements aux groupes terroristes.

Plus de 200 parties civiles 

Selon ses avocats, ce plaider-coupable, sur lequel s'appuient en partie les juges d'instruction français dans leur ordonnance, "est une atteinte criante à la présomption d'innocence, qui jette en pâture les anciens cadres de Lafarge" et avait "pour objectif de préserver les intérêts économiques d'un grand groupe".

Pour la défense de l'ex-PDG, le procès qui s'ouvre permettra d'"éclaircir" plusieurs "zones d'ombre du dossier", comme le rôle des services de renseignement français.

Les magistrats instructeurs ont estimé que si des remontées d'informations avaient eu lieu entre les responsables sûreté de Lafarge et les services secrets sur la situation autour du site, cela ne démontrait "absolument pas la validation par l'Etat français des pratiques de financement d'entités terroristes mises en place par Lafarge en Syrie".

Au total, 241 parties civiles se sont à ce jour constituées dans ce dossier. "Plus de dix ans après les faits, les anciens salariés syriens pourront enfin témoigner de ce qu'ils ont enduré: les passages de check-points, les enlèvements et la menace permanente planant sur leurs vies", souligne Anna Kiefer, de l'ONG Sherpa.

Lafarge encourt jusqu'à 1,125 million d'euros d'amende pour le financement du terrorisme. Pour la violation d'embargo, l'amende encourue est nettement plus lourde, allant jusqu'à 10 fois le montant de l'infraction qui sera retenu in fine par la justice.

Un autre volet de ce dossier est toujours à l'instruction, le groupe ayant aussi été inculpé pour complicité de crimes contre l'humanité en Syrie et en Irak.


Gérald Darmanin visé par une plainte d'avocats pour son soutien implicite à Sarkozy

Ce collectif d'une trentaine d'avocats se dit dans sa plainte, portée par Me Jérôme Karsenti, "particulièrement indigné par les déclarations du garde des Sceaux" faisant part "publiquement de sa compassion à l'égard de M. Sarkozy en soulignant les liens personnels qu'ils entretiennent". (AFP)
Ce collectif d'une trentaine d'avocats se dit dans sa plainte, portée par Me Jérôme Karsenti, "particulièrement indigné par les déclarations du garde des Sceaux" faisant part "publiquement de sa compassion à l'égard de M. Sarkozy en soulignant les liens personnels qu'ils entretiennent". (AFP)
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  • Le garde des Sceaux a rencontré mercredi à la prison de la Santé à Paris l'ancien président de la République, un de ses mentors en politique
  • Mais la plainte des avocats est née bien avant, juste après des déclarations de M. Darmanin sur France Inter le 20 octobre, à la veille de l'incarcération de M. Sarkozy

PARIS: Ils accusent Gérald Darmanin de "prendre position": un collectif d'avocats a porté plainte auprès de la Cour de justice de la République (CJR) contre le ministre de la Justice pour son soutien implicite à Nicolas Sarkozy, à qui il a rendu visite en prison.

Le garde des Sceaux a rencontré mercredi à la prison de la Santé à Paris l'ancien président de la République, un de ses mentors en politique.

Mais la plainte des avocats est née bien avant, juste après des déclarations de M. Darmanin sur France Inter le 20 octobre, à la veille de l'incarcération de M. Sarkozy.

En confiant ce jour-là sa "tristesse" après la condamnation de M. Sarkozy et en annonçant lui rendre prochainement visite en prison, ce qu'il a fait depuis, M. Darmanin a "nécessairement pris position dans une entreprise dont il a un pouvoir d'administration", stipule la plainte que l'AFP a pu consulter.

M. Darmanin indiquait qu'il irait "voir en prison" M. Sarkozy pour s'inquiéter "de ses conditions de sécurité". Et d'ajouter: "J'ai beaucoup de tristesse pour le président Sarkozy", "l'homme que je suis, j'ai été son collaborateur, ne peut pas être insensible à la détresse d'un homme".

Ce collectif d'une trentaine d'avocats se dit dans sa plainte, portée par Me Jérôme Karsenti, "particulièrement indigné par les déclarations du garde des Sceaux" faisant part "publiquement de sa compassion à l'égard de M. Sarkozy en soulignant les liens personnels qu'ils entretiennent".

En "s'exprimant publiquement quant à sa volonté de rendre visite à M. Sarkozy en détention" ainsi "qu'en lui apportant implicitement son soutien", M. Darmanin a "nécessairement pris position" dans une entreprise dont il a aussi "un pouvoir de surveillance en tant que supérieur hiérarchique du parquet", déroulent les plaignants.

Juridiquement, ce collectif d'avocats porte plainte contre M. Darmanin pour "prise illégale d'intérêts", via une jurisprudence considérant que "l'intérêt" peut "être moral et plus précisément amical".

"Préjudice" 

"Il ne fait pas de doute que cet intérêt est de nature à compromettre l'impartialité et l'objectivité de M. Darmanin qui, en tant que ministre de la Justice, ne peut prendre position de cette manière dans une affaire pendante", argumentent les avocats.

Condamné le 25 septembre à cinq ans d'emprisonnement dans le dossier libyen pour association de malfaiteurs, l'ancien président a depuis déposé une demande de remise en liberté, que la justice doit examiner dans les prochaines semaines, avant son procès en appel en 2026.

Les propos de M. Darmanin sur France Inter avaient déjà ému la magistrature. Le plus haut procureur de France, Rémy Heitz, y avait vu un "risque d'obstacle à la sérénité" et donc "d'atteinte à l'indépendance des magistrats".

"S'assurer de la sécurité d'un ancien président de la République en prison, fait sans précédent, n'atteint en rien à l'indépendance des magistrats mais relève du devoir de vigilance du chef d'administration que je suis", s'était déjà défendu M. Darmanin sur X.

Pour le collectif d'avocats, "les déclarations" du ministre de la Justice, "suivies" de sa "visite rendue à la prison de la Santé", sont "susceptibles de mettre à mal la confiance que les justiciables ont dans la justice et leurs auxiliaires", que sont notamment les avocats.

Les "agissements" de M. Darmanin leur causent "ainsi un préjudice d'exercice et d'image qui rend nécessaire le dépôt de cette plainte auprès de la commission des requêtes" de la CJR, peut-on encore lire dans la plainte.

La CJR est la seule juridiction habilitée à poursuivre et juger les membres du gouvernement pour les crimes et délits commis dans l'exercice de leurs fonctions.