Les élections en Turquie et en Grèce pourraient mettre la solidarité transatlantique à rude épreuve

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Publié le Lundi 17 avril 2023

Les élections en Turquie et en Grèce pourraient mettre la solidarité transatlantique à rude épreuve

Les élections en Turquie et en Grèce pourraient mettre la solidarité transatlantique à rude épreuve
  • Les États-Unis ont joué un rôle important dans l’adoption de la résolution 395 du Conseil de sécurité de l’ONU
  • Alors que l'Allemagne fait de son mieux pour maintenir la Turquie dans la communauté euro-atlantique, la Grèce fait tout pour l’éloigner de ce groupe

La Turquie organisera des élections le 14 mai et la Grèce le 21 du même mois. En fonction des résultats, ces deux dates pourraient marquer le début d’une nouvelle ère entre ces voisins et alliés au sein de l’Otan. 

Le rôle de médiateur que les États-Unis avaient l’habitude de jouer dans les relations turco-grecques a désormais été repris par l’Allemagne. Le gouvernement dirigé par les socialistes d’Olaf Scholz tente activement d’aider à résoudre leurs désaccords. Les États-Unis, bien sûr, ont une plus grande influence dans toutes les affaires internationales, y compris dans les différends turco-grecs. Cependant, l’Allemagne a aussi l’avantage d’entretenir des relations de nature multiple avec la Turquie. Elle a servi de médiateur sur la question des réfugiés entre Ankara et Bruxelles. C’est le plus grand partenaire commercial de la Turquie parmi les pays de l’Union européenne (UE) et elle accueille également la plus grande communauté turque sur son territoire. 

Les tensions entre la Turquie et la Grèce se sont relativement apaisées après les initiatives diplomatiques qui ont suivi la catastrophe de février dans le sud de la Turquie. On peut donc supposer que la tâche de l’Allemagne sera facilitée si la tendance actuelle se maintient. Les ministres turcs et grecs des Affaires étrangères et de la Défense ont fait des déclarations apaisantes au sujet des relations futures entre les deux pays. 

Les relations entre la Turquie et la Grèce se caractérisaient par une impasse à partir de 1975 en raison du statut démilitarisé des îles de la mer Égée contrôlées par Athènes, y compris le contrôle de leur espace aérien, leurs zones de juridiction maritime ainsi que le statut des îles inhabitées et des formations géographiques. Les tensions ont augmenté en raison de considérations relatives à la politique intérieure. 

Les États-Unis ont joué un rôle important dans l’adoption de la résolution 395 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui exhortait les deux pays à éviter toute action unilatérale à la fois contre Chypre et dans la mer Égée. Dans le prolongement de cette résolution, la Turquie et la Grèce ont signé en 1976 à Berne, en Suisse, un accord au moyen duquel les deux pays s’engagent à ne prendre aucune mesure unilatérale en mer Égée. Malgré cela, la Grèce a commencé en 1987 des recherches sismiques au large de l’île de Thasos. Un autre conflit a éclaté en 1996 en raison des îles inhabitées d’Imia (Kardak), sans pour autant conduire à une confrontation sérieuse. Ces deux crises ont été contenues avec l’aide de la médiation américaine. 

Les États-Unis ne devraient pas jouer un rôle similaire sous l’administration Biden. Les relations turco-américaines sont aujourd’hui nettement moins solides, ce qui s’explique en partie par la guerre d’Ukraine, puisque la Turquie a refusé d’imposer des sanctions à la Russie. Mais Washington ne veut pas contrarier Ankara et la rapprocher de la Russie à un moment où les relations transatlantiques doivent encore être consolidées. Il aura également besoin de la coopération d’Ankara pour garantir l’adhésion de la Suède à l’Otan. 

Les États-Unis ne veulent pas contrarier Ankara et la rapprocher de la Russie à un moment où les relations transatlantiques doivent encore être consolidées. 

Yasar Yakis

Washington pourrait également souhaiter attendre et voir ce qui se passera lors des élections du mois prochain en Turquie et en Grèce. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a sévèrement critiqué l’ambassadeur américain après sa visite au siège du principal parti d’opposition, le Parti républicain du peuple, même si de telles visites sont une pratique bien établie en diplomatie. 

Les efforts de médiation du gouvernement allemand témoignent de l’importance qu’il attache à ses relations avec Ankara. Cependant, il n’est pas certain que cette dernière et Berlin partagent la même évaluation au sujet de la future architecture de défense de l’Europe. L’appréciation de Berlin sur ce point a peut-être évolué. Après la fin de la guerre froide, l’Allemagne croyait qu’elle pourrait façonner l’architecture européenne en coordination avec la Russie. Elle n’était pas opposée à une coopération économique avec Moscou. Au contraire, elle a établi de solides relations économiques avec la Russie et a décidé de construire un deuxième gazoduc à travers la mer Baltique. Elle a peut-être souhaité consolider davantage la coopération économique avec la Russie. Ce rêve a disparu avec l’invasion par la Russie de l’Ukraine. 

Aujourd’hui, l’Allemagne a changé d’avis. L’augmentation visible du budget militaire de l’Allemagne est le reflet de sa doctrine militaire. Berlin applique de fortes sanctions économiques à Moscou. L’Allemagne mettra probablement fin à sa dépendance vis-à-vis du gaz naturel russe dès que possible. Cela a dû lui démontrer l’importance du rôle futur de la Turquie dans l’architecture de défense européenne. 

La communauté transatlantique est mal à l’aise en raison des relations de travail entre Ankara et Moscou. D’autre part, la Turquie est déçue de la manière dont elle est traitée par la communauté euro-atlantique. Les relations de la Turquie avec cette dernière sont également retenues en otage par plusieurs pays de l’UE. Le pays a également été expulsé par les États-Unis du projet de coproduction d’avions de combat F-35, dans lequel Ankara avait investi des milliards de dollars. Plus de neuf cents composants de l’avion ont été fabriqués en Turquie. 

Alors que l'Allemagne fait de son mieux pour maintenir la Turquie dans la communauté euro-atlantique, la Grèce fait tout pour l’éloigner de ce groupe. C’est la raison pour laquelle les efforts de l’Allemagne pour garantir que la Turquie ne s’éloigne pas de cette communauté sont importants. 

On peut seulement espérer que, quels que soient les résultats des prochaines élections en Turquie et en Grèce, les ères postélectorales dans les deux pays ouvriront de nouveaux horizons à ces deux alliés de l’Otan. 

Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du parti AKP, au pouvoir. 

Twitter: @yakis_yasar 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français. 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com