France: Démocratie, où est ta victoire?

dans une manifestation contre la réforme des retraites à Lorient, en Bretagne, dans l'ouest de la France, le 28 mars 2023. (Photo FRED TANNEAU / AFP)
dans une manifestation contre la réforme des retraites à Lorient, en Bretagne, dans l'ouest de la France, le 28 mars 2023. (Photo FRED TANNEAU / AFP)
Short Url
Publié le Mercredi 19 avril 2023

France: Démocratie, où est ta victoire?

France: Démocratie, où est ta victoire?
  • En 2019, l’Insee estimait à 9,2 millions le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, sans compter 1,6 million de pauvres qui «échappent aux statistiques»
  • Selon L’Observatoire des inégalités, le niveau de vie des 10% les plus pauvres stagne depuis le début des années 2000

Que se passe-t-il en France, au cœur même de la société? Les années Covid, la guerre en Ukraine sont-elles pour quelque chose dans le désarroi de la population? Inflation, crise économique, et voilà qu’un rapport tombe qui rappelle le scandale des Ehpad: un rapport accablant sur la gestion des crèches, à la suite des témoignages sur la maltraitance et autres négligences dont sont victimes nombre de petits enfants… Autant de signes d’une société en crise qui méritent d’être «interrogés».
De la crèche à l’Ehpad, en passant par l’éducation nationale: jusqu’aux examens comme le bac, pour lesquels le ministère aurait ordonné au corps enseignant de l’indulgence en matière de notation: des professeurs dénoncent, en effet, des «relèvements de notes arbitraires» prescrits par la hiérarchie, comme en témoigne une agrégée d’histoire-géographie: «Je corrige le bac depuis dix-sept ans et c’est la première fois qu’on remonte mes notes ainsi!» Et de conclure: «En clair, il s’agit de faire en sorte que tout le monde atteigne le résultat d’au moins 10 sur 20 pour obtenir le bac» (1).
De la précarité à la pauvreté
Malgré les aides du gouvernement pour juguler l’inflation, et tout particulièrement sur les produits de consommation de base, les familles au revenu modeste peinent à remplir leur Caddie, se rabattent sur le «discount», et certaines ont depuis longtemps renoncé à la viande. La situation est pire, pour les étudiants. Depuis septembre 2022, la flambée des prix enregistrée dans le pays a des conséquences inimaginables dans un pays européen: «56% des étudiants avouent ne pas manger à leur faim»(2)! Les distributions alimentaires organisées tant bien que mal par le Secours populaire, les Restos du cœur ou la Croix-Rouge ne suffisent plus à enrayer la malbouffe.
En 2019, l’Insee estimait à 9,2 millions le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, sans compter 1,6 million de pauvres qui «échappent aux statistiques». Selon L’Observatoire des inégalités, le niveau de vie des 10% les plus pauvres stagne depuis le début des années 2000.
Selon une enquête de l'Ifop, citée par L’Express le 22 novembre 2022, 83% des Français considèrent l'avenir comme «inquiétant». Si le modèle social français (assurance maladie, notamment) est plébiscité, le modèle républicain, lui, ne bénéficie que de 23% de la confiance des Français. 74% d’entre eux n’ont pas confiance dans les parlementaires (députés et sénateurs).
C’est à cette situation qu’est venue s’ajouter la «crise démocratique» dénoncée par les syndicats, crise consécutive au recours par le gouvernement à l’article 49.3, dans la gestion du projet de réforme des retraites.
Une autre estimation donne un seuil de pauvreté en 2023 de 12 millions, soit 18,46% de la population française. Il s’avère que ces chiffres datent de 2018 (Insee). Selon le Secours populaire, le nombre d’aides alimentaires auraient atteint le niveau de celle de la Seconde Guerre mondiale!
Le citoyen français pourra toujours se rassurer en découvrant que son pays, comparé à d’autres pays voisins, n’est pas si mal loti: selon EU-SILC («Statistiques de l'Union européenne sur le revenu et les conditions de vie»), le taux de pauvreté en France (13,6) est inférieur à celui de l’Allemagne (14,8), de l’Italie (20,1) et de l’Espagne (20,7). Il n’empêche qu’en France, nous apprend l’Observatoire des inégalités, le niveau de vie mensuel des 10% les plus pauvres stagne depuis le début des années 2000. Il n’empêche, non plus, que, depuis trois ans, l’épidémie de Covid, la guerre en Ukraine et l’inflation n’ont fait qu’aggraver la situation et le moral des ménages.
De la «gestion des foules» en démocratie
Ajoutez à tous ces problèmes les violences urbaines, celles des «black blocs» qui se chargent de saboter les grandes manifestations pacifiques, après avoir sévi en 2018 et jusqu’en janvier 2023, en sabordant le mouvement des Gilets jaunes, et les revoilà qui, depuis des semaines, sévissent lors des manifestations pacifiques des syndicats contre la réforme des retraites.
Et puis, il y a les incivilités au quotidien, les règlements de compte entre trafiquants de drogues, et les rodéos urbains. Autant d’actes de violence qui ajoutent à la crise sociale, une crise sociétale, voire une «crise civique», comme l’a déclaré le 12 avril, sur France Info, la secrétaire générale de l’Association des maires de France (AMF), Ce qui a poussé l’AMF à créer un «Observatoire des agressions envers les élus»!... Et chose éminemment notable: on n’accuse plus la population des «cités» (lire: les immigrés), car aucune ville, même en province, n’est épargnée, et les rodéos urbains ne font pas dans le «séparatisme». Comme démuni de tout argument anti-immigré, un journaliste d’une chaîne d’info en continu a reproché ouvertement aux Français immigrés (sic) de ne pas se faire voir dans les manifestations contre la réforme des retraites!... Il reçut une réplique cinglante d’une Fatima, activiste et porteuse d’une banderole fustigeant le recours au 49.3.
Que les incivilités touchent jusqu’aux maires, alors que longtemps ils furent parmi les élus les plus respectés, il est d’autant plus triste de constater, avec l’AMF, que «Face aux incivilités, beaucoup de maires n’ont pas les moyens de réagir». L’État, lui, a tous les moyens nécessaires, mais ils sont concentrés le plus souvent sur les foules. Ou sur la «foule», tout court, pour reprendre le mot du président français qui parlait des milliers de manifestants à Paris. «La foule»? Curieusement, c’est la même expression de mépris en arabe (el-ghachi) qui fut utilisée par le pouvoir algérien en parlant des manifestants du Hirak… Du reste, on parle bien de la «gestion des foules». Une gestion qui a été décriée par la presse, à l’étranger. Ainsi, pour La Repubblica, «Macron défie l’Assemblée et le peuple»; et Courrier international n’hésite pas, citant le journal suisse Le Temps, à titrer: «Vu de Suisse: Violences policières en France: le discrédit d’une République»!
La République discréditée! Démocratie, où est ta victoire?

(1)  Marianne 
(2)  La Tribune 

Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).

Twitter: @SGuemriche

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.