L’Amérique, ou comment effacer l’identité arabe

Des Arabo-Américains se donnent la main lors d'un rassemblement pour l'unité devant l'hôtel de ville de Dearborn dans le Michigan (Photo, AFP).
Des Arabo-Américains se donnent la main lors d'un rassemblement pour l'unité devant l'hôtel de ville de Dearborn dans le Michigan (Photo, AFP).
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Publié le Mardi 02 mai 2023

L’Amérique, ou comment effacer l’identité arabe

L’Amérique, ou comment effacer l’identité arabe
  • Classés dans la catégorie MENA, les Arabes continueront d'être marginalisés et définis comme « moyen-orientaux », un amalgame d'identités diverses
  • Mais la catégorie MENA n'est nullement une victoire. Il s'agit plutôt d'un renforcement de tout ce sur quoi le racisme anti-arabe s'est construit

La Chambre des représentants des États-Unis a adopté le mois dernier une loi visant à inclure la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (MENA) comme catégorie à part entière dans la loi sur la classification raciale (Uniform Racial Classification Act). Le texte en question contraint les organismes d'État à compiler et à communiquer des données statistiques en utilisant des classifications raciales précises, définissant ainsi les groupes qui sont reconnus et ceux qui ne le sont pas.

Le racisme auquel les Arabes sont confrontés aux États-Unis et l'ignorance généralisée qui alimente la perception extrêmement négative des Américains à l'égard de la communauté arabe sont autant d’obstacles que la nouvelle catégorie MENA espère surmonter. Il a été plus facile de l'approuver sous cette appellation qu'une catégorie « arabe », même si cette dernière aurait eu un impact bien plus important sur la promotion des droits des Américains d'origine arabe.

Le Congrès américain ne souhaite nullement promouvoir les Américains d'origine arabe, qui se battent sans succès depuis plus de 50 ans pour leur reconnaissance et leur intégration. Les Arabes ont donc décidé de se contenter de ce qu'ils arrivent à obtenir et de considérer qu'il s'agit d'une victoire.

Mais la catégorie MENA n'est nullement une victoire. Il s'agit plutôt d'un renforcement de tout ce sur quoi le racisme anti-arabe s'est construit.

Le racisme est une force puissante en Amérique, un pays presque entièrement construit sur l'accueil des immigrés. Paradoxalement, c'est cette diversité qui a alimenté le racisme. Chaque groupe d'immigrés arrivant en Amérique – des Irlandais aux Allemands, des Italiens aux Chinois – a été confronté à une certaine forme de racisme. Les Arabes ne dérogent pas à la règle. Cependant, les Arabes ont également dû faire face à des défis qui leur sont propres, motivés par les politiques étrangères des administrations successives de Washington. Cette dimension politique du racisme anti-arabe, qui englobe le conflit avec Israël, est venu nourrir le sentiment anti-arabe de manière irréversible.

À l'origine du problème se trouve le recensement américain, qui dénombre et catégorise tous les résidents des États-Unis tous les dix ans. Le fait d’être inclus dans le recensement en tant que groupe racisé est la base de l'autonomisation dans une nation construite sur l'histoire des immigrés. Le recensement attribue un pouvoir à des groupes racisés spécifiques et ordonne l'octroi de subventions pour soutenir leurs activités et leurs besoins. Il permet également d'exercer un pouvoir politique en reconnaissant les regroupements géographiques de personnes racisées.

Classés dans la catégorie MENA, les Arabes continueront d'être marginalisés et définis comme « moyen-orientaux », un amalgame d'identités diverses.

 

Ray HANANIA

Par exemple, si certaines régions d'un État présentent une forte concentration d'un certain groupe racisé, comme les Hispaniques, le gouvernement américain est tenu d'inclure le plus grand nombre possible de membres de ce groupe racisé dans les limites d'une ou de plusieurs circonscriptions du Congrès. L’objectif d’une telle démarche est de donner à la communauté une voix plus forte et d'aboutir à l'élection de ses propres candidats au Congrès. Cette disposition a surtout permis aux Hispaniques, aux Noirs, aux Asiatiques et à d'autres groupes racisés « acceptés » de bénéficier d'une représentation tant au niveau des États qu'au niveau fédéral. Le recensement empêche les politiciens de séparer les communautés pour les diviser et affaiblir leur voix.

Mais ces avantages ne s'appliquent pas aux Arabes, puisqu’ils ne sont pas reconnus comme un groupe racisé distinct. Les organisations arabo-américaines ont renoncé à se battre pour les principes supérieurs qui sont censés être garantis à tous les Américains, y compris les Américains d’origine arabe, et ont abandonné la demande d'inclusion du terme « arabe » dans la loi sur la classification raciale.

Au lieu de réclamer un siège à la table où ils pourraient partager équitablement les parts du gâteau – à savoir, tous les atouts et les pouvoirs que l'Amérique offre – ils ont choisi de se contenter des miettes.

Le fait d’avoir choisi une catégorie « MENA » plutôt qu’une catégorie « arabe » est un signe de faiblesse. Cette appellation enterrera à jamais la demande de reconnaissance des Arabes en tant qu'égaux dans une société où tous les autres groupes racisés sont identifiés et responsabilisés.

Classés dans la catégorie MENA, les Arabes continueront d'être marginalisés et définis comme
« moyen-orientaux », un amalgame d'identités diverses. L'arabité, la véritable identité du monde arabe et du peuple arabe, sera balayée sous le tapis et les Arabes seront contraints de se faire concurrence pour obtenir les droits qu'ils méritent mais qui leur sont refusés depuis des générations en Amérique.

Tout ce pour quoi les Américains d’origine arabe se sont battus sera perdu, brouillé, marginalisé, politiquement dilué.

L'adoption du terme MENA pourrait même conduire le système éducatif américain à effacer le terme « arabe » du cursus, ce qui ne manquerait pas de réjouir ceux qui détestent les Arabes.

Ray Hanania est un ancien journaliste politique et chroniqueur à l'hôtel de ville de Chicago. Il est joignable sur son site web à l'adresse www.hanania.com.

Twitter: @RayHanania

Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.