Retraites: après le 1er mai, les syndicats au défi de l'unité pour la suite

Un gilet jaune de fortune portant le slogan "Macron démissionne" orne le Monument à la République, sur la place de la République à Paris lors d'une manifestation le 1er mai (fête du travail), pour marquer la journée internationale des travailleurs, plus d'un mois après le gouvernement a fait adopter une loi impopulaire sur la réforme des retraites au parlement, à Paris, le 1er mai 2023. (Photo AFP)
Un gilet jaune de fortune portant le slogan "Macron démissionne" orne le Monument à la République, sur la place de la République à Paris lors d'une manifestation le 1er mai (fête du travail), pour marquer la journée internationale des travailleurs, plus d'un mois après le gouvernement a fait adopter une loi impopulaire sur la réforme des retraites au parlement, à Paris, le 1er mai 2023. (Photo AFP)
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Publié le Mercredi 03 mai 2023

Retraites: après le 1er mai, les syndicats au défi de l'unité pour la suite

  • Les responsables syndicaux se réunissent en visioconférence dans la matinée, au lendemain d'un 1er mai qui a rassemblé près de 800.000 manifestants en France selon la police (et 2,3 millions selon la CGT)
  • Pour entretenir la contestation, les syndicats ont maintenant "deux échéances dans le viseur", selon Sophie Binet (CGT)

PARIS: Après une 13e journée de mobilisation réussie lors du 1er mai, les syndicats doivent décider mardi de la suite à donner au mouvement contre la réforme des retraites en gérant leurs divergences face aux invitations de l'exécutif à reprendre le dialogue sur d'autres sujets.

Les responsables syndicaux se réunissent en visioconférence dans la matinée, au lendemain d'un 1er mai qui a rassemblé près de 800.000 manifestants en France selon la police (et 2,3 millions selon la CGT).

Sans atteindre les niveaux record de la fin janvier, lorsque près de 1,3 million de personnes avaient défilé selon le ministère de l'Intérieur, la mobilisation lors de cette première fête du Travail unitaire depuis 2009 est restée forte après 12 journées de défilés et bien au-delà d'un 1er mai classique.

Pour Frédéric Souillot (FO), "cette mobilisation massive et déterminée nous oblige à continuer dans l'unité syndicale à combattre cette loi" bien qu'elle ait été pour l'essentiel validée par le Conseil constitutionnel et doive entrer en vigueur en septembre.

1er-mai: 540 interpellations et 406 policiers et gendarmes blessés en France

Un total de 540 personnes ont été interpellées en France, dont 305 à Paris, lors des manifestations du 1er-mai, a dit mardi le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, ajoutant que 406 policiers et gendarmes ont été blessés sur le territoire national.

Dans la capitale, 259 policiers et gendarmes ont été blessés, a précisé le ministre, interrogé sur BFMTV. "Il faut avoir les sanctions pénales les plus fermes contre ceux qui s'en prennent aux forces de l'ordre", a-t-il ajouté, appelant à une "loi anti-casseurs".

En France, "61 manifestants ont été blessés, dont 32 à Paris", a ensuite ajouté Gérald Darmanin.

Parmi les policiers et gendarmes blessés, "trois sont dans une situation extrêmement difficile, même si leur pronostic vital n'est pas engagé", a détaillé le ministre. Le policier ayant reçu un cocktail Molotov dans la manifestation parisienne "a été brûlé au visage, il est encore hospitalisé", a-t-il ajouté.

"Où est la condamnation de M. (Jean-Luc) Mélenchon contre l'attaque de ce policier ?", a ensuite lancé Gérald Darmanin, en s'en prenant à plusieurs reprises au leader de la France Insoumise, l'accusant de ne pas assez condamner les violences. "Son silence le rend complice", a encore affirmé le ministre.

Parmi les forces de l'ordre blessées à Paris, 31 ont été hospitalisées, a précisé Laurent Nuñez sur France Info.

"Il y avait un niveau de violence dans le pré-cortège, chez les casseurs, chez les individus ultras qui a dépassé largement le niveau de violence qu'on avait constaté sur les douze dernières manifestations", a estimé le préfet de police de Paris.

Laurent Nuñez s'est par ailleurs félicité de l'usage des drones pendant la manifestation qui a permis de constater la présence "au sein de ce pré-cortège de quatre +nébuleuses+ violentes, de quatre black blocs constitués".

L'usage de drones par les forces de l'ordre lors du cortège parisien du 1er-Mai, décidé par la préfecture de police dans la foulée d'un décret récent, avait été autorisé par le tribunal administratif de Paris après le rejet d'un recours porté par des organisations de défense des libertés.

Pour entretenir la contestation, les syndicats ont maintenant "deux échéances dans le viseur", selon Sophie Binet (CGT).

A très court terme, ils attendent la décision du Conseil constitutionnel qui doit se prononcer mercredi sur une deuxième demande de référendum d'initiative partagée (RIP).

Mais, refroidis par la première décision des Sages le 14 avril qui avait rejeté cette première demande, ils se montrent prudents. Laurent Berger y croit "plus ou moins" alors que, pour Sophie Binet, "le RIP a été rédigé pour ne pas fonctionner".

Objectif 8 juin

A moyen terme, les syndicats mettent davantage d'espoir dans la discussion à l'Assemblée nationale le 8 juin d'une proposition de loi du groupe Liot visant à abroger la réforme.

Pour Mme Binet qui rappelle que la motion de censure n'a échoué "qu'à neuf voix près" après l'usage du 49-3, les députés ont "la sortie du conflit entre les mains". Un vote favorable ne serait que le début d'un parcours parlementaire, mais ce serait une claque pour l'exécutif. "Il y a forcément un risque parce que nous sommes dans une majorité relative", a reconnu le ministre du Travail Olivier Dussopt sur LCI lundi soir.

Cette date pourrait servir de motif à l'organisation d'une nouvelle journée d'action.

Mais d'ici là, les syndicats vont devoir s'efforcer de gérer leurs divergences qui apparaissent face aux invitations pressantes de l'exécutif à reprendre le dialogue sur un agenda qui va de la réforme de France Travail, du RSA ou du lycée professionnel à des négociations sur l'emploi des seniors ou les conditions de travail.

Elisabeth Borne doit envoyer des invitations en ce sens aux syndicats dans les jours qui viennent, sans qu'elle ait précisé le format de ces rencontres, bilatérales ou multilatérales.

D'ores et déjà, Laurent Berger a annoncé que la CFDT "irait discuter" avec la Première ministre tandis que Sophie Binet a botté en touche, rappelant que l'intersyndicale avait prévu de prendre la décision "ensemble".

Mais "l'agenda gouvernemental, avec la réforme du travail et du lycée professionnel, ne nous convient pas", a-t-elle prévenu.

"On n'a jamais dit qu'on était d'accord sur tout(...) C'est pas la fin de l'intersyndicale. Demain on s'exprimera en commun et on dira ce qu'on va faire dans les semaines à venir", a relativisé Laurent Berger, invité lundi de l'émission Quotidien sur TMC.

Mais, si la proposition de loi Liot n'est pas votée le 8 juin, "je ne vais pas raconter d'histoire, je ne vais pas dire qu'on va faire une 15ème, 16ème, 17ème journée de mobilisation qui fera céder le gouvernement et le président de la République", a-t-il reconnu.

Les autres syndicats "réformistes", CFE-CGC et CFTC ont déjà dit eux aussi qu'ils iraient également aux réunions avec l'exécutif. "On ne peut pas indéfiniment sécher les réunions à Matignon. Il faut un rapport de force rénové, c'est l'écriture d'un nouveau chapitre", a plaidé François Hommeril (CFE-CGC).


Les députés s'apprêtent à baisser le rideau sur la partie «recettes» du budget de l'Etat

Les députés bouclent lundi huit jours de débats sur la partie "recettes" du budget de l'Etat, sans espoir de voter sur ce premier volet mardi comme initialement prévu. Mais à l'heure où chacun dresse un premier bilan, il semble peu probable que le texte puisse trouver une majorité dans l'hémicycle. (AFP)
Les députés bouclent lundi huit jours de débats sur la partie "recettes" du budget de l'Etat, sans espoir de voter sur ce premier volet mardi comme initialement prévu. Mais à l'heure où chacun dresse un premier bilan, il semble peu probable que le texte puisse trouver une majorité dans l'hémicycle. (AFP)
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  • Au menu lundi, la poursuite des discussions sur la justice fiscale, avec notamment des amendements sur la taxation des plus-values immobilières, ou les droits de succession
  • La ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin devrait dresser un bilan des mesures adoptées jusqu'à présent

PARIS: Les députés bouclent lundi huit jours de débats sur la partie "recettes" du budget de l'Etat, sans espoir de voter sur ce premier volet mardi comme initialement prévu. Mais à l'heure où chacun dresse un premier bilan, il semble peu probable que le texte puisse trouver une majorité dans l'hémicycle.

Au menu lundi, la poursuite des discussions sur la justice fiscale, avec notamment des amendements sur la taxation des plus-values immobilières, ou les droits de succession.

La ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin devrait dresser un bilan des mesures adoptées jusqu'à présent.

Les députés s'empareront mardi en séance du budget de la Sécurité sociale, rejeté en commission vendredi.

Celui-ci doit faire l'objet d'un vote solennel le 12 novembre, après lequel pourront reprendre les discussions sur le projet de loi de finances, jusqu'au plus tard le 23 novembre à minuit - les délais constitutionnels obligeant alors le gouvernement à transmettre le texte au Sénat. Le gouvernement tablait ces jours-ci sur un vote le 18 novembre pour la partie "recettes" du budget de l'Etat.

Mais d'ores et déjà le rapporteur général du Budget, Philippe Juvin (LR), anticipe son rejet: "Je ne vois pas très bien comment cette partie 1 pourrait être votée, parce qu'en fait elle ne va satisfaire personne", a-t-il dit sur LCI dimanche.

En cas de rejet de cette première partie, le projet de budget partirait au Sénat dans sa version initiale.

"Ecœurement" 

L'adoption du texte nécessiterait l'abstention des socialistes et des écologistes (et le vote positif de la coalition gouvernementale). Or rien ne la laisse présager à ce stade.

Le chef des députés PS, Boris Vallaud, a ainsi fait part dans une interview à La Tribune Dimanche de son "écœurement", après le rejet vendredi de la taxe Zucman sur le patrimoine des ultra-riches, et alors que la gauche peine de manière générale à "mettre de la justice dans ce budget".

"Si on devait nous soumettre le budget aujourd'hui, nous voterions évidemment contre, en sachant tout ce que cela implique, à savoir la chute du gouvernement", a ajouté celui dont le groupe avait décidé de laisser sa chance à Sébastien Lecornu en ne le censurant pas.

Les écologistes se montrent eux aussi sévères, vis-à-vis du gouvernement mais aussi des socialistes, dont ils semblent critiquer une quête du compromis à tout prix: "Je ne comprends plus ce que fait le PS", a déclaré la patronne des députés écolos Cyrielle Chatelain sur franceinfo vendredi soir.

Mais le texte ne fait pas seulement des mécontents à gauche. Le gouvernement a lui aussi marqué ses réticences face à des votes souvent contraires à ses avis, qui ont abouti à alourdir la pression fiscale.

"Je pense qu'il faut qu'on arrête de créer des impôts (...) Aujourd'hui, si je compte les mesures sur l'impôt des multinationales, sur les rachats d'actions, sur la taxe sur les super-dividendes et l'ensemble des amendements qui ont été votés, le taux de prélèvements obligatoires atteindrait au moins (...) 45,1% du PIB, c'est plus qu'en 2013 où il était à 44,8%", a fustigé Amélie de Montchalin vendredi soir.

"Sorcellerie fiscale" 

Le ministre de l'Economie Roland Lescure a lui mis en garde contre la "sorcellerie fiscale" et le vote de mesures "totalement inopérantes". Particulièrement dans son viseur, une "taxe Zucman" sur les multinationales censées rapporter 26 milliards d'euros, selon son initiateur Eric Coquerel, le président LFI de la commission des Finances.

Montré du doigt par la droite pour son soutien à la mesure, le Rassemblement national a assumé son vote: le président du RN Jordan Bardella a défendu sur X un "mécanisme de lutte contre la fraude fiscale des grandes multinationales étrangères".

Sur France Inter dimanche, le vice-président du RN Sébastien Chenu a cependant fustigé un budget "de bric et de broc", qui crée "beaucoup d'impôts" sans s'attaquer "aux dépenses toxiques".

Vendredi, reconnaissant les limites de la discussion budgétaire pour parvenir à une copie d'ensemble cohérente, le Premier ministre a demandé "à l'ensemble des ministres concernés" de réunir les représentants des groupes pour "essayer de se mettre d'accord sur les grands principes de l'atterrissage d'un texte pour la Sécurité sociale et pour le projet de loi de finances".

 


France: les députés rejettent l'emblématique taxe Zucman, au grand dam de la gauche

Des députés du Rassemblement national applaudissent lors de l'examen des textes par la "niche parlementaire" du groupe d'extrême droite Rassemblement national, à l'Assemblée nationale, la chambre basse du parlement français, à Paris, le 30 octobre 2025. (AFP)
Des députés du Rassemblement national applaudissent lors de l'examen des textes par la "niche parlementaire" du groupe d'extrême droite Rassemblement national, à l'Assemblée nationale, la chambre basse du parlement français, à Paris, le 30 octobre 2025. (AFP)
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  • L’Assemblée nationale a refusé la proposition de taxe de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros (228 voix contre 172), symbole des tensions entre gauche et droite sur la justice fiscale
  • Le Premier ministre Sébastien Lecornu tente d’éviter une censure et de sauver le budget 2026 en multipliant les concessions à la gauche

PARIS: Les députés français ont rejeté vendredi l'emblématique taxe Zucman sur la taxation des ultra-riches, au grand dam de la gauche, à laquelle le Premier ministre Sébastien Lecornu a tenté de donner des gages pour parvenir à faire voter un budget.

Les parlementaires sont engagés dans de difficiles débats pour arriver à un compromis sur ce sujet qui relève du casse-tête dans un paysage politique très fragmenté, sans majorité nette à l'Assemblée nationale depuis la dissolution décidée en juin 2024 par Emmanuel Macron.

Défendue par la gauche, la taxe Zucman, qui visait à instaurer un impôt minimum de 2% sur les patrimoines de plus de 100 millions d'euros, a été rejetée par 228 députés contre 172.

Cette proposition, qui cristallisait les débats budgétaires, s'inspire des travaux du discret économiste Gabriel Zucman, chantre de la justice fiscale pour la gauche et adversaire des entreprises pour la droite et les libéraux, jusqu'au patron de LVMH, qui le qualifie de "pseudo universitaire".

Les députés ont également rejeté une version de compromis de cette taxe, proposée par les socialistes.

"Vous faites, par votre intransigeance, je le crains, le mauvais chemin", a dénoncé le socialiste Boris Vallaud. Le chef des députés PS a appelé dans la foulée à voter le rétablissement de l'Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) supprimé en 2017.

De son côté, la droite s'est réjouie: "On est contre les augmentations d'impôts qui vont tuer de l'emploi et tuer de l'activité économique", a réagi le chef des députés Les Républicains (LR), Laurent Wauquiez.

Le Premier ministre Lecornu a réfuté l'existence d'un "impôt miracle pour rétablir la justice fiscale", et demandé à ses ministres de réunir les représentants de groupes politiques pour tenter de trouver une voie d'atterrissage et s'accorder sur un budget pour 2026.

Minoritaire, le quatrième gouvernement en moins d'un an et demi, le sixième depuis la réélection de M. Macron en mai 2022, a promis de laisser le dernier mot au Parlement. Mais la recherche d'un compromis reste très difficile entre un camp présidentiel fracturé, une gauche traversée de tensions et une extrême droite favorable à une union des droites.

- Le PS maintient la pression -

La pression est forte entre des délais très courts et l'inquiétude croissante sur la situation des finances publiques de la deuxième économie de l'UE dont la dette atteint 115% du PIB.

Tout en insistant sur la nécessité de réaliser d'importantes économies, le Premier ministre doit donc accepter des concessions, au risque de ne pas parvenir à doter l'Etat français d'un budget dans les temps ou de tomber comme ses prédécesseurs.

Pour convaincre les socialistes de ne pas le renverser, Sébastien Lecornu a déjà accepté de suspendre la réforme des retraites adoptée au forceps en 2023, une mesure approuvée vendredi en commission parlementaire.

Face à la colère froide de la gauche après les votes de vendredi, il s'est dit prêt en outre à renoncer au gel des pensions de retraite et des minimas sociaux, des mesures parmi les plus contestées de cette séquence budgétaire et dont la suppression était dans le même temps votée en commission des Affaires sociales.

Le gouvernement comptait faire jusqu'à 3,6 milliards d'économies sur ces sujets, et pourrait compenser cela, au moins en partie, par une hausse de la Contribution sociale généralisée (CSG) sur le patrimoine.

Pour Sébastien Lecornu, il s'agit d'échapper à une censure du PS, qui maintient son étreinte et l'appelle à "encore rechercher le compromis" sous peine de devoir "repartir aux élections". A ce stade, "il n'y a pas de possibilité de voter ce budget", a lancé le patron des socialistes, Olivier Faure.

Si le Parlement ne se prononce pas dans les délais, le gouvernement peut exécuter le budget par ordonnance. Une loi spéciale peut aussi être votée permettant à l'Etat de continuer à percevoir les impôts existants l'an prochain, tandis que ses dépenses seraient gelées, en attendant le vote d'un réel budget.


France: le cimentier Lafarge jugé à partir de mardi pour financement du terrorisme

Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie. (AFP)
Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie. (AFP)
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  • Aux côtés de Lafarge, avalé en 2015 par le groupe suisse Holcim, seront jugés au tribunal correctionnel de Paris l'ancien PDG du cimentier, Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté et deux intermédiaires
  • Dans ce dossier, ils devront répondre de financement d'entreprise terroriste et, pour certains, de non-respect de sanctions financières internationales

PARIS: Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie.

Aux côtés de Lafarge, avalé en 2015 par le groupe suisse Holcim, seront jugés au tribunal correctionnel de Paris l'ancien PDG du cimentier, Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté et deux intermédiaires syriens, dont l'un est visé par un mandat d'arrêt international et devrait donc être absent au procès.

Dans ce dossier, ils devront répondre de financement d'entreprise terroriste et, pour certains, de non-respect de sanctions financières internationales.

Le groupe français est soupçonné d'avoir versé en 2013 et 2014, via sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria (LCS), plusieurs millions d'euros à des groupes rebelles jihadistes dont certains, comme l'EI et Jabhat al-Nosra, ont été classés comme "terroristes", afin de maintenir l'activité d'une cimenterie à Jalabiya, dans le nord du pays.

La société avait investi 680 millions d'euros dans ce site, dont la construction a été achevée en 2010.

Plaintes 

Alors que les autres multinationales avaient quitté le pays en 2012, Lafarge n'a évacué cette année-là que ses employés de nationalité étrangère, et maintenu l'activité de ses salariés syriens jusqu'en septembre 2014, date à laquelle l'EI a pris le contrôle de l'usine.

Dans ce laps de temps, LCS aurait rémunéré des intermédiaires pour s'approvisionner en matières premières auprès de l'EI et d'autres groupes, et pour que ces derniers facilitent la circulation des employés et des marchandises.

L'information judiciaire avait été ouverte à Paris en 2017 après plusieurs révélations médiatiques et deux plaintes en 2016, une du ministère de l'Économie pour violation d'embargo, et l'autre de plusieurs associations et de onze anciens salariés de LCS pour financement du terrorisme.

Le nouveau groupe, issu de la fusion de 2015, qui a toujours pris soin de dire qu'il n'avait rien à voir avec les faits antérieurs à cette opération, avait entretemps lancé une enquête interne.

Confiée aux cabinets d'avocats américain Baker McKenzie et français Darrois, elle avait conclu en 2017 à des "violations du code de conduite des affaires de Lafarge".

Et en octobre 2022, Lafarge SA avait plaidé coupable aux États-Unis d'avoir versé à l'EI et Jabhat Al-Nosra près de 6 millions de dollars, et accepté d'y payer une sanction financière de 778 millions de dollars.

Une décision dénoncée par plusieurs prévenus du dossier français, à commencer par Bruno Lafont, qui conteste avoir été informé des paiements aux groupes terroristes.

Plus de 200 parties civiles 

Selon ses avocats, ce plaider-coupable, sur lequel s'appuient en partie les juges d'instruction français dans leur ordonnance, "est une atteinte criante à la présomption d'innocence, qui jette en pâture les anciens cadres de Lafarge" et avait "pour objectif de préserver les intérêts économiques d'un grand groupe".

Pour la défense de l'ex-PDG, le procès qui s'ouvre permettra d'"éclaircir" plusieurs "zones d'ombre du dossier", comme le rôle des services de renseignement français.

Les magistrats instructeurs ont estimé que si des remontées d'informations avaient eu lieu entre les responsables sûreté de Lafarge et les services secrets sur la situation autour du site, cela ne démontrait "absolument pas la validation par l'Etat français des pratiques de financement d'entités terroristes mises en place par Lafarge en Syrie".

Au total, 241 parties civiles se sont à ce jour constituées dans ce dossier. "Plus de dix ans après les faits, les anciens salariés syriens pourront enfin témoigner de ce qu'ils ont enduré: les passages de check-points, les enlèvements et la menace permanente planant sur leurs vies", souligne Anna Kiefer, de l'ONG Sherpa.

Lafarge encourt jusqu'à 1,125 million d'euros d'amende pour le financement du terrorisme. Pour la violation d'embargo, l'amende encourue est nettement plus lourde, allant jusqu'à 10 fois le montant de l'infraction qui sera retenu in fine par la justice.

Un autre volet de ce dossier est toujours à l'instruction, le groupe ayant aussi été inculpé pour complicité de crimes contre l'humanité en Syrie et en Irak.