Les finances précaires de l'Irak au premier rang des préoccupations

Le gouverneur saoudien de la région des frontières du Nord, le prince Faisal bin Khalid bin Sultan, à l'ouverture du poste-frontière d'Arar, le 18 novembre 2020 (Photo, Reuters)
Le gouverneur saoudien de la région des frontières du Nord, le prince Faisal bin Khalid bin Sultan, à l'ouverture du poste-frontière d'Arar, le 18 novembre 2020 (Photo, Reuters)
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Publié le Vendredi 04 décembre 2020

Les finances précaires de l'Irak au premier rang des préoccupations

Les finances précaires de l'Irak au premier rang des préoccupations
  • Les ventes de pétrole fournissent 95% des revenus du pays
  • Le ministre a averti que le pays devrait soit adopter une politique d’austérité, soit faire faillite

Au début du mois dernier, le premier ministre irakien Mustafa Al-Kadhimi a terminé son premier semestre de mandat. Porteur d’espoir, soutenu par les politiciens irakiens au sein d’une situation conflictuelle, ses réalisations suscitent pourtant peu d’enthousiasme dans la rue. La plupart des irakiens considèrent qu’il a de bonnes intentions, mais qu’il est impuissant face aux divers défis du pays: la violence, les profondes divisions nationales, et surtout, l’état de l’économie.

La pandémie, combinée à la chute des prix du pétrole, a très durement frappé l'Irak. Les ventes de pétrole fournissent 95% des revenus du pays et en 2019, les revenus des ventes de pétrole qui s'élevaient à 6,5 milliards de dollars par mois se sont effondrés à 1,4 milliard de dollars en avril. Les recettes sont remontées à environ 3 milliards de dollars à partir de mai, chiffre qui cependant ne suffit pas pour payer les salaires et autres prestations des 4 millions d’employés du secteur public. Le gouvernement se voit donc obligé d’emprunter 3 milliards de dollars par mois à la banque centrale.

Cette stratégie de vivre au jour le jour s’est poursuivie: le 12 novembre, le parlement irakien approuvait un emprunt gouvernemental de 10 milliards de dollars supplémentaires, un montant à peine suffisant pour faire face à la masse salariale jusqu'à fin décembre.

La situation de l’Irak préoccupe la communauté internationale. Une «alliance financière internationale», composée des pays du G7, de la Banque Mondiale, ainsi que d’institutions financières européennes et irakiennes, a créé en octobre le Groupe de contact économique irakien pour soutenir les réformes et promouvoir la stabilité et la croissance. Le ministre des Finances Ali Allawi s'est toutefois concentré sur une autre priorité - récupérer les 150 milliards de dollars qu'il affirme avoir été «volés» à l'Irak, et qui se trouvent dans des banques étrangères.

Alors qu’il gère les finances défaillantes de son pays, Allaoui s’est exprimé en public le mois dernier, condamnant la corruption endémique dans le pays. Il a indiqué que de modestes emplois administratifs aux postes frontières sont cédés en échange de montants qui varient entre 50 000 et 100 000 dollars, de sorte que les caisses du gouvernement ne reçoivent que 10% des recettes. Étant donné que les prix du pétrole ne devraient pas augmenter avant longtemps, le ministre a averti que le pays devrait soit adopter une politique d’austérité, soit faire faillite. Jusqu'à présent, a-t-il souligné, il n'y avait pas de preneur pour l'austérité.

La complaisance du gouvernement envers ses employés- qui ne représentent que onze pour cent de la main-d'œuvre - n'apporte guère de réconfort à ceux qui mènent une existence misérable dans le principal secteur officieux du pays: le travail occasionnel rémunéré à la journée. Ces travailleurs ont été réduits à la pauvreté absolue par les confinements successifs imposés par la pandémie, ce qui a propulsé de 10% le niveau de pauvreté en Irak. Les efforts du gouvernement pour améliorer leur situation et redémarrer l’économie ont créé une augmentation exponentielle des cas de coronavirus. L'Irak compte aujourd'hui plus d'un demi-million de cas, le taux le plus élevé de la région après la Turquie et l'Iran, ainsi que 12 000 décès.

Bien que l'Irak soit loin de la violence sectaire meurtrière de la dernière décennie, la menace de Daech reste présente. En août, le directeur de la lutte antiterroriste à l’ONU, Vladimir Voronkov, a estimé que 10 000 combattants de Daech sont actifs en Syrie et en Irak. Ils ont mené au moins trois attaques majeures en Irak au cours du mois dernier, et ont tué un chef de tribu dans la région de Diyala près de la frontière iranienne. Ils ont également tué onze autres personnes - pour la plupart issus des Unités de Mobilisation Populaire - à un poste d'observation à Al-Radwaniyah, au sud-ouest de Bagdad, en plus de lancer une attaque à la roquette sur la raffinerie de Siniya dans la province de Salahuddin.

Ces attaques, conjuguées à l’assassinat de huit jeunes sunnites dans la province de Salahuddin en octobre, pourraient aggraver les divisions sectaires à peine cicatrisées, et raviver les conflits qui ont ravagé le pays. Des politiciens sunnites se sont servis du meurtre de ces jeunes pour promouvoir une alliance sunnite en vue de créer une province autonome à majorité sunnite à Anbar, la plus grande province d’Irak et qui a des frontières communes avec la Syrie, la Jordanie et l’Arabie saoudite. Heureusement pour l'Irak, ces politiciens ont peu de crédibilité. On estime que la plupart sont motivés par des ambitions personnelles, et nombre d’entre eux ont un bilan peu recommandable de corruption.

La bonne nouvelle est que la province d'Anbar est au centre d'un grand projet de coopération saoudo-irakien. Depuis avril 2018, le Conseil de Coordination saoudo-irakien poursuit les investissements saoudiens dans un projet agricole à Anbar. Couvrant un million d'hectares, le projet prévoit la création d'installations de production agricole et de transformation alimentaire, avec la création possible de 30 000 emplois. La région contient des terres agricoles riches en raison de la présence des lacs Habbaniyah, Razaza et Sawa, ainsi que du barrage de Haditha, qui constitue un réservoir majeur. La province comprend aussi de nombreuses sources dans le désert, et qui ont subvenu aux besoins des petites fermes pendant des siècles.

Les relations saoudo-irakiennes ont été marquées par l’ouverture le mois dernier du poste-frontière d’Arar pour la première fois en trente ans. Initialement un point d’entrée dans l'itinéraire traditionnel des pèlerins irakiens vers l'Arabie saoudite, et l’on s'attend maintenant à ce qu'il facilite le commerce transfrontalier.

Tout porte donc à croire que le passage d’Arar et le projet agricole d’Anbar seront les meilleurs remèdes aux maux économique de l’Irak.

Talmiz Ahmad est un auteur et ancien ambassadeur de l’Inde en Arabie saoudite, à Oman et aux EAU. Il est titulaire de la Ram Sathe Chair for International Studies, de la Symbiosis International University, à Pune, en Inde.

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com