Le «plan secret» va-t-il marcher en Ukraine?

Le président français Emmanuel Macron au palais présidentiel de l'Élysée, à Paris, le 11 mai 2023 (Photo, AFP).
Le président français Emmanuel Macron au palais présidentiel de l'Élysée, à Paris, le 11 mai 2023 (Photo, AFP).
Short Url
Publié le Samedi 13 mai 2023

Le «plan secret» va-t-il marcher en Ukraine?

Le «plan secret» va-t-il marcher en Ukraine?
  • Le «plan secret» est selon le journal The Telegraph une collaboration entre la France et la Chine visant à amener la Russie et l’Ukraine à la table des négociations d’ici à l’été
  • Le succès de tout effort diplomatique de la Chine et de la France dépendra de l’issue de l’offensive du printemps ukrainien et de ses conséquences

Le «plan secret», c’est ainsi que l’on appelle la démarche du président français, Emmanuel Macron, pour faire équipe avec la Chine et mettre fin à la guerre en Ukraine, selon le quotidien anglais The Telegraph. Le média a vérifié que M. Macron «travaille sur» un plan visant à amener la Russie et l’Ukraine à la table des négociations avec le soutien de Pékin d’ici à l’été. Le journal indique également que la France et la Chine travaillent ensemble pour préparer un cadre global qui pourrait servir de point de départ à toute négociation future.

La recherche de moyens de négocier une issue au conflit n’est pas vraiment une nouvelle choquante: c’est tout à fait normal quand cela concerne les aspects politiques et stratégiques d’une rivalité. Tout le monde sait que la guerre n’est qu’une étape du processus politique et qu’il est inévitable que des négociations aient lieu un jour ou l’autre, comme vous le diraient les politiciens de la vieille école. S’il n’y a pas de résolution à la table des négociations, le conflit restera ouvert et chronique, se transformant en une bombe à retardement. Ce qui pourrait avoir d’importantes conséquences dans une situation aussi compliquée et sensible que la crise ukrainienne.

Les Français et les Chinois tentent d’utiliser leur pouvoir politique pour faire avancer le conflit militaire en cours en Ukraine. En effet, l’avenir de notre monde dépend autant de la politique et de la diplomatie que de la puissance militaire. Ainsi, lorsqu’à lieu une grande rivalité mondiale, comme celle à laquelle nous assistons actuellement, il est logique qu’un acteur majeur comme la Chine et une puissance européenne influente comme la France tentent de rester pertinents par la voie diplomatique. C’est leur façon de s’assurer qu’ils ne sont pas laissés pour compte dans le grand ordre des choses.

La Chine et la France savent que leurs efforts diplomatiques ne suffiront peut-être pas à amener les parties en conflit à s’asseoir à la table des négociations. Mais elles comprennent également que leur collaboration est cruciale, quel que soit le rôle qu’elles finiront par jouer dans cette crise. Cependant, l’Occident n’est peut-être pas très enthousiaste à l’idée de laisser la Chine prendre la tête de la médiation.

Avec toutes les tensions actuelles entre Washington et Pékin, et les accusations américaines assurant que la Chine soutient la Russie dans la guerre, la pilule sera difficile à avaler pour l’Occident. En outre, les États-Unis pourraient ne pas vouloir donner à la Chine (leur principal concurrent stratégique et rival pour le leadership mondial) un quelconque gain politique en les laissant assumer un rôle de médiation qui renforcerait le statut de la Chine sur la scène mondiale.

Les États-Unis pourraient donc n’accepter la médiation chinoise que dans des cas très spécifiques, par exemple si la guerre en Ukraine s’intensifie ou si de nouvelles menaces pèsent sur la sécurité de l’ensemble de l’Europe. Et même dans ce cas, le rôle de la Chine pourrait devoir s’inscrire dans le cadre d’une troïka internationale ou d’une médiation bilatérale avec un allié occidental plus proche des États-Unis, comme la France.

La France est consciente qu’il serait difficile d’assumer seule un rôle de médiation dans la crise ukrainienne. Le président Macron a déjà tenté de trouver une solution en s’adressant à Moscou et en effectuant une visite personnelle, mais il n’est pas parvenu à ses fins et a décidé de soutenir pleinement l’Ukraine sur les plans militaire et politique.

 

Les Français et les Chinois tentent d’utiliser leur pouvoir politique pour faire avancer le conflit militaire en cours en Ukraine.

Dr. Salem Alketbi

La France cherche un moyen d’affirmer sa place sur la scène internationale après la crise ukrainienne, quitte à promouvoir l’idée d’une troisième grande puissance – l’Europe – qui puisse jouer un rôle important aux côtés des autres puissances internationales qui se disputent la première place dans le système mondial. Macron sait qu’il ne pourra réaliser ses ambitions à cet égard que par la coopération avec d’autres acteurs internationaux comme la Chine.

Le succès de tout effort diplomatique de la Chine et de la France, ou de toute autre partie internationale, dépend de l’issue de l’offensive du printemps ukrainien et de ses conséquences. La France cherche à coordonner son action avec celle de la Chine tout en souhaitant une victoire militaire ukrainienne qui renforcerait la position de Kiev à la table des négociations et accroîtrait la pression sur la Russie pour qu’elle rejoigne les pourparlers.

La position de la Chine peut sembler en contradiction avec celle de la France, car Pékin espère une victoire militaire russe qui forcerait l’Ukraine à s’asseoir à la table des négociations. Si la Chine reconnaît la nécessité de donner à la Russie une chance d’atteindre ses objectifs militaires, elle reconnaît également qu’une victoire complète de l’une ou l’autre des parties n’est pas dans son intérêt. L’idéal pour la Chine serait une victoire partagée ou que les deux parties soient obligées de négocier la fin de leurs pertes. Toutefois, cette perspective est difficile à réaliser, du moins dans les conditions actuelles à Moscou et à Kiev, qui pourraient changer au fur et à mesure que le conflit progresse.

Le projet secret franco-chinois est toujours en cours et ne sera révélé que si la situation ukrainienne change radicalement. La Chine joue encore la carte de la sécurité lorsqu’il s’agit de pousser la Russie à mettre fin au conflit, et le président Macron a tenté de convaincre le président Xi Jinping de tendre la main au président Zelensky.

Il est important de garder à l’esprit que Pékin lie tout ce qu’il fait dans la crise ukrainienne à ce qui se passe à Taïwan, où il mise sur sa capacité à tenir l’Europe à l’écart de ce qu’il appelle le ralliement aux États-Unis à Taïwan.

En théorie, la Russie pourrait avoir intérêt à ce que les efforts diplomatiques français aboutissent, car cela correspondrait au désir de la Chine d’empêcher l’influence européenne de tomber sous le contrôle des États-Unis. Toutefois, cela suppose de ne pas compromettre les objectifs stratégiques de Moscou en Ukraine, qui sont étroitement liés à l’évolution de la situation sur le terrain dans la guerre en cours.

 

Politologue émirati et ancien candidat au Conseil national fédéral