ANKARA : Le refus par les banques publiques turques d’accorder des prêts à Istanbul pousse la municipalité à demander des prêts de l’étranger.
Lors d’une conférence de presse à Istanbul mercredi, le maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, a annoncé que la municipalité a émis sa première euro-obligation pour des marchés de capitaux internationaux afin de financer ses nouveaux projets d’infrastructure.
Grâce à cette euro-obligation, la municipalité a obtenu 580 millions de dollars pour financer quatre grands projets de métro dans la ville.
« Notre relation avec les sources de financement étrangères se poursuivra à travers une autre émission d’obligations, un projet de financement ou par un autre moyen », a affirmé Imamoglu.
Ce dernier a déclaré qu’il se focaliserait sur les projets de métro en 2021 à la suite des appels répétés des Istanbuliotes pour réduire les embouteillages dans la deuxième ville la plus congestionnée du monde.
Imamoglu s’est imposé en tant qu’opposant fort au parti du président turc Recep Tayyip Erdogan, le Parti de la justice et du développement (AKP), puisqu’il a remporté deux élections locales en mars puis en juin pour être élu maire de 16 millions de personnes.
Les projets locaux qu’il a mis en œuvre jusqu’à présent ont attiré de nombreuses couches de la société puisqu’ils répondaient à leurs besoins quotidiens. Imamoglu devrait également défier Erdogan lors des prochaines élections présidentielles de 2023.
Les banques publiques turques ont fermé leurs portes à la municipalité après avoir soutenu les municipalités affiliées à l’AKP pour les 25 dernières années.
« Tout le monde sait qu’Erdogan se sentait menacé par le fait qu’Istanbul appartienne à l’opposition. Initialement, il a refusé d’accepter cette perte et a demandé de nouvelles élections qu’Imamoglu a remportées de manière encore plus décisive – ce qui était embarrassant pour Erdogan. Imamoglu est désormais un candidat sérieux aux élections présidentielles de 2023 et a donc une cible dans le dos », a expliqué Paul T. Levin, directeur de l'Institut des études turques à l'université de Stockholm.
« Il n’est pas surprenant que l’AKP utilise son pouvoir sur les banques publiques pour compliquer la tâche au maire de l’opposition, mais ce sont les habitants de la ville qui paieront pour cela en fin de compte », a-t-il précisé à Arab News.
Étant donné l’importance d’Istanbul pour l’économie du pays, M. Levin prévient que les tentatives de sanctionner Imamoglu pourraient mal tourner et finir par nuire aux dirigeants de la Turquie, surtout à Erdogan.
FAITRAPIDE
Imamoglu s’est imposé en tant qu’opposant fort au parti du président turc Recep Tayyip Erdogan, le Parti de la justice et du développement (AKP), puisqu’il a remporté deux élections locales en mars puis en juin pour être élu maire de 16 millions de personnes.
Par ailleurs, le gouvernement n’a pas abandonné le projet controversé de Kanal Istanbul à 9 milliards de dollars, surnommé le « projet fou » d’Erdogan, qui vise à relier la mer Noire et la mer de Marmara par une voie navigable artificielle. Ce projet a été largement critiqué par Imamoglu pour des raisons environnementales et financières, car il pourrait causer des tremblements de terre.
La sécurité autour du maire d’Istanbul a récemment été renforcée à la suite de graves allégations de complot d’assassinat lié à Daech.
Selon Berk Esen, analyste politique de l’Université de Sabanci à Istanbul, la décision des banques publiques de ne pas accorder de prêts aux municipalités contrôlées par l’opposition est un autre signe du régime de plus en plus autoritaire en Turquie.
« Le gouvernement AKP a fait de la bureaucratie d’État sa machine partisane, utilisant des ressources publiques pour favoriser la base du parti et sanctionner les électeurs de l’opposition », a-t-il expliqué.
« C’est une tentative délibérée par le gouvernement de laisser les maires des partis de l’opposition sans suffisamment de fonds pour rembourser les dettes de la municipalité et réaliser des projets publics importants simultanément », a-t-il indiqué.
De même, un haut responsable à la municipalité d’Ankara a confirmé que les banques publiques n’octroient pas non plus de prêts à la capitale.
Lors des élections de mars 2019, le candidat de l’opposition Mansur Yavas a mis fin à 25 ans de règne par des maires affiliés à l’AKP qui bénéficiaient continuellement de prêts pour des projets urbains étranges et impopulaires, tels que des parcs de dinosaures.
D’après M. Esen, les élites de l’AKP estiment que ces projets pourraient aider les maires de l’opposition à attirer des électeurs de leur base, sapant ainsi l'hégémonie politique de l'AKP.
« Les banques publiques sont un outil pratique pour cette stratégie. Sous le règne de l’AKP, les banques publiques se sont plutôt transformées en distributeurs de billets pour les commerces pro-gouvernementaux qui soutiennent ouvertement Erdogan », a-t-il ajouté.