La militarisation de la politique iranienne à la lumière de la détente régionale

Le secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale Ali Akbar Ahmadian, à Téhéran, en Iran, le 29 mai 2023 (Photo, Reuters).
Le secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale Ali Akbar Ahmadian, à Téhéran, en Iran, le 29 mai 2023 (Photo, Reuters).
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Publié le Mercredi 31 mai 2023

La militarisation de la politique iranienne à la lumière de la détente régionale

La militarisation de la politique iranienne à la lumière de la détente régionale
  • La destitution de M. Chamkhani rappelle également l’instrumentalisation politique des accusations de corruption au sein du régime iranien
  • La nomination d’un des théoriciens militaires du concept de défense asymétrique, M. Ahmadian, signifie que la nouvelle politique étrangère iranienne sera basée sur le même cadre idéologique

Au moment où l’on assiste à un dialogue régional renouvelé et à une ouverture apparente entre l’Iran et ses voisins, la nomination d’Ali Akbar Ahmadian, ancien commandant du Corps des gardiens de la révolution islamique et membre du Conseil de discernement de l’intérêt supérieur du régime comme nouveau secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale a de quoi surprendre. Même si ce poste est sous le contrôle du Guide suprême, il s’agit d’une fonction centrale dans le processus décisionnel de l’Iran.

Le profil de M. Ahmadian présente des similitudes avec celui de son prédécesseur, Ali Chamkhani. Tous deux ont de l’expérience dans la marine, mais M. Ahmadian n’a guère été actif sur le plan politique depuis qu’il a pris sa retraite de l’armée. Au contraire, l’ancien secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale, Ali Chamkhani, est un ancien ministre de la Défense et candidat à la présidence. Le manque d’expérience politique de M. Ahmadian vient confirmer la militarisation de la dynamique politique iranienne depuis la fin des années 2000.

Le départ de M. Chamkhani semble avoir été accéléré par l’arrestation de son ancien collègue Alireza Akbari et son exécution au mois de janvier. Il avait été accusé d’espionnage par les services de sécurité iraniens. Le lien entre M. Chamkhani et M. Akbari – un citoyen irano-britannique – et l’élimination de ce dernier était un message envoyé à tous les membres de l’élite politique : présenter une solution de rechange aux partisans de la ligne dure est une décision risquée, même pour les initiés (khodi) du système (nezam). À une époque de mécontentement populaire sur le plan intérieur du pays, le régime politique doit s’unir et soutenir les opinions du Guide suprême.

La destitution de M. Chamkhani rappelle également l’instrumentalisation politique des accusations de corruption au sein du régime iranien. Survivant de la politique des factions iraniennes, il a servi sous des présidents réformistes et conservateurs, de Hassan Rohani à Ebrahim Raïssi.

Dans le contexte des tensions sociales et politiques à l’intérieur de l’Iran, il n’est pas surprenant que le remodelage du processus décisionnel ait eu lieu en faveur d’une figure militaire sans passé politique. En effet, M. Chamkhani aurait pu être une solution de rechange au projet politique du président Raïssi. Son exploit diplomatique – le rapprochement avec l’Arabie saoudite – constitue un rappel clair de la politique de détente de feu l’ancien président Akbar Hachemi Rafsandjani envers les voisins de l’Iran.

M. Chamkhani, d’origine arabe, n’était pas seulement un membre de l’élite politique iranienne qui était à l’avant-garde du dialogue avec les voisins arabes de l’Iran. C’était également un interlocuteur clé pour les diplomates occidentaux qui cherchaient à faire participer le régime sécuritaire iranien. Sa destitution est donc un message clair vis-à-vis des factions réformistes et pragmatiques à l’approche des élections législatives prévues en février 2024. Le système est prêt à accepter une très faible participation plutôt que des querelles politiques internes dans un contexte de mécontentement social croissant et de crise économique imminente.

En outre, sa marginalisation du processus décisionnel quotidien iranien se produit en même temps que la nomination de l’ambassadeur d’Iran en Arabie saoudite, Alireza Enayati, premier ambassadeur du Royaume depuis sept ans. Le moment de la destitution de M. Chamkhani pourrait être interprété comme une clarification politique: la décision de Téhéran de trouver un modus vivendi avec l’Arabie saoudite n’est pas la stratégie d’une faction politique (pas plus qu’une victoire pour les groupements pragmatistes/réformistes), mais le choix du système.

Enfin, la sécurisation de la politique iranienne et la destitution de M. Chamkhani pourraient être le résultat de deux dynamiques complémentaires. Premièrement, la domination absolue du Guide suprême du système politique iranien et son refus d’accepter l'émergence de toute opinion politique alternative au sein du régime sécuritaire au moment de son processus de succession. Deuxièmement, la nécessité de trouver une solution régionale aux problèmes sociopolitiques intérieurs iraniens. En d’autres termes, le système politique iranien perd sa légitimité intérieure. Sa politique étrangère n’est plus conçue pour rechercher à tout prix l’hégémonie régionale, mais plutôt un nouvel équilibre entre l’objectif qui consiste à renforcer la sécurité iranienne et les partenariats idéologiques au-delà des frontières iraniennes et le fait d’assurer la survie du système politique iranien sur le plan intérieur.

Le départ de M. Chamkhani semble avoir été accéléré par l’arrestation de son ancien collègue Alireza Akbari.

Dr Mohammed al-Sulami

Cela ne signifie pas un changement idéologique pour la politique étrangère de l’Iran, mais plutôt une mise en œuvre pragmatique des objectifs politiques et idéologiques du Guide suprême, Ali Khamenei. Au fond, le retrait de M. Chamkhani est un message envoyé aux voisins de l’Iran: l’ouverture sera poursuivie si elle sert les intérêts sécuritaires iraniens. La nomination d’un des théoriciens militaires du concept de défense asymétrique, M. Ahmadian, signifie que la nouvelle politique étrangère iranienne sera basée sur le même cadre idéologique. Ce qui est nouveau, c’est que le comportement régional de Téhéran n’est pas, avant tout, au service de la domination régionale, mais cherche plutôt à gérer la crise de sécurité interne du système politique iranien.

Le Dr Mohammed al-Sulami est directeur de l’Institut international d’études iraniennes (Rasanah).

Twitter: @mohalsulami

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com