JEDDAH: Depuis le début de cette semaine, les maires d'Istanbul et d'Ankara, aiguillonnés par l'opposition, s'emploient à dénoncer la corruption de leurs prédécesseurs, qui ont laissé les deux villes en ruine économique.
Les deux maires ont promis lors de leur élection l'année dernière une transparence absolue des finances municipales, et de mettre fin au favoritisme et à l'acheminement des fonds publics vers le cercle rapproché et les membres de la famille.
Leurs promesses de mener des enquêtes sur d'anciennes allégations de corruption ont enfin commencé à se concrétiser.
Cette action n'a cependant pas reçu un accueil chaleureux de tous les partis. Lundi, des membres du Parti pour la justice et le développement (AKP) au pouvoir et son allié de droite au Conseil municipal d'Ankara, le Parti du mouvement nationaliste (MHP), ont quitté la réunion au moment où le maire Mansur Yavas a annoncé son intention de dénoncer les activités de corruption de l’ancien maire, membre de l'AKP, Melih Gokcek.
Pendant le règne de Gokcek de la ville, qui a duré près d'un quart de siècle, la perte publique s'est élevée à environ 3 quadrillions de livres turques (380 billions de dollars), et n’a connu que trois affaires de corruption. Ceux-là concernaient des projets coûteux et superflus, tels que l'installation de statues de dinosaures de 10 mètres de long ou des gorilles gonflables à divers quartiers de la ville.
Ces investissements ont été durement critiqués par beaucoup, car complètement incompatibles avec la culture urbaine, l'histoire et la mémoire architecturale de la vile. La ville était déjà confrontée à des problèmes d'infrastructure, notamment l'accès à l'eau potable, tandis que la classe dirigeante se concentrait sur des projets peu populaires dont plusieurs entreprises pro-gouvernementales profitaient considérablement.
À Ankara, Les dossiers de 40 affaires majeures de corruption et de mauvaise gestion qui impliquent l’AKP ont déjà été soumis au bureau du procureur. Les plaintes concernent des pot-de-vin et des commissions illicites sur les appels d'offres municipaux.
Yavas, maire de la capitale depuis mars 2019, priorise une bonne gestion des ressources quasi-épuisées de la municipalité, et révèle les cas de corruption qui ont mis à sec un budget déjà très affaibli par l'effet combiné de la Covid-19 et les problèmes économiques.
En mai, Yavas a intenté une action en justice contre son prédécesseur Gokcek pour avoir dirigé des fonds municipaux destinés au renouvellement d’une installation de traitement des eaux usées vers d’autres fins. Il a de plus accusé l’ancien maire d’abus de pouvoir.
La lutte, qui se veut décisive, entre les figures de l'opposition contre le népotisme, le favoritisme et les affaires de corruption manifeste, s’est poursuivi cette semaine sur plusieurs fronts.
Lundi, le chef du principal parti d'opposition du Parti républicain du peuple (CHP) Kemal Kilicdaroglu a annoncé lors d’un discours au parlement qu'il se chargera d’exproprier les possessions illégitimes de la «Bande des Cinq» une fois que le CHP aura pris les règnes de la Turquie. Kilicdaroglu a récemment reçu des menaces de mort de la part d’un chef de la mafia, réputé proche du MHP nationaliste.
Le «Bande des Cinq» désigne les cinq grandes entreprises de construction qui continuent encore de recevoir la part du lion des fonds publics malgré de nombreuses critiques. Ces cinq entreprises sont connues pour avoir acquis le plus grand nombre d'appels d'offres publics au monde.
Le maire d'Istanbul, Ekrem Imamoglu, a de son côté commencé lundi à révéler certains détails des affaires de corruption et d’irrégularités qui datent du mandat précédent. La municipalité se penche actuellement sur une quarantaine de fichiers de données, dont ceux des dépenses illégales des municipalités de l'ère AKP.
Cela est sans doute le tout premier dossier de corruption majeur qui sera révélé durant le mandat d’Imamoglu.
La municipalité d'Istanbul a déposé une plainte pénale contre 23 personnes, dont le ministre des Transports de l'époque, pour la perte d'environ 15,4 millions de lires de fonds publics (environ 1,97 million de dollars). Les fonds auraient été versés en paiements illégaux à une firme de relations publiques proche du pouvoir.
La Turquie est classée 91e sur 198 pays dans le dernier index de corruption de Transparency International.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com