Mort de Nahel: la France s’embrase

A Nanterre, en banlieue parisienne, le 29 juin 2023, Mounia (G), la mère de Nahel, un adolescent abattu par un policier, lors d'une marche blanche en hommage à son fils. (Photo Alain JOCARD / AFP)
A Nanterre, en banlieue parisienne, le 29 juin 2023, Mounia (G), la mère de Nahel, un adolescent abattu par un policier, lors d'une marche blanche en hommage à son fils. (Photo Alain JOCARD / AFP)
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Publié le Samedi 01 juillet 2023

Mort de Nahel: la France s’embrase

  • Au moins 421 personnes ont été interpellées en France dans la nuit de jeudi à vendredi, dont 242 en région parisienne, a annoncé le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin
  • Après avoir dénoncé une «instrumentalisation inacceptable de la mort d'un adolescent», Emmanuel Macron a annoncé «des moyens supplémentaires» déployés par le ministère de l'Intérieur, sans toutefois déclarer l’état d’urgence

PARIS: La balle du policier aurait pu se loger dans un pneu pour immobiliser un véhicule conduit illégalement, mais elle a perforé le thorax d’un enfant de 17 ans. Nahel est mort ainsi, tué à bout portant par un policier qui tentait de le faire obtempérer. Son collègue le lui avait d’ailleurs conseillé crûment: «Shoot-le!», comme on peut l’entendre sur la vidéo du drame.

Le 27 juin 2023, aux alentours de 8 h 15, Nahel M., automobiliste sans permis de 17 ans qui circulait au volant d’une Mercedes immatriculée en Pologne avec deux amis, est tué par un policier à la suite d'un refus d'obtempérer. La scène se déroule aux abords de la place Nelson-Mandela à Nanterre, dans les Hauts-de-Seine. Sa mère, Mounia M., professionnelle dans le domaine médical, a quitté son fils le matin pour aller au travail. «Nous sommes sortis en même temps», affirme-t-elle, totalement sous le choc.

La vidéo du drame, qui a d’abord circulé sur les réseaux sociaux, a ensuite été authentifiée par plusieurs médias français, dont le très sérieux quotidien Le Monde. On y voit deux policiers debout, sur le côté au niveau de la vitre avant du véhicule. L’un d’eux tient en joue le conducteur. Quand la voiture redémarre, l’un des deux policiers ouvre le feu, touchant l’homme au thorax. Devenue virale, cette vidéo est venue balayer d’un revers de la main l’ensemble des éléments de langage distillés dans un premier temps par des sources policières, qui affirmaient que le véhicule fonçait vers les deux agents dans l’intention de les percuter.

Mardi 27 juin dans la soirée, la colère s’exprime à Nanterre

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A Nanterre, en banlieue parisienne, le 29 juin 2023, lors de la marche blanche en hommage à Nahel, un adolescent abattu par un policier. (Photo Alain JOCARD / AFP)

Dans la nuit de mardi à mercredi, les vives protestations ont entraîné 31 interpellations et des incidents opposant des habitants de plusieurs villes de la région parisienne aux forces de l’ordre, à Nanterre mais aussi à Asnières, Colombes, Clichy-sous-Bois et Mantes-la-Jolie.

Le lendemain, le président français, Emmanuel Macron, parle d’un acte «inexplicable» et «inexcusable». «Rien, rien ne justifie la mort d’un jeune», affirme le chef de l’État au troisième jour de sa visite à Marseille, évoquant «l’émotion de la nation tout entière» et assurant «respect et affection» à la famille de Nahel.

Le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qualifie les images «d’extrêmement choquantes», souhaitant obtenir «toute la vérité sur ce qu’il s’est passé et, en respectant le temps de la justice, le plus rapidement possible».

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À l’Assemblée nationale, les députés interrompent leurs échanges observant une minute de silence en hommage à Nahel. Toujours à l’Assemblée, la loi relative à la sécurité publique encadrant l’usage des armes à feu par les forces de l’ordre se retrouve au centre des critiques.

Adoptée en février 2017 en réaction à l’agression, quelques mois plus tôt, en octobre 2016, de quatre policiers à Viry-Châtillon, elle est aujourd’hui remise en cause par une partie de la gauche après la mort de Nahel.

Depuis l’adoption de cette loi, les forces de l’ordre peuvent utiliser leur arme, selon l’article 435-1 du code de la sécurité intérieure, «en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée», notamment dans le cas d’un refus d’obtempérer lorsque le conducteur «est susceptible de perpétrer (…) des atteintes à leur vie ou leur intégrité physique et celle d’autrui».

Les réactions des personnalités françaises

Plusieurs personnalités, dont les rappeurs marseillais Jul et SCH, ont réagi à la mort de Nahel.

SCH a dit sur Twitter apporter «tout (s)on soutien» aux proches de Nahel ainsi qu'à «nos quartiers». «Un défaut d'permis ou un refus d'obtempérer (sic) ne doit pas permettre à un policier hors de danger de commettre un meurtre sur la voie publique», a pour sa part écrit Rohff, tenant du rap à l'ancienne.

Mercredi matin, le capitaine de l'équipe de France de football, Kylian Mbappé, a aussi exprimé sa colère, qualifiant l'incident d' «inacceptable». «J'ai mal à ma France», a-t-il encore écrit. «Mes pensées et prières vont à la famille et aux proches de Naël (sic), mort à 17 ans, tué par un policier à Nanterre. Qu'une justice digne de ce nom honore la mémoire de cet enfant», a également réagi l'interprète de la série Lupin, Omar Sy.

Mercredi 28 juin, rien ne va plus en Île-de-France

Avant 22h, la situation est calme à Nanterre. En cette fête musulmane de l'Aïd-al-Adha, hommes et femmes de tous âges circulent tranquillement en tenue d'apparat dans le chef-lieu des Hauts-de-Seine. Mais avant la tombée de la nuit, ils sont remplacés par des jeunes vêtus de noir, le visage caché par une cagoule ou une écharpe. C'est dans le quartier du Vieux-Pont que les premières échauffourées éclatent, au moins deux voitures étant incendiées avant un rapide retour au calme.

Mais le cœur des émeutes se trouve dans le quartier Pablo-Picasso, un ensemble de ruelles sinueuses s'entrelaçant autour des célèbres Tours Nuage, immeubles des années 1970.

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Des voitures incendiées bordent la rue au pied de la cité Pablo Picasso à Nanterre, à l'ouest de Paris, le 30 juin 2023, à la suite d'émeutes, trois jours après qu'un garçon de 17 ans a été abattu d'une balle dans la poitrine par la police à Nanterre. (Photo Bertrand GUAY / AFP)

Des heurts éclatent également dans toute l'Île-de-France, laissant entrevoir depuis l'autoroute A86 des nuages de fumées noires et épaisses, des explosions de feu d'artifices dominant des barres d'immeubles et d'innombrables camions de pompiers et véhicules des forces de l'ordre fonçant toutes sirènes hurlantes. Au total, 2 000 policiers et militaires de la gendarmerie sont mobilisés pour faire face aux risques d'émeutes.

Les réactions politiques

Depuis mardi, les réactions politiques de tout bord se multiplient:

  • Le ministre français de la Justice, Éric Dupond-Moretti: «Tous ceux qui crachent sur la police et la justice sont les complices moraux de ce qui est en train de se produire»
  • Le chef du parti Les Républicains, Éric Ciotti, et l’ancien candidat à la présidentielle, Éric Zemmour, demandent la mise en place de l’état d’urgence
  • Olivier Véran, le ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du Renouveau démocratique et porte-parole du gouvernement, condamne «des réactions qui visent à attaquer la République»
  • Emmanuel Macron dénonce des violences «injustifiables» et a convoqué jeudi une cellule interministérielle de crise, puis une deuxième vendredi

Jeudi 29 juin, un nouveau seuil de violence est franchi

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Le 29 juin, un «tabou» est franchi: les émeutes à l’endroit exact ou Nahel a été abattu à Nanterre se déroulent désormais de jour, «sans complexes», analysent les experts. Ces incidents éclatent alors que se déroule la Marche blanche pour Nahel, à l’appel de sa mère. Les cris de «justice pour Nahel» et «plus jamais ça» fusent de partout. Dans le même temps, le policier auteur du tir fatal contre l'adolescent est inculpé pour homicide volontaire et placé en détention provisoire, selon le Parquet.

La mère de la victime, juchée sur une camionnette, portant un tee-shirt «Justice pour Nahel», a ouvert la manifestation qui a rassemblé plus de 6 000 personnes. La marche s'est terminée dans la confusion avec des heurts, des échanges de tirs de gaz lacrymogène et de fusées d'artifice.

Incendies, affrontements, mais aussi pillages, se produisent alors un peu partout en France. Ce qui ressort de cette soirée qualifiée «d’horreur» par ceux qui l’ont vécue, c’est la violence qui monte crescendo. Tirs de mortiers d’artifice à Marseille non loin du Vieux-Port, tirs de kalachnikov dans l’Ain. Le GIGN et le Raid sont mobilisés. «Les services de renseignement étaient au courant de l’existence d’armes dans les banlieues», affirme sur LCI Bruno Pomart, un ex-policier du Raid.

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Un pompier regarde des véhicules brûler à la suite d'émeutes à Nanterre, le 28 juin 2023, un jour après qu'un garçon de 17 ans a été abattu d'une balle dans la poitrine par la police dans cette banlieue ouest de Paris. (Photo Zakaria ABDELKAFI / AFP)

Lille, Marseille, Bordeaux, Paris et sa banlieue, mais aussi des petites villes que l’on croyait tranquilles à l’instar de Denain, près de Roubaix, une ville de 20 000 habitants, se sont enflammées. Le théâtre local a failli être incendié, la mairie et la médiathèque ont été vandalisées, les trois-quarts de la ville sont détruits. Les dégâts ne sont pour l’heure «que» matériels, mais sont considérables. À Aubervilliers, 12 bus de la RATP ont été brûlés dans un parking. L’entrée du domaine de la prison de Fresnes a été attaquée au mortier. Des tirs de fusées d’artifice et des incendies de voitures en banlieue parisienne et en province ont semé la panique auprès des habitants.

Vendredi matin, plusieurs tramways ne circulent pas en région parisienne. Les Parisiens sont consternés par l’ampleur et l’étendue de la violence. Les fêtes sont annulées dans les collèges et lycées dans l'académie de Versailles, et au cas par cas pour les écoles, une annonce faite vendredi.

Au moins 421 personnes ont été interpellées en France dans la nuit de jeudi à vendredi, dont 242 en région parisienne, a annoncé Gérald Darmanin. De plus, le Raid et la BRI sont déployés à Lille et Nanterre.

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Si les analystes s’accordent sur le fait que la fermeté est désormais requise, à l’aune du nombre de policiers blessés lors des nuits de violences – les policiers sont en effet victimes de tirs de mortier «à tir tendu» comme l’explique sur LCI un responsable du syndicat policier Alliance, Yannick Landreau – il n’en reste pas moins que si l’état d’urgence est déclenché trop rapidement, il risque de ne pas être respecté et donc de laisser penser que l’État a échoué. «Qu’est-ce qui viendra derrière?»(…) Ça ne va pas s’arrêter, ils sont dans un schéma où ils vont se réunir tous les soirs, là on est sur des tirs de mortier, mais à quel niveau de violence on va passer?», se demande Yannick Landreau.

Emmanuel Macron, qui a réuni une cellule de crise pour la deuxième fois en vingt-quatre heures, s’est montré à la fois ferme et mesuré dans ses propos et dans les décisions qu’il a prises. Après avoir dénoncé une «instrumentalisation inacceptable de la mort d'un adolescent», il a annoncé «des moyens supplémentaires» déployés par le ministère de l'Intérieur. Il a également appelé «tous les parents à la responsabilité». Des mesures «locales» ont en outre été prises: fin des transports en commun à 21h dans toute la France et à 19h à Marseille.

Il semble bien que pour l’heure, le président français est bel et bien conscient du délicat équilibre qu’il doit préserver: entre fermeté et stabilité, entre sécurité et compréhension d’une colère qu’une partie de sa population ne peut plus – ou ne veut plus – réprimer.

La mère de Nahel se confie

«C’est la faute d’un homme, pas d’un système», a martelé la mère de Nahel. Alors que les obsèques du petit Nahel sont prévues samedi, sa mère Mounia M., s’est confiée sur France 5 dans le cadre de l’émission C à vous.

«Je n'en veux pas à la police. J'en veux à une personne, celui qui a enlevé la vie de mon fils. Il n'avait pas à tuer mon fils [...] Le frapper ou le faire sortir, oui, mais une balle, non. C'est la faute d'un homme, pas d'un système», a-t-elle déclaré.

La mère endeuillée a poursuivi: «Il a vu la tête d'un Arabe, d'un petit gamin, il a voulu lui ôter sa vie [...] J'attends qu'il paye la peine de mon fils, que la peine soit à la hauteur de ma peine. Il a tué mon fils, il m'a tuée», a-t-elle lâché, implorant une justice «vraiment ferme, pas six mois et après il est dehors.»


France: les députés rejettent l'emblématique taxe Zucman, au grand dam de la gauche

Des députés du Rassemblement national applaudissent lors de l'examen des textes par la "niche parlementaire" du groupe d'extrême droite Rassemblement national, à l'Assemblée nationale, la chambre basse du parlement français, à Paris, le 30 octobre 2025. (AFP)
Des députés du Rassemblement national applaudissent lors de l'examen des textes par la "niche parlementaire" du groupe d'extrême droite Rassemblement national, à l'Assemblée nationale, la chambre basse du parlement français, à Paris, le 30 octobre 2025. (AFP)
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  • L’Assemblée nationale a refusé la proposition de taxe de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros (228 voix contre 172), symbole des tensions entre gauche et droite sur la justice fiscale
  • Le Premier ministre Sébastien Lecornu tente d’éviter une censure et de sauver le budget 2026 en multipliant les concessions à la gauche

PARIS: Les députés français ont rejeté vendredi l'emblématique taxe Zucman sur la taxation des ultra-riches, au grand dam de la gauche, à laquelle le Premier ministre Sébastien Lecornu a tenté de donner des gages pour parvenir à faire voter un budget.

Les parlementaires sont engagés dans de difficiles débats pour arriver à un compromis sur ce sujet qui relève du casse-tête dans un paysage politique très fragmenté, sans majorité nette à l'Assemblée nationale depuis la dissolution décidée en juin 2024 par Emmanuel Macron.

Défendue par la gauche, la taxe Zucman, qui visait à instaurer un impôt minimum de 2% sur les patrimoines de plus de 100 millions d'euros, a été rejetée par 228 députés contre 172.

Cette proposition, qui cristallisait les débats budgétaires, s'inspire des travaux du discret économiste Gabriel Zucman, chantre de la justice fiscale pour la gauche et adversaire des entreprises pour la droite et les libéraux, jusqu'au patron de LVMH, qui le qualifie de "pseudo universitaire".

Les députés ont également rejeté une version de compromis de cette taxe, proposée par les socialistes.

"Vous faites, par votre intransigeance, je le crains, le mauvais chemin", a dénoncé le socialiste Boris Vallaud. Le chef des députés PS a appelé dans la foulée à voter le rétablissement de l'Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) supprimé en 2017.

De son côté, la droite s'est réjouie: "On est contre les augmentations d'impôts qui vont tuer de l'emploi et tuer de l'activité économique", a réagi le chef des députés Les Républicains (LR), Laurent Wauquiez.

Le Premier ministre Lecornu a réfuté l'existence d'un "impôt miracle pour rétablir la justice fiscale", et demandé à ses ministres de réunir les représentants de groupes politiques pour tenter de trouver une voie d'atterrissage et s'accorder sur un budget pour 2026.

Minoritaire, le quatrième gouvernement en moins d'un an et demi, le sixième depuis la réélection de M. Macron en mai 2022, a promis de laisser le dernier mot au Parlement. Mais la recherche d'un compromis reste très difficile entre un camp présidentiel fracturé, une gauche traversée de tensions et une extrême droite favorable à une union des droites.

- Le PS maintient la pression -

La pression est forte entre des délais très courts et l'inquiétude croissante sur la situation des finances publiques de la deuxième économie de l'UE dont la dette atteint 115% du PIB.

Tout en insistant sur la nécessité de réaliser d'importantes économies, le Premier ministre doit donc accepter des concessions, au risque de ne pas parvenir à doter l'Etat français d'un budget dans les temps ou de tomber comme ses prédécesseurs.

Pour convaincre les socialistes de ne pas le renverser, Sébastien Lecornu a déjà accepté de suspendre la réforme des retraites adoptée au forceps en 2023, une mesure approuvée vendredi en commission parlementaire.

Face à la colère froide de la gauche après les votes de vendredi, il s'est dit prêt en outre à renoncer au gel des pensions de retraite et des minimas sociaux, des mesures parmi les plus contestées de cette séquence budgétaire et dont la suppression était dans le même temps votée en commission des Affaires sociales.

Le gouvernement comptait faire jusqu'à 3,6 milliards d'économies sur ces sujets, et pourrait compenser cela, au moins en partie, par une hausse de la Contribution sociale généralisée (CSG) sur le patrimoine.

Pour Sébastien Lecornu, il s'agit d'échapper à une censure du PS, qui maintient son étreinte et l'appelle à "encore rechercher le compromis" sous peine de devoir "repartir aux élections". A ce stade, "il n'y a pas de possibilité de voter ce budget", a lancé le patron des socialistes, Olivier Faure.

Si le Parlement ne se prononce pas dans les délais, le gouvernement peut exécuter le budget par ordonnance. Une loi spéciale peut aussi être votée permettant à l'Etat de continuer à percevoir les impôts existants l'an prochain, tandis que ses dépenses seraient gelées, en attendant le vote d'un réel budget.


France: le cimentier Lafarge jugé à partir de mardi pour financement du terrorisme

Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie. (AFP)
Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie. (AFP)
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  • Aux côtés de Lafarge, avalé en 2015 par le groupe suisse Holcim, seront jugés au tribunal correctionnel de Paris l'ancien PDG du cimentier, Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté et deux intermédiaires
  • Dans ce dossier, ils devront répondre de financement d'entreprise terroriste et, pour certains, de non-respect de sanctions financières internationales

PARIS: Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie.

Aux côtés de Lafarge, avalé en 2015 par le groupe suisse Holcim, seront jugés au tribunal correctionnel de Paris l'ancien PDG du cimentier, Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté et deux intermédiaires syriens, dont l'un est visé par un mandat d'arrêt international et devrait donc être absent au procès.

Dans ce dossier, ils devront répondre de financement d'entreprise terroriste et, pour certains, de non-respect de sanctions financières internationales.

Le groupe français est soupçonné d'avoir versé en 2013 et 2014, via sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria (LCS), plusieurs millions d'euros à des groupes rebelles jihadistes dont certains, comme l'EI et Jabhat al-Nosra, ont été classés comme "terroristes", afin de maintenir l'activité d'une cimenterie à Jalabiya, dans le nord du pays.

La société avait investi 680 millions d'euros dans ce site, dont la construction a été achevée en 2010.

Plaintes 

Alors que les autres multinationales avaient quitté le pays en 2012, Lafarge n'a évacué cette année-là que ses employés de nationalité étrangère, et maintenu l'activité de ses salariés syriens jusqu'en septembre 2014, date à laquelle l'EI a pris le contrôle de l'usine.

Dans ce laps de temps, LCS aurait rémunéré des intermédiaires pour s'approvisionner en matières premières auprès de l'EI et d'autres groupes, et pour que ces derniers facilitent la circulation des employés et des marchandises.

L'information judiciaire avait été ouverte à Paris en 2017 après plusieurs révélations médiatiques et deux plaintes en 2016, une du ministère de l'Économie pour violation d'embargo, et l'autre de plusieurs associations et de onze anciens salariés de LCS pour financement du terrorisme.

Le nouveau groupe, issu de la fusion de 2015, qui a toujours pris soin de dire qu'il n'avait rien à voir avec les faits antérieurs à cette opération, avait entretemps lancé une enquête interne.

Confiée aux cabinets d'avocats américain Baker McKenzie et français Darrois, elle avait conclu en 2017 à des "violations du code de conduite des affaires de Lafarge".

Et en octobre 2022, Lafarge SA avait plaidé coupable aux États-Unis d'avoir versé à l'EI et Jabhat Al-Nosra près de 6 millions de dollars, et accepté d'y payer une sanction financière de 778 millions de dollars.

Une décision dénoncée par plusieurs prévenus du dossier français, à commencer par Bruno Lafont, qui conteste avoir été informé des paiements aux groupes terroristes.

Plus de 200 parties civiles 

Selon ses avocats, ce plaider-coupable, sur lequel s'appuient en partie les juges d'instruction français dans leur ordonnance, "est une atteinte criante à la présomption d'innocence, qui jette en pâture les anciens cadres de Lafarge" et avait "pour objectif de préserver les intérêts économiques d'un grand groupe".

Pour la défense de l'ex-PDG, le procès qui s'ouvre permettra d'"éclaircir" plusieurs "zones d'ombre du dossier", comme le rôle des services de renseignement français.

Les magistrats instructeurs ont estimé que si des remontées d'informations avaient eu lieu entre les responsables sûreté de Lafarge et les services secrets sur la situation autour du site, cela ne démontrait "absolument pas la validation par l'Etat français des pratiques de financement d'entités terroristes mises en place par Lafarge en Syrie".

Au total, 241 parties civiles se sont à ce jour constituées dans ce dossier. "Plus de dix ans après les faits, les anciens salariés syriens pourront enfin témoigner de ce qu'ils ont enduré: les passages de check-points, les enlèvements et la menace permanente planant sur leurs vies", souligne Anna Kiefer, de l'ONG Sherpa.

Lafarge encourt jusqu'à 1,125 million d'euros d'amende pour le financement du terrorisme. Pour la violation d'embargo, l'amende encourue est nettement plus lourde, allant jusqu'à 10 fois le montant de l'infraction qui sera retenu in fine par la justice.

Un autre volet de ce dossier est toujours à l'instruction, le groupe ayant aussi été inculpé pour complicité de crimes contre l'humanité en Syrie et en Irak.


Gérald Darmanin visé par une plainte d'avocats pour son soutien implicite à Sarkozy

Ce collectif d'une trentaine d'avocats se dit dans sa plainte, portée par Me Jérôme Karsenti, "particulièrement indigné par les déclarations du garde des Sceaux" faisant part "publiquement de sa compassion à l'égard de M. Sarkozy en soulignant les liens personnels qu'ils entretiennent". (AFP)
Ce collectif d'une trentaine d'avocats se dit dans sa plainte, portée par Me Jérôme Karsenti, "particulièrement indigné par les déclarations du garde des Sceaux" faisant part "publiquement de sa compassion à l'égard de M. Sarkozy en soulignant les liens personnels qu'ils entretiennent". (AFP)
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  • Le garde des Sceaux a rencontré mercredi à la prison de la Santé à Paris l'ancien président de la République, un de ses mentors en politique
  • Mais la plainte des avocats est née bien avant, juste après des déclarations de M. Darmanin sur France Inter le 20 octobre, à la veille de l'incarcération de M. Sarkozy

PARIS: Ils accusent Gérald Darmanin de "prendre position": un collectif d'avocats a porté plainte auprès de la Cour de justice de la République (CJR) contre le ministre de la Justice pour son soutien implicite à Nicolas Sarkozy, à qui il a rendu visite en prison.

Le garde des Sceaux a rencontré mercredi à la prison de la Santé à Paris l'ancien président de la République, un de ses mentors en politique.

Mais la plainte des avocats est née bien avant, juste après des déclarations de M. Darmanin sur France Inter le 20 octobre, à la veille de l'incarcération de M. Sarkozy.

En confiant ce jour-là sa "tristesse" après la condamnation de M. Sarkozy et en annonçant lui rendre prochainement visite en prison, ce qu'il a fait depuis, M. Darmanin a "nécessairement pris position dans une entreprise dont il a un pouvoir d'administration", stipule la plainte que l'AFP a pu consulter.

M. Darmanin indiquait qu'il irait "voir en prison" M. Sarkozy pour s'inquiéter "de ses conditions de sécurité". Et d'ajouter: "J'ai beaucoup de tristesse pour le président Sarkozy", "l'homme que je suis, j'ai été son collaborateur, ne peut pas être insensible à la détresse d'un homme".

Ce collectif d'une trentaine d'avocats se dit dans sa plainte, portée par Me Jérôme Karsenti, "particulièrement indigné par les déclarations du garde des Sceaux" faisant part "publiquement de sa compassion à l'égard de M. Sarkozy en soulignant les liens personnels qu'ils entretiennent".

En "s'exprimant publiquement quant à sa volonté de rendre visite à M. Sarkozy en détention" ainsi "qu'en lui apportant implicitement son soutien", M. Darmanin a "nécessairement pris position" dans une entreprise dont il a aussi "un pouvoir de surveillance en tant que supérieur hiérarchique du parquet", déroulent les plaignants.

Juridiquement, ce collectif d'avocats porte plainte contre M. Darmanin pour "prise illégale d'intérêts", via une jurisprudence considérant que "l'intérêt" peut "être moral et plus précisément amical".

"Préjudice" 

"Il ne fait pas de doute que cet intérêt est de nature à compromettre l'impartialité et l'objectivité de M. Darmanin qui, en tant que ministre de la Justice, ne peut prendre position de cette manière dans une affaire pendante", argumentent les avocats.

Condamné le 25 septembre à cinq ans d'emprisonnement dans le dossier libyen pour association de malfaiteurs, l'ancien président a depuis déposé une demande de remise en liberté, que la justice doit examiner dans les prochaines semaines, avant son procès en appel en 2026.

Les propos de M. Darmanin sur France Inter avaient déjà ému la magistrature. Le plus haut procureur de France, Rémy Heitz, y avait vu un "risque d'obstacle à la sérénité" et donc "d'atteinte à l'indépendance des magistrats".

"S'assurer de la sécurité d'un ancien président de la République en prison, fait sans précédent, n'atteint en rien à l'indépendance des magistrats mais relève du devoir de vigilance du chef d'administration que je suis", s'était déjà défendu M. Darmanin sur X.

Pour le collectif d'avocats, "les déclarations" du ministre de la Justice, "suivies" de sa "visite rendue à la prison de la Santé", sont "susceptibles de mettre à mal la confiance que les justiciables ont dans la justice et leurs auxiliaires", que sont notamment les avocats.

Les "agissements" de M. Darmanin leur causent "ainsi un préjudice d'exercice et d'image qui rend nécessaire le dépôt de cette plainte auprès de la commission des requêtes" de la CJR, peut-on encore lire dans la plainte.

La CJR est la seule juridiction habilitée à poursuivre et juger les membres du gouvernement pour les crimes et délits commis dans l'exercice de leurs fonctions.