Les Soudanaises sont en danger alors que le conflit et la migration forcée font des ravages

Le risque de violence sexiste est particulièrement élevé lorsque les femmes et les filles se déplacent à la recherche d’endroits plus sûrs. (Reuters)
Le risque de violence sexiste est particulièrement élevé lorsque les femmes et les filles se déplacent à la recherche d’endroits plus sûrs. (Reuters)
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Publié le Mardi 08 août 2023

Les Soudanaises sont en danger alors que le conflit et la migration forcée font des ravages

  • Un nouveau rapport publié jeudi par Amnesty International détaille de multiples cas de violences sexuelles contre des femmes et des filles
  • Les militants au Soudan appellent les donateurs à fournir davantage d’équipements médicaux, de trousses d’hygiène et de kits de prophylaxie postexposition pour prévenir la transmission du VIH

DJOUBA (Soudan du Sud): Alors que le conflit au Soudan entre les forces armées soudanaises et les Forces paramilitaires de soutien rapide persiste, on assiste à une crise de violence sexiste. Les femmes et les jeunes filles sont exposées au risque de viol, de traite d’êtres humains et de mariage précoce.

Avant même que les combats n’éclatent, le 15 avril, plus de 3 millions de femmes et de filles étaient déjà sujettes à la violence sexiste. Selon l’ONU, ce nombre est désormais passé à 4,2 millions, ce qui montre les répercussions dévastatrices du conflit sur les civils.

Une survivante de 37 ans, qui a accordé un entretien à Arab News sous couvert d’anonymat, confie qu’elle avait dû fuir vers le nord du Darfour après que son village a été attaqué par des combattants des Forces de soutien rapide, au mois de juin. Elle affirme que son mari ainsi que plusieurs amis et parents ont été tués.

Dans son témoignage poignant, elle explique qu’elle a été arrêtée en compagnie d’autres personnes par les assaillants avant que les hommes ne soient séparés et roués de coups. «J’ai pris la fuite après avoir été agressée sexuellement par l’un des combattants, laissant mes enfants derrière moi», raconte-t-elle à Arab News.

«En tant que personne déplacée, ma vie est devenue une lutte constante pour la survie. La dure réalité d’être déracinée de chez moi et séparée de mes proches et le fait de vivre dans l’incertitude pèsent lourd sur mes épaules. Chaque jour, je me bats pour que nous trouvions, d’autres personnes déplacées et moi, de la nourriture, de l’eau potable et un abri.»

«La peur d’être une nouvelle fois victime d’abus sexuels ne me quitte jamais. C’est une inquiétude constante qui me rend anxieuse et méfiante envers les étrangers. J’essaie de rester en sécurité, mais les souvenirs continuent de me hanter et il est difficile de faire confiance à qui que ce soit.»

Une autre femme d’El-Geneina, dans l’ouest du Darfour, qui a également préféré garder l’anonymat, dit avoir été témoin du meurtre, de la torture et du viol de civils innocents lorsque des combattants ont attaqué sa communauté, au mois de mai.

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Des combattants des Forces de soutien rapide montent à bord d’une camionnette militarisée dans le district du Nil oriental du Grand Khartoum. (AFP)

«En tant que mère de six enfants, je ne peux être témoin de ces atrocités inimaginables sans demander justice pour toutes ces vies innocentes perdues», explique-t-elle à Arab News.

«Nous avons peut-être perdu des êtres chers, des maisons et notre sentiment de sécurité, mais notre détermination à demander justice est infaillible. Je ne parle pas seulement pour moi, mais pour chaque âme innocente qui a été victime de la brutalité.»

Elle espère que son témoignage servira de catalyseur pour que justice soit rendue et que les auteurs des crimes de guerre soient tenus responsables.

Un nouveau rapport publié jeudi par Amnesty International détaille de multiples cas de violences sexuelles contre des femmes et des filles, des attaques ciblées contre des infrastructures comme les hôpitaux et les églises ainsi que des pillages à grande échelle.

Plusieurs violations documentées dans le rapport représentent des crimes de guerre.

«Des dizaines de femmes et de filles, dont certaines étaient âgées de 12 ans à peine, ont été violées et soumises à d’autres formes de violence sexuelle par des membres des parties belligérantes. Aucun endroit n’est sûr», alerte Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International, dans un communiqué.

«Les Forces de soutien rapide et les forces armées soudanaises, ainsi que les groupes armés qui leur sont affiliés, doivent mettre fin à leurs attaques contre les civils et garantir un passage sûr à ceux qui recherchent la sécurité. Des mesures urgentes doivent être prises pour garantir la justice et dédommager les victimes.»

Le bureau des droits de l’homme des Nations unies au Soudan affirme avoir reçu des informations crédibles sur 21 incidents de violences sexuelles liées au conflit qui touchent au moins 57 personnes, dont 10 filles. Au cours d’une même agression, jusqu’à 20 femmes auraient été violées.

L’unité de lutte contre la violence à l’égard des femmes du gouvernement soudanais a documenté au moins 42 cas présumés dans la capitale, Khartoum, et 46 dans la région du Darfour.

Cependant, il est généralement établi que le nombre réel de cas est probablement beaucoup plus élevé: la honte, la peur de la stigmatisation et des représailles empêchent souvent les victimes de dénoncer les actes qu’elles ont subis.

En outre, le manque d’électricité, de connectivité et d’accès humanitaire en raison de la situation sécuritaire rend la documentation et la recherche de soutien pour les victimes exceptionnellement difficiles, voire impossibles.

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Le risque de violence sexiste est particulièrement élevé lorsque les femmes et les filles se déplacent à la recherche d’endroits plus sûrs alors qu’elles souffrent de graves privations financières. (AFP)

Les attaques contre les établissements de santé ont encore aggravé la situation, ce qui a empêché les victimes d’accéder aux soins de santé d’urgence.

Les prestataires de soins, les travailleurs sociaux, les conseillers et les réseaux de protection communautaires au Soudan ont tous signalé une forte augmentation des cas de violence sexiste dans le contexte du conflit.

Des femmes qui étaient réfugiées au Soudan avant même le dernier conflit ont signalé des violences lorsqu’elles ont fui vers de nouvelles régions.

Les organismes d’aide affirment qu’une assistance urgente est nécessaire sur les sites d’accueil des personnes déplacées dans les régions du Soudan touchées par le conflit et les pays voisins.

 

En bref

La violence sexiste fait référence à toutes les formes de violence contre une femme ou un homme en raison de son sexe.

Des dizaines de femmes et de filles, dont certaines étaient âgées de 12 ans à peine, ont été violées et soumises à d’autres formes de violence sexuelle par des membres des parties belligérantes.

Dans la plupart des cas documentés par Amnesty International, les victimes ont déclaré que les auteurs des agressions étaient des membres des Forces de soutien rapide ou des milices alliées.

Le viol, l’esclavage sexuel et les autres cas de violence sexuelle commis dans le cadre d’un conflit armé sont des crimes de guerre.

 

Avant le dernier conflit, le Soudan était déjà aux prises avec un problème de violence sexuelle de longue date qui s'étendait au-delà des frontières de la région perturbée du Darfour.

Cependant, les combats ont exacerbé la situation et ils ont plongé les victimes dans un désespoir particulièrement profond au milieu de l’anarchie qui prévaut.

Dans un témoignage récent, cinq femmes appartenant à Beja et Al-Bani Amer, deux tribus qui ont été attaquées par des combattants des Forces de soutien rapide dans la ville orientale de Port-Soudan en 2020 continuent de vivre dans la peur en raison de l’absence de responsabilité.

Elles ont enduré un «traumatisme indescriptible», selon un journaliste local qui s’est entretenu avec elles. L’une des femmes a même été forcée de subir un avortement à la suite de cette effroyable attaque.

La peur de la stigmatisation sociale occupe une place importante. Les victimes redoutent la réaction de leurs proches.

L’absence de justice et de responsabilité au fil des générations ne fait qu’aggraver la situation des victimes, leur laissant peu d’espoir pour se reconstruire.

Fournir un soutien psychologique dans ces circonstances difficiles au Soudan met en lumière «l’urgence de résoudre cette crise humanitaire», déclare Selma Kamel Osman, psychologue clinicienne originaire de Khartoum, dans un entretien accordé à Arab News.

Compte tenu de l’absence de justice et de la violence généralisée, «il est difficile d’aider les victimes à faire face à leur traumatisme et d’obtenir les soins médicaux nécessaires», poursuit-elle.

Conseillère médicale depuis le début du conflit, la psychologue aide les gens à lutter contre l’anxiété.

Avec l’apparition des cas d’agression sexuelle, elle commence à fournir des conseils sur les  réseaux sociaux, qui s’avèrent un moyen plus sûr pour discuter de sujets sensibles à la lumière de la stigmatisation dominante.

Elle encourage les femmes à s’exprimer et à demander de l’aide, tout en offrant une assistance aux survivantes d’agressions sexuelles.

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Avec la situation politique instable au Soudan, la communauté internationale dispose d’outils limités pour intervenir sur le terrain. (AFP)

Malgré les difficultés, la psychologue a fourni un soutien à huit survivantes de violences sexuelles qui ont été attaquées dans des maisons pillées à Khartoum.

«Un cas, cependant, s’est produit dans la rue», rapporte-t-elle, soulignant que la violence sexuelle n’est spécifique à aucune tribu ni à aucune ethnie et qu’elle touche les femmes soudanaises de tous les âges et de tous les horizons.

Pour les victimes de violences sexuelles, l’accès rapide aux services de santé peut sauver la vie. Les militants au Soudan appellent les donateurs à fournir davantage d’équipements médicaux, de trousses d’hygiène et de kits de prophylaxie postexposition pour prévenir la transmission du VIH.

Il est essentiel de veiller à ce que ces articles parviennent aux cliniques locales, aux organisations communautaires et aux intervenants de première ligne lorsque les victimes ne peuvent accéder aux établissements de santé.

«Les ressources sont très limitées et toutes les victimes n’ont pu bénéficier du dépistage du VIH ni de tests de grossesse», déclare la psychologue Osman à Arab News.

«Toutefois, The Emergency Room, une plate-forme en ligne, fournit des conseils médicaux et des protocoles pour traiter les infections sexuellement transmissibles ou les grossesses potentielles», ajoute-t-elle.

Avec la situation politique instable au Soudan, la communauté internationale dispose d’outils limités pour intervenir sur le terrain. En effet, les parties belligérantes ont exigé la non-intervention dans leurs affaires intérieures.

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Un nouveau rapport publié jeudi par Amnesty International détaille plusieurs cas de violences sexuelles contre des femmes et des filles. (AFP)

Cependant, le 1er août, dans une tentative urgente de faire face à l’exacerbation de la crise de violences sexuelles au Soudan, Pramila Patten, la représentante spéciale du secrétaire général de l’ONU sur la violence sexuelle dans les conflits, a tenu une réunion avec le général Abdelrahim Dagalo, commandant adjoint des Forces de soutien rapide.

La réunion s’inscrit dans le cadre du mandat du Conseil de sécurité de l’ONU de dialoguer avec toutes les parties impliquées dans un conflit armé.

La représentante a évoqué l’augmentation inquiétante de la violence sexuelle à Khartoum et au Darfour, soulevant des questions prioritaires comme les attaques ciblées contre les installations et le personnel de santé, l’enlèvement de femmes et de filles et les marchés d’esclaves au Darfour.

Elle soutient que les forces armées soudanaises et les Forces de soutien rapide figurent sur la liste des parties soupçonnées d’être responsables de viols ou de violences sexuelles depuis 2017. Elle appelle à ce que les chaînes de commandement observent une tolérance zéro pour les violences sexuelles dans le cadre de la discipline militaire.

La psychologue Osman déclare à Arab News: «La situation appelle à une intervention et une responsabilité internationales plus larges afin de mettre fin aux atrocités en cours et de garantir la justice pour les victimes.»

«Tenir les auteurs responsables et faire entendre la voix des victimes peut ouvrir la voie à un Soudan libéré de la peur et des traumatismes.»


Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


«Le sang coulait encore»: le calvaire des réfugiés d’El-Facher arrivés au Tchad

Les FSR, en guerre contre l’armée régulière depuis avril 2023, ont pris le contrôle le 26 octobre de cette ville du Darfour, une région de l'ouest du Soudan déjà ensanglantée dans les années 2000. (AFP)
Les FSR, en guerre contre l’armée régulière depuis avril 2023, ont pris le contrôle le 26 octobre de cette ville du Darfour, une région de l'ouest du Soudan déjà ensanglantée dans les années 2000. (AFP)
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  • "Ils ont appelé sept infirmiers et les ont réunis dans une pièce. Nous avons entendu des coups de feu et j’ai vu le sang couler sous la porte", raconte avec émotion à l’AFP l'adolescent de 16 ans
  • La vidéo, comme de nombreuses autres filmées par les FSR lors de leur entrée dans la ville, a été partagée sur les réseaux sociaux

TINE: Après 11 jours de trajet, Mounir Abderahmane atteint enfin le camp de Tiné, dans la province du Wadi Fira au Tchad, après avoir fui El-Facher, au Soudan, le 25 octobre.

Lorsque des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) ont envahi la ville, il veillait son père, militaire dans l'armée régulière blessé quelques jours plus tôt, à l'hôpital saoudien.

"Ils ont appelé sept infirmiers et les ont réunis dans une pièce. Nous avons entendu des coups de feu et j’ai vu le sang couler sous la porte", raconte avec émotion à l’AFP l'adolescent de 16 ans.

La vidéo, comme de nombreuses autres filmées par les FSR lors de leur entrée dans la ville, a été partagée sur les réseaux sociaux. Mounir quitte aussitôt la ville avec son père, qui mourra quelques jours plus tard sur la route qui devait le mener au Tchad.

Les FSR, en guerre contre l’armée régulière depuis avril 2023, ont pris le contrôle le 26 octobre de cette ville du Darfour, une région de l'ouest du Soudan déjà ensanglantée dans les années 2000.

Deux semaines après la prise de la ville, les réfugiés atteignent le Tchad, à plus de 300 km de là. Une poignée d’entre eux, accueillis dans le camp de transit de Tiné, livrent leurs témoignages à l’AFP.

"Coques d'arachides" 

Après 18 mois de siège, tous évoquent une intensification des bombardements à partir du 24 octobre, précédant l’entrée des paramilitaires.

Terrés dans des abris de fortune, des dizaines de personnes s’y entassent pour échapper aux drones. Ils n’ont pour seule nourriture "que des coques d’arachides", raconte Hamid Souleymane Chogar, 53 ans. Le 26 octobre, il s’échappe de sa cachette, "chaque fois que je montais prendre l’air, je voyais dans la rue de nouveaux cadavres, souvent des habitants du quartier que je connaissais", confie-t-il.

Il profite d’une accalmie nocturne pour fuir. Estropié en 2011 lors d'une précédente guerre "à cause des Janjawids" - des milices arabes ayant longtemps persécuté les tribus non arabes du Darfour –, il est hissé sur une charrette qui zigzague dans la ville entre les débris et les cadavres. Leur progression se fait sans parole ni lumière, pour ne pas alerter les paramilitaires.

Alors que les phares d’un véhicule des FSR balayent la nuit, Mahamat Ahmat Abdelkerim, 53 ans, se précipite dans une maison avec sa femme et ses six enfants. Le septième a été tué deux jours plus tôt dans une attaque de drone. "Il y avait une dizaine de cadavres, tous des civils. Leur sang coulait encore", explique-t-il derrière ses lunettes noires, qui cachent un œil gauche perdu quelques mois plus tôt lors d’un bombardement.

Mouna Mahamat Oumour, 42 ans, fuit avec ses trois enfants lorsqu’un obus frappe le groupe. "Quand je me suis retournée, j’ai vu le corps de ma tante déchiquetée. On l’a couverte d’un pagne et on a continué", raconte-t-elle en larmes. "Nous avons marché sans jamais nous retourner", ajoute-t-elle.

Arrivés au sud de la ville, au niveau de la tranchée construite par les paramilitaires pour l'encercler, les cadavres s’accumulent. "Ils remplissent la moitié de ce fossé de deux mètres de large et de trois mètres de haut", détaille Hamid Souleymane Chogar.

Des dizaines ? Des centaines ? Impossible d’estimer leur nombre en pleine nuit, dans cet espace qui s’étend à perte de vue.

Des analyses faites par le laboratoire de l'université américaine de Yale à partir d’images satellites croisées avec des vidéos postées par les FSR, évoquent la présence de nombreux corps dans cette tranchées et sur le talus voisin.

Samira Abdallah Bachir, 29 ans, a emprunté un autre passage, elle a dû descendre dans la tranchée, sa fille de deux ans dans les bras, ses deux autres enfants, âgés de 7 et 11 ans, marchant derrière elle. "On devait éviter les corps pour ne pas marcher dessus", décrit-elle.

Un système de racket 

Une fois sortis de la ville, les réfugiés subissent un nouveau calvaire. A chaque check-point sur les deux principales routes permettant de quitter la ville, les témoignages évoquent de nouvelles violences, viols et vols contre les populations civiles.

Après s'être fait voler son téléphone et son argent, Mahamat Ahmat Abdelkerim doit payer à chaque nouveau check point. "Les FSR ont des téléphones qu’ils mettent sur haut-parleur pour que nous contactions nos proches pour qu’ils nous envoient de l’argent", décrit-il.

Les sommes payées à chaque barrage varient entre 500.000 et un million de livres soudanaises selon les témoignages, soit entre 700 et 1.400 euros.

D’autres témoignages évoquent les ciblages ethniques des FSR. Ils disent "Vous êtes des noirs, des esclaves" raconte un réfugié tout juste arrivé à Tiné. "Ils mettent certains hommes de côté, les dépouillent et tirent au hasard sur eux."

Difficile de savoir combien de Soudanais réussiront à se réfugier au Tchad dans les prochaines semaines. Environ 90.000 personnes ont déjà fui la ville d’El-Facher depuis sa conquête par les paramilitaires, selon les derniers chiffres de l’ONU

Le HCR évoque de son côté "90.000 arrivées dans les trois prochains mois" alors que les violences se poursuivent au Darfour et que les affrontements entre l’armée et les paramilitaires poussent la population à fuir dans la région du Kordofan.

"Des relocalisations sont en cours pour permettre de désengorger le camp de transit de Tiné et accueillir de nouveaux réfugiés", précise Ameni Rahmani, 42 ans, responsable de projet de Médecins Sans Frontières (MSF) à Tiné.

"Les arrivées augmentent encore faiblement mais nous sommes prêts à intensifier notre réponse et à renforcer nos équipes sur place."

Côté soudanais, après s’être retiré du Darfour-Nord suite à des attaques de drones sur des structures médicales depuis deux semaines, MSF prévoit d’y redéployer ces prochains jours ses équipes.

Le conflit au Soudan a fait des dizaines de milliers de morts, en a déplacé près de 12 millions d'autres et provoqué, selon l'ONU, la pire crise humanitaire au monde.

 


Soudan: des sources d'information cruciales emportées par la guerre

En septembre, le reporter de l'AFP avait déjà appris la mort de trois autres de ses sources locales, des hommes toujours prêts à répondre à "ses questions macabres" quand les communications le permettaient. Et toujours sous couvert d'anonymat pour des raisons de sécurité. (AFP)
En septembre, le reporter de l'AFP avait déjà appris la mort de trois autres de ses sources locales, des hommes toujours prêts à répondre à "ses questions macabres" quand les communications le permettaient. Et toujours sous couvert d'anonymat pour des raisons de sécurité. (AFP)
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  • Pendant des mois, le Dr Omar Selik, le Dr Adam Ibrahim Ismaïl, le cheikh Moussa et l'activiste Mohamed Issa ont transmis des informations à l'AFP sur cette ville inaccessible à toute aide extérieure
  • Le correspondant de l'AFP au Soudan, Abdelmoneim Abu Idris Ali, lui-même déplacé de la capitale Khartoum à Port-Soudan, les appelait souvent pour couvrir à distance la guerre sanglante entre l'armée du général Abdel Fattah Al-Burhane et les FSR

PORT-SOUDAN: "Les bombes se rapprochent", "ils tirent sur ceux qui tentent de fuir", "il y a seize morts"... Les informations sur les combats meurtriers et les exactions commises à El-Facher parviennent au monde grâce à de simples citoyens soudanais, restés sur place au péril de leur vie, sources cruciales pour l'AFP.

Cette grande ville de la région du Darfour (ouest) a été assiégée pendant 18 mois avant de tomber le 26 octobre dernier aux mains des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo.

Pendant des mois, le Dr Omar Selik, le Dr Adam Ibrahim Ismaïl, le cheikh Moussa et l'activiste Mohamed Issa ont transmis des informations à l'AFP sur cette ville inaccessible à toute aide extérieure, ensanglantée par des affrontements meurtriers, puis par des massacres commis par les paramilitaires.

Le correspondant de l'AFP au Soudan, Abdelmoneim Abu Idris Ali, lui-même déplacé de la capitale Khartoum à Port-Soudan, les appelait souvent pour couvrir à distance la guerre sanglante entre l'armée du général Abdel Fattah Al-Burhane et les FSR.

Ses quatre sources ont joué un rôle crucial et anonyme. Jusqu'à leur décès...

Adam Ibrahim Ismaïl a été arrêté par les FSR le 26 octobre, le jour de la prise d'El-Facher qu'il tentait de fuir. Il a été abattu le lendemain.

Jusqu'au bout, ce jeune médecin a "soigné les blessés et les malades" de l'hôpital saoudien, le dernier fonctionnel de la ville, selon un communiqué du syndicat des médecins soudanais.

C'est par ce communiqué qu'Abdelmoneim Abu Idris Ali a appris son décès.

Il lui avait parlé quelques jours plus tôt pour faire le point sur les bombardements du jour: "il avait une voix épuisée", se souvient-il. "Chaque fois que nous terminions un appel, il disait au revoir comme si c'était peut-être la dernière fois".

"Questions macabres" 

En septembre, le reporter de l'AFP avait déjà appris la mort de trois autres de ses sources locales, des hommes toujours prêts à répondre à "ses questions macabres" quand les communications le permettaient. Et toujours sous couvert d'anonymat pour des raisons de sécurité.

Les trois ont été tués dans une frappe de drone sur une mosquée d'El-Facher qui a fait au moins 75 morts le 19 septembre.

"Beaucoup de ces 75 personnes avaient fui pour sauver leur vie quelques jours auparavant, mais le drone des FSR les a rattrapées", a précisé Abdelmoneim Abu Idris Ali.

Les voix des sources "me permettaient de dépeindre El-Facher", dit-il. "À travers eux, j'entendais les gémissements des blessés, les peines des endeuillés, la douleur de ceux que broie la machine de guerre", raconte-t-il depuis Port-Soudan.

Avant que la guerre n'éclate, les journalistes pouvaient parcourir le troisième plus grand pays d'Afrique jusque dans ses régions les plus reculées, comme le Darfour.

C'est ainsi que le reporter aguerri de l'AFP a rencontré le cheikh Moussa qui lui a ouvert la porte de son modeste logement en 2006, prélude à deux décennies d'amitié. Il connaissait bien moins les trois autres, faute de temps pour échanger dans une région soumise aux coupures de communication fréquentes.

"Cacher" sa tristesse 

Egalement disparu, le Dr Omar Selik, qui a été loué par de nombreux journalistes internationaux, a vu le système de santé d'El-Facher s'effondrer au fil des mois. Après avoir évacué sa famille dans une zone moins dangereuse, ce médecin continuait de sauver des vies, jusqu'à son propre décès.

"Il me parlait comme s'il s'adressait à la famille d'un patient, annonçant la mort d'un être cher et essayait toujours de cacher la pointe de tristesse dans sa voix lorsqu'il me donnait un bilan des victimes", se souvient Abdelmoneim Abu Idris Ali.

Mohamed Issa, lui, est mort à 28 ans, après des mois à traverser les lignes de front pour apporter nourriture, eau, médicaments aux familles piégées à El-Facher.

"Chaque fois que je lui demandais ce qui se passait, sa voix résonnait joyeusement: +rien de grave inch'Allah, je suis un peu loin, mais je vais aller voir pour toi!+ On ne pouvait pas l'arrêter".

Mohamed Issa se précipitait sur les lieux des frappes, chargeant les blessés sur des charrettes pour les emmener à l'hôpital ou dans n'importe quel lieu susceptible de prodiguer des soins d'urgence, explique le correspondant.

Chassé de son village 

Le cheikh Moussa avait, lui, été chassé de son village il y a 22 ans, au tout début de la guerre du Darfour, par les milices arabes Janjawid, dont les FSR sont les héritières. Il a ensuite vécu dans différents lieux accueillant les réfugiés ballottés au gré des attaques des paramilitaires.

"La violence éclatait encore et encore devant sa porte, mais son rire ne s'est jamais éteint", dit le journaliste de l'AFP.

Quand les bombes ont commencé à pleuvoir sur El-Facher, "il parlait sans fin de la douleur que son peuple subissait, mais si vous lui demandiez comment lui allait, il répondait juste: +alhamdulillah, grâce à Dieu+".

À chaque appel téléphonique, "je l'imaginais assis en tailleur à l'ombre devant sa porte, vêtu d'une djellaba d'un blanc éclatant et d'une calotte assortie, toujours souriant malgré les horreurs qui l'entouraient", se remémore le journaliste de l'AFP.

"Chaque mort est une tragédie que nous sommes habitués à rapporter, mais c'est une autre forme de chagrin lorsqu'il s'agit de quelqu'un avec qui vous avez partagé un repas, quelqu'un dont vous entendiez la voix chaque jour".

 


Trump reçoit le président syrien, une rencontre historique et discrète

Le président américain Donald Trump (à gauche) serre la main du président syrien Ahmed al-Chareh à la Maison Blanche à Washington DC. (AFP)
Le président américain Donald Trump (à gauche) serre la main du président syrien Ahmed al-Chareh à la Maison Blanche à Washington DC. (AFP)
Pas de drapeaux ni de caméras, mais une visite néanmoins historique: Donald Trump a reçu lundi Ahmad al-Chareh, une première pour un chef d'Etat syrien et une consécration pour l'ancien jihadiste. (AFP)
Pas de drapeaux ni de caméras, mais une visite néanmoins historique: Donald Trump a reçu lundi Ahmad al-Chareh, une première pour un chef d'Etat syrien et une consécration pour l'ancien jihadiste. (AFP)
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  • Le président syrien est arrivé à 11h37 locale (16h37 GMT), a annoncé la Maison Blanche, sans passer par le portail principal et sans le protocole habituellement réservé aux chefs d'Etat et de gouvernement étrangers
  • Les journalistes n'ont pas non plus été conviés dans le Bureau ovale au début de l'entretien, comme c'est généralement le cas lors de visites officielles

WASHINGTON: Pas de drapeaux ni de caméras, mais une visite néanmoins historique: Donald Trump a reçu lundi Ahmad al-Chareh, une première pour un chef d'Etat syrien et une consécration pour l'ancien jihadiste.

Le président syrien est arrivé à 11h37 locale (16h37 GMT), a annoncé la Maison Blanche, sans passer par le portail principal et sans le protocole habituellement réservé aux chefs d'Etat et de gouvernement étrangers, que le président américain vient presque toujours accueillir en personne sur le perron.

Les journalistes n'ont pas non plus été conviés dans le Bureau ovale au début de l'entretien, comme c'est généralement le cas lors de visites officielles.

"Très bon travail" 

Jeudi dernier Donald Trump, qui se voit en grand pacificateur du Moyen-Orient, avait estimé que son invité faisait "un très bon travail" en Syrie. "C'est un gars dur. Mais je me suis très bien entendu avec lui" lors d'une entrevue en Arabie saoudite en mai, avait-il ajouté.

A l'époque, le milliardaire de 79 ans avait jugé son homologue de 43 ans "fort" et "séduisant".

Le président intérimaire syrien, dont la coalition islamiste a renversé le dirigeant de longue date Bachar al-Assad en décembre 2024, était arrivé à Washington samedi.

Lors de cette visite historique, Damas devrait signer un accord pour rejoindre la coalition internationale antijihadiste menée par les Etats-Unis, selon l'émissaire américain pour la Syrie, Tom Barrack.

Les Etats-Unis, eux, prévoient d'établir une base militaire près de Damas, "pour coordonner l'aide humanitaire et observer les développements entre la Syrie et Israël", selon une autre source diplomatique en Syrie.

"Nouveau chapitre" 

Le ministre syrien des Affaires étrangères, Assaad al-Chaibani, qui accompagne le président à Washington, a mis en ligne samedi une vidéo tournée avant le voyage illustrant le réchauffement des relations avec les Etats-Unis.

On y voit les deux hommes jouant au basket-ball avec le commandant des forces américaines au Moyen-Orient, Brad Cooper, ainsi qu'avec le chef de la coalition internationale antijihadistes, Kevin Lambert.

La rencontre de lundi "ouvre un nouveau chapitre dans la politique américaine au Moyen-Orient", estime l'analyste Nick Heras, du New Lines Institute for Strategy and Policy.

Vendredi, les Etats-Unis ont retiré le dirigeant syrien de la liste noire des terroristes. Depuis 2017 et jusqu'à décembre dernier, le FBI offrait une récompense de 10 millions de dollars pour toute information menant à l'arrestation du leader de l'ancienne branche locale d'Al-Qaïda, le groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS).

Jeudi, le Conseil de sécurité de l'ONU avait aussi levé les sanctions contre Ahmad al-Chareh, à l'initiative des Etats-Unis.

Israël 

Dès sa prise de pouvoir, le dirigeant syrien a rompu avec son passé, multipliant les ouvertures vers l'Occident et les Etats de la région, dont Israël avec lequel son pays est théoriquement en guerre.

Il a toutefois aussi promis de "redéfinir" la relation de son pays avec la Russie de Vladimir Poutine, allié-clé de Bachar al-Assad, qu'il a rencontré à Moscou il y a moins d'un mois.

"Trump amène Chareh à la Maison Blanche pour dire qu'il n'est plus un terroriste (...) mais un dirigeant pragmatique et, surtout, flexible qui, sous la direction américaine et saoudienne, fera de la Syrie un pilier régional stratégique", explique Nick Heras.

Les présidents américain et syrien devraient également évoquer les négociations entamées par les autorités syriennes avec Israël pour un accord de sécurité en vertu duquel l'Etat hébreu se retirerait des zones du sud du pays occupées après la chute de Bachar al-Assad.

En mai, Donald Trump avait pressé son homologue syrien de rejoindre les accords d'Abraham, qui ont vu plusieurs pays arabes reconnaître Israël en 2020.