Technologie et société, partie 1: «Mutatis mutandis»

Sommet Global de l’IA, à Riyadh le 21 octobre (Photo, AFP).
Sommet Global de l’IA, à Riyadh le 21 octobre (Photo, AFP).
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Publié le Mardi 15 décembre 2020

Technologie et société, partie 1: «Mutatis mutandis»

Technologie et société, partie 1: «Mutatis mutandis»
  • Déjà présente dans la mythologie avec Prométhée, la question des bienfaits du progrès s’est toujours posée avec plus ou moins d’acuité ou d’actualité sous des pressions économiques, environnementales ou culturelles
  • Ces dernières années, l’intérêt pour les technologies de l’information a été soutenu par des développements technologiques notoires, principalement dans l’intelligence artificielle (Watson, AlphaGo), la robotique, la mobilité du futur, les smart cities

Déjà présente dans la mythologie avec Prométhée, la question des bienfaits du progrès s’est toujours posée avec plus ou moins d’acuité ou d’actualité sous des pressions économiques, environnementales ou culturelles. À la fin du xviiie siècle, Ned Ludd brisa un métier à tisser pour exprimer son opposition au progrès technique, donnant naissance à une contestation généralisée: les luddites, des bandes de travailleurs anglais, détruisirent de nombreuses machines dans les filatures de coton et de laine parce qu’elles menaçaient leurs emplois.

On constate aujourd’hui un renouveau du questionnement tautologique de la technologie pour la technologie. Alors que les objecteurs de croissance considèrent avec plus ou moins d’ironie que le « progrès technologique consiste à se débarrasser des problèmes en les remplaçant par des problèmes plus sophistiqués », nos communautés réclament dorénavant la création d’espaces de réflexion sur les usages de la technologie dans le cadre de la vie de la cité.

« Nous devons nous réconcilier avec notre futur et, pour cela, nous pouvons compter sur la force de notre histoire et de notre communauté »

Philippe Blanchard

Pour que le progrès technique soit synonyme de progrès social, l’innovation ne peut plus être seulement « technologique », elle doit également être « sociologique » (en d’autres termes, elle concerne les usages entre le citoyen et la technologique), et donc « politique », c’est-à-dire qu’elle se déroule dans un cadre défini par un gouvernement.

Cette liaison entre la technologie et la vie de la cité (polis) est complexe. L’administration, les institutions académiques, l’entreprise et l’individu ont toujours été les rouages d’un écosystème technique en mouvement permanent. Les usages de la roue, de l’imprimerie à caractères mobiles, de l’électricité, d’Internet... se sont répercutés sur la nature des relations entre le citoyen et son gouvernement. Aujourd’hui, Instagram, TikTok, YouTube, WeChat ou Facebook font plus qu’alimenter des échanges banals et notre narcissisme, ils sont des espaces marchands incontournables et les nouveaux piliers de notre vie politique, avec un impact considérable sur les troubles civils, les élections, les relations entre les citoyens et leur gouvernement… et la géopolitique.

La récente élection américaine a montré qu’au lieu de renforcer le transfert des connaissances et d’accroître le niveau de compréhension et de responsabilisation, l’omniprésence des médias sociaux avait considérablement remis en question les canaux classiques de l’information, déformé la réalité, fragilisé la capacité de réflexion, affaibli la relation avec les leaders des communautés... Il est donc temps de réagir.

Ces dernières années, l’intérêt pour les technologies de l’information a été soutenu par des développements technologiques notoires, principalement dans l’intelligence artificielle (Watson, AlphaGo), la robotique, la mobilité du futur, les smart cities (« villes intelligentes »). Ces développements soulèvent des questions culturelles, voire éthiques, que nous devons maintenant soulever collectivement dans nos communautés, et à l’échelle internationale. Je pense qu’une grande partie des controverses sur les avantages numériques pour nos sociétés et nos communautés sont suscitées et alimentées par le fait que nous ne prenions pas en compte les spécificités de nos territoires ni nos cultures respectives.

« La récente élection américaine a remis en question les canaux classiques de l’information, déformé la réalité, fragilisé la capacité de réflexion, affaibli la relation avec les leaders des communautés... Il est donc temps de réagir »

Philippe Blanchard

La structure sociale en Chine diffère de celle de la France : le concept de « crédit social » y est donc perçu très différemment. La place des parents et des grands-parents dans une famille des Émirats arabes unis est différente de celle qu’elle occupe en Grande-Bretagne. Notre histoire et notre culture sont des atouts pour le développement de notre futur et il faut prendre conscience de ces spécificités, chez nous comme chez notre prochain.

Avec des millions d’autres spectateurs étrangers lors de la Coupe du monde 2018, j’ai été ému par la place de la culture et de l’art dans la vie des Russes de Moscou, de Saint-Pétersbourg et de cette belle ville méconnue, Kazan. Et, à chaque déplacement à Riyad ou à Dhahran, je suis toujours touché par la chaleur de l’hospitalité de mes amis saoudiens.

En 1968, Andy Warhol prédisait que dans l’avenir, tout le monde serait mondialement connu pendant quinze minutes. Comment s’assurer du fait que nous visons au-delà de cette simple reconnaissance instantanée ? Elle nous conforte dans l’instant mais, une fois passée, nous enferme dans la frustration.

Nous devons nous réconcilier avec notre futur et, pour cela, nous pouvons compter sur la force de notre histoire et de notre communauté. Je regrette de constater combien le concept de souveraineté est parfois décrié, mais je suis convaincu que nous sommes tous amenés à être des ambassadeurs fiers de notre culture et de notre histoire, et curieux de celles des autres que nous rencontrons. Pour cela, nous devons être vigilants au fait que l’innovation technologique ne masque pas nos différences.

Nous devons être les acteurs d’une innovation sociologique qui reconnaît notre diversité culturelle et historique. La publicité nous bombarde de messages standardisés, mais nous devons croire dans nos gouvernements et dans leur rôle de gardiens de notre héritage. Car il est essentiel de revisiter notre passé pour comprendre ce qui a conduit notre développement et l’évolution de nos sociétés.

Cette connexion au passé est un enjeu majeur pour les méga-événements de demain; Jeux olympiques, Exposition universelle, Coupe du monde de football doivent donner au gouvernement-hôte la possibilité de montrer toute la richesse et la spécificité de ses communautés et de ses territoires.  

« Je crois que plus vous en savez sur le passé, mieux vous êtes prêt pour l’avenir », Théodore Roosevelt

Philippe Blanchard a été directeur du Comité international olympique, puis en charge du dossier technique de Dubaï Expo 2020. Passionné par les méga-événements, les enjeux de société et la technologie, il dirige maintenant Futurous, les Jeux de l’innovation, des sports et e-sports du futur.

NDLR: Les opinions exprimées par les rédacteurs de cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.