Civitas: que Justice soit… fête!

Le mouvement catholique intégriste Civitas semble avoir repris du poil de la bête (Photo, AFP).
Le mouvement catholique intégriste Civitas semble avoir repris du poil de la bête (Photo, AFP).
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Publié le Mercredi 23 août 2023

Civitas: que Justice soit… fête!

Civitas: que Justice soit… fête!
  • Après avoir connu une éclipse, dans le sillage du Front national, ce mouvement catholique intégriste semble avoir repris du poil de la bête
  • L’histoire de ce mouvement dont le nom, d’origine latine, désigne une «communauté de citoyens», est étroitement liée, on l’a vu, à celle de l’extrême-droite

Le 7 août, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a engagé, et en grande pompe médiatique (c’est la loi du genre), processus visant la dissolution de Civitas. Après avoir connu une éclipse, dans le sillage du Front national, ce mouvement catholique intégriste semble avoir repris du poil de la bête. Sa dernière action d’éclat date, nous dit-on, du 30 juillet dernier. 

Ce jour-là, à Pontmain, lors des «Universités d’été» de Civitas, l’essayiste Pierre Hillard, avait déclaré: «Vous avez eu un événement en septembre 1791, la naturalisation des Juifs (…). Avant 1789, un Juif, un Musulman, un Bouddhiste ne pouvaient pas devenir Français. Pourquoi? Parce que c'étaient des hérétiques (…). La naturalisation de Juifs en 1791 ouvre la porte à l’immigration.» Et de conclure: «Évidemment, si on veut rétablir les lois de catholicité, et qu’on fait du catholicisme traditionnel la religion d’État, peut-être faudrait-il retrouver la situation d’avant 1789.» 

Autrement dit, avant la «naturalisation» des Juifs. Et c’est précisément là, l’infraction, le délit qui a fait scandale. Car les Juifs n’avaient pas été «naturalisés» mais émancipés. Nuance juridique qui ne fait pas d’eux des immigrés mais des citoyens, même de seconde catégorie. Mais, pire encore, notre grand esprit préconise de «retrouver la situation d’avant 1789»! Autrement dit, que les Juifs deviennent des «immigrés» de énième génération, comme il y a des maghrébins immigrés de deuxième et troisième générations. Cette envolée de celui qui rêve de la «rechristianisation» de la France, comme Éric Zemmour rêve de la «remigration» des étrangers, a été aussitôt condamnée par l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra) et nombre de personnalités politiques de tous bords, y compris Jean-Luc Mélenchon.

Justice saisie: pourquoi aujourd’hui?

Les propos qui ont suscité l’ire du ministre de l’Intérieur datent du 30 juillet. Or, quelques recherches sur Internet m’ont appris que les mêmes propos, où il est question de la «naturalisation» des Juifs de France après 1789, le même Pierre Hillard les avait déjà prononcés le 8 juin, autrement dit près de deux mois plus tôt, sur la chaîne-TV de l’association politique Égalité et Réconciliation, qui fut longtemps proche du Front national et de Jean-Marie Le Pen. Comment expliquer qu’il aura fallu attendre cinquante jours et la récidive du même essayiste Pierre Hillard avant que le scandale n’éclate, et, surtout, avant que le ministre de l’Intérieur ne décide de réagir aussi fermement? Question sans réponse, pensais-je. 

Réflexion faite, entre le 8 juin et le 30 juillet, il s’était bien passé quelque chose. Un événement. Attendu mais pas comme l’espérait Gerald Darmanin: le 20 juillet, la formation d’un nouveau gouvernement, sans changement à Matignon. Poste que, selon des rumeurs concordantes, Gérald Darmanin convoitait, avec, à l’esprit, la perspective d’une candidature à l’élection présidentielle de 2027. Et comme le hasard fait bien les choses, voilà que son mentor, Nicolas Sarkozy, vient de l’adouber, dans le deuxième tome de ses mémoires, sorti le 19 août, où l’on peut lire: «Saura-t-il [Darmanin] franchir l’étape ultime, celle qui mène à la présidence de la République? Je le lui souhaite car il a des qualités évidentes.» 

Ainsi, l’adoubement de l’ancien président français, qui, rappelons-le, fut ministre de l’Intérieur avant d’accéder à l’Élysée, semble bien conforter les ambitions de l’actuel ministre de l’Intérieur dans le cadre d’un calendrier électoral établi quatre ans avant les échéances… Cela dit, on aurait aimé être témoin d’une telle réactivité bien plus tôt que le 8 juin, du temps où c’étaient les musulmans et les francs-maçons qui servaient de boucs-émissaires à Civitas… Oui, mais cela ne servait en rien ledit calendrier. 

Civitas: communauté ou confrérie? 

L’histoire de ce mouvement dont le nom, d’origine latine, désigne une «communauté de citoyens», est étroitement liée, on l’a vu, à celle de l’extrême-droite. Fondée comme association en 1999, Civitas a été dirigé à partir de 2012 par Alain Escada, un ancien cadre du Front nouveau de Belgique, un parti national-catholique. En 2016, d’association, Civitas est devenu un parti. La dénomination latine n’est pas anodine: elle est comme un pied de nez, pour ainsi dire, au Vatican II, ce Deuxième Concile qui fit une révolution dans le christianisme en commençant par supprimer l’emploi du latin dans la messe. 

En outre, le nouveau Concile préconise la «reconnaissance de la liberté religieuse» et invite à «oublier les dissensions et inimitiés entre chrétiens et musulmans». Une révolution, en effet, que les chrétiens intégristes ne pouvaient souffrir. Soit dit en passant: il ne faut pas confondre «catholiques traditionalistes» et «catholiques intégristes»: les premiers demeurent opposés au Concile «Vatican II», mais, contrairement aux seconds, sont restés fidèles à Rome. 

En somme, voici ce que les adeptes de Civitas ne supportent pas: «Le Concile Vatican II bouleverse profondément la mentalité des catholiques, les incitant à être plus attentifs aux courants de pensée contemporaine (…), les amenant à la tolérance et à la compréhension vis-à-vis des autres chrétiens, des autres croyants et des non-croyants»

Malgré les plaintes déposées contre le mouvement pour cause d’homophobie et autres discriminations, sans compter les oppositions aux projets de centres d’accueil pour migrants, malgré ses excès, Civitas semble poser moins de problèmes à l’État qu’à la masse des catholiques vivant leur religion en toute simplicité, loin des outrances des intégristes, outrances qui font les belles heures des médias, lesquels ne sont nullement dérangés par les références à Maurras ou à Pétain… 

Mais voilà, enfin, que le ministère de l’Intérieur a décidé de régler son compte à ce mouvement qui, selon le journal La Croix, tient ses ordres de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X. Il aura donc fallu les propos antisémites proférés, le 8 juin et répétés le 30 juillet, par Pierre Hillard, pour que la Justice soit saisie. 

L’essentiel, après tout, est que justice soit faite. En attendant qu’elle soit… fête, oui. Autant dire: égale pour tous. Pour cela, l’abolition du deux poids deux mesures s’impose. 

 

² Le deuxième concile du Vatican, dit Vatican II (Encyclopédie Larousse).

³ La FSSPX, fondée par l’évêque Lefebvre, qui sera excommunié pour avoir sacré quatre évêques traditionalistes sans l’aval du pape Jean-Paul II.

Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).

Twitter: @SGuemriche

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.