La Grande-Bretagne réagit aux souffrances de Gaza en criminalisant le soutien aux Palestiniens

Des Palestiniens déplacés quittent un camp de tentes de fortune à Rafah, près de la frontière avec l’Égypte, dans le sud de la bande de Gaza. (AFP)
Des Palestiniens déplacés quittent un camp de tentes de fortune à Rafah, près de la frontière avec l’Égypte, dans le sud de la bande de Gaza. (AFP)
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Publié le Mardi 23 janvier 2024

La Grande-Bretagne réagit aux souffrances de Gaza en criminalisant le soutien aux Palestiniens

La Grande-Bretagne réagit aux souffrances de Gaza en criminalisant le soutien aux Palestiniens
  • Les députés conservateurs britanniques cherchent à faire adopter une loi qui interdirait aux conseils locaux, aux universités et à d’autres organismes publics de boycotter Israël
  • Le Parti travailliste s’est opposé à ces mesures d’une manière terne, soulignant que le parti «s’oppose totalement à une politique de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS) à l’encontre d’Israël»

Le pays de la Magna Carta organise un feu de joie des droits de l’homme et des libertés fondamentales, avec des mesures visant à criminaliser le soutien à la Palestine et à envoyer les demandeurs d’asile au Rwanda. Parmi les mesures bizarres qu’ils s’empressent de prendre avant d’être exclus du pouvoir pour une génération, les conservateurs britanniques cherchent à faire adopter une loi qui interdirait aux conseils locaux, aux universités et à d’autres organismes publics de boycotter Israël.

Le moment choisi ne pourrait être plus diabolique, des milliers de civils palestiniens ayant été massacrés depuis plus de trois mois. Dans sa définition d’Israël, la loi proposée inclut les Territoires palestiniens occupés, rendant ainsi illégale toute prise de position contre les colonies israéliennes, elles-mêmes illégales au regard du droit international. Il est doublement pervers que cela contredise la position politique de longue date de la Grande-Bretagne sur l’illégalité de l’occupation.

Dans une attaque cinglante contre le projet de loi, Alicia Kearns, députée conservatrice qui préside le Comité des affaires étrangères du Parlement, a déclaré qu’il «est en contradiction avec notre politique étrangère, qu’il porte atteinte à la liberté d’expression, qu’il va à l’encontre du droit international et qu’il promeut un étrange exceptionnalisme dans la législation primaire du Royaume-Uni».

Le gouvernement s’empresse de faire adopter ces politiques au Parlement afin de créer des grenades politiques dans sa guerre culturelle incessante d’extrême droite, cherchant à taxer d’antisémite le Parti travailliste d’opposition. Alors qu’une grande proportion de la base du parti travailliste est instinctivement propalestinienne, et que, sous les précédents dirigeants, l’accusation d’antisémitisme avait un certain poids, certains de ses nouveaux dirigeants semblent désormais croire qu’ils ne peuvent démontrer leur aptitude à gouverner qu’en débitant des platitudes pro-israéliennes. Le Parti travailliste s’est opposé à ces mesures d’une manière assez terne, invoquant la liberté d’expression et soulignant que le parti «s’oppose totalement à une politique de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS) à l’encontre d’Israël».

Le monde a changé au point d'être méconnaissable depuis la conception de ces mesures antiboycott: plus de 25 000 Palestiniens, dont 70% de femmes et d’enfants, ont perdu la vie dans les opérations génocidaires d’Israël à Gaza, et des milliers d’autres ont été ensevelis sous les décombres. Les citoyens britanniques horrifiés, comme le reste du monde, ingurgitent quotidiennement des atrocités en s’informant sur des médias traditionnels et les réseaux sociaux.

Ce ne sont pas seulement les musulmans et les minorités ethniques, mais aussi les jeunes et les étudiants qui sont indignés par la façon dont la classe politique du pays tente par tous les moyens d’éviter de critiquer Israël. Des centaines de milliers de Britanniques ayant travaillé dans les États du Golfe et dans le reste du monde arabe ont généralement une compréhension plus nuancée de la cause palestinienne.

Un très grand nombre de personnes ont participé à des manifestations propalestiniennes dans les grandes villes du Royaume-Uni, que les médias de droite et des politiciens de premier plan dénoncent comme des «marches de la haine» organisées par des «extrémistes antibritanniques».

«La Grande-Bretagne et d’autres États prennent des mesures visant à criminaliser ceux qui adoptent une position de principe sur les crimes contre l’humanité et la persécution du peuple palestinien»

- Baria Alamuddin

À l’approche des élections prévues cette année, le Parti conservateur se désintègre furieusement dans une course à la mort de plus en plus orientée vers la droite. Le Premier ministre Rishi Sunak jouit d’une cote de popularité nette de moins 49, et les travaillistes ont une avance considérable de 28 points dans les sondages. Cependant, la solution du Parti conservateur à son impopularité chronique a été de s’enliser dans une guerre civile à propos des projets d’expulsion de réfugiés vers le Rwanda.

Cette proposition a d’abord été bloquée par la Cour suprême qui, sans surprise, a jugé que le Rwanda n’était pas sûr pour les demandeurs d’asile. La solution de M. Sunak est de demander au Parlement d’adopter une loi déclarant le Rwanda sûr. Les partisans de la ligne dure voulaient aller encore plus loin en prenant des mesures potentiellement illégales pour empêcher des institutions comme la Cour européenne des droits de l’homme (CEDF) d’exercer leur compétence, ce qui permettrait au gouvernement de violer les droits de l’homme en toute impunité. Il n’est pas étonnant qu’ils soient si pressés de faire cause commune avec le régime paria de Benjamin Netanyahou!

La baronne Kennedy, éminente avocate et membre de la Chambre des lords, a qualifié les mesures concernant le Rwanda de projet de loi «détesté et détestable» qui, au mieux, ne permettrait de renvoyer qu’une poignée de demandeurs d’asile à un coût énorme. Une telle obsession monomaniaque sur cette question, sans tenir compte de l’état désastreux des services publics britanniques et de la stagnation de l’économie, n’est évidemment pas de nature à faire gagner des voix à un parti au pouvoir kamikaze qui a perdu depuis longtemps la volonté de gouverner de manière responsable.

Les attitudes à l’égard du mouvement BDS varient en Occident. Un certain nombre de grandes villes européennes ont révoqué les accords de jumelage avec Israël, notamment Barcelone, qui a rompu ses relations avec Tel-Aviv. À l’opposé, l’Allemagne et les États-Unis ont annulé de nombreux événements organisés par des personnalités propalestiniennes en raison d’allégations fallacieuses d’antisémitisme.

La municipalité d’Oslo, ville d’une importance symbolique considérable pour le processus de paix, a adopté une mesure interdisant les étiquettes «Fabriqué en Israël» sur les produits produits dans les colonies israéliennes illégales. L’Irlande cherche à présenter des projets de lois pour interdire le commerce avec les colonies. Cette mesure fait suite à un arrêt rendu en 2019 par la Cour de justice de l’Union européenne (CEDH), selon lequel tous les biens produits dans les «régions occupées par Israël» doivent être étiquetés comme tels afin de ne pas induire les consommateurs en erreur.

En outre, la CEDH a statué en 2020 que la législation antiboycott violait la liberté d’expression. La situation est radicalement différente aux États-Unis, où 35 États ont adopté des lois interdisant le boycott d’Israël. Bien que les tribunaux se soient opposés à de telles restrictions de la liberté d’expression, plusieurs entreprises ont été persécutées après avoir renoncé à investir dans des colonies illégales. Les étudiants de prestigieuses universités américaines qui ont manifesté leur soutien au BDS ont été ajoutés à des listes noires de recrutement.

Il est pervers et scandaleux qu’à l’heure où Israël est accusé de génocide devant la Cour internationale de justice de La Haye, la Grande-Bretagne et d’autres États prennent des mesures visant à criminaliser ceux qui adoptent une position de principe sur les crimes contre l’humanité et la persécution du peuple palestinien. J’aime la Grande-Bretagne, le pays libre et démocratique qui m’a adopté, et je souffre donc à tous les niveaux lorsque j’assiste à l’adoption forcée de mesures aussi antilibérales. C’est comme si le monde libre voulait saper tout ce qu’il représente.

Ceux qui cherchent à nous pénaliser pour avoir agi selon notre conscience ne devraient pas seulement être démis de leurs fonctions, mais devraient eux-mêmes rendre des comptes pour avoir préconisé des mesures qui foulent aux pieds la démocratie, la liberté et la justice au profit de leur propre avancement politique.

Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice qui a reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d’État.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com