Turquie: la répression de la liberté d'expression mise en lumière dans un rapport récent

Des manifestants brandissent des photos de journalistes détenus lors d'une manifestation devant le palais de justice d'Istanbul. Un rapport publié récemment met en évidence les violations répétées des droits de l'homme en Turquie. (AFP/Dossier)
Des manifestants brandissent des photos de journalistes détenus lors d'une manifestation devant le palais de justice d'Istanbul. Un rapport publié récemment met en évidence les violations répétées des droits de l'homme en Turquie. (AFP/Dossier)
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Publié le Vendredi 01 janvier 2021

Turquie: la répression de la liberté d'expression mise en lumière dans un rapport récent

  • Des 47 pays membres du Conseil de l'Europe, c’est la Turquie qui présente le plus grand nombre de violations de la liberté d'expression aux termes de l'article 10 de la Convention
  • L’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) a de nouveau exhorté Ankara à se plier à la décision de la Cour européenne des droits de l'homme exigeant la libération immédiate de Demirtas

ANKARA : Un rapport publié le 29 décembre par le site Expression Interrupted met en lumière les nombreuses violations par la Turquie de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, dont elle est signataire, ainsi que son non-respect des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).

Des 47 pays membres du Conseil de l'Europe, c’est la Turquie qui présente le plus grand nombre de violations de la liberté d'expression aux termes de l'article 10 de la Convention. Sur les 845 jugements émis par la Cour européenne des droits de l'homme entre 1959 et 2019, 356 ont été prononcés contre la Turquie. C’est à près cinq fois le nombre d'arrêts prononcés contre la Russie, qui occupe la deuxième place, avec une grande différence. 

La Turquie est également en tête de liste en matière de violations des droits de l'homme, en vertu de tous les articles de la Constitution. «Entre 1959 et 2019, 3 645 des 22 535 arrêts rendus par la Cour concernaient la Turquie, qui est ainsi le pays visé par le plus grand nombre d'arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l'homme», peut-on lire dans le rapport. Sur les 5 231 affaires actuellement en cours d'exécution par les parties signataires, 689 sont dirigées contre la Turquie.

Le rapport note également: «Ces chiffres considérables s'expliquent en grande partie du fait que la Turquie ne met pas en vigueur les arrêts rendus précédemment par la Cour européenne des droits de l'homme, ce qui laisse présager que des violations similaires se reproduiront à l'avenir.» En outre, le rapport souligne que les arrêts ont été interprétés de façon extensive, notamment ceux qui concernent «l'insulte au président» ou «le mépris de la nation/l’État turc». Cette interprétation a déclenché des arrestations et des poursuites judiciaires, ce qui constitue une violation des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme.

«En appliquant aussi promptement les jugements comme ceux qui sont rendus contre Kavala et Demirtas, la Turquie prouve à quel point elle adhère aux valeurs fondamentales du Conseil de l'Europe et à la Convention européenne des droits de l'homme», confie à Arab News Massimo Frigo, juriste international principal à la Commission internationale des juristes (CIJ).

La semaine dernière, en effet, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) a de nouveau exhorté Ankara à se plier à la décision de la Cour européenne des droits de l'homme exigeant la libération immédiate de Demirtas.

La Turquie fait partie des membres fondateurs du Conseil de l'Europe et a ratifié la Convention européenne des droits de l'homme en 1954. «En vertu de l'article 46 de la Convention, la Turquie est tenue d'appliquer les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme dans le pays», comme le précise à Arab News l'avocate des droits de l'homme Beril Morel.

Suprématie du droit international sur le droit national

Selon Mme Morel, la Turquie affiche des résultats particulièrement médiocres en ce qui concerne la mise en œuvre des arrêts rendus dans des affaires politiques sensibles. «Le refus d'Ankara de reconnaître les violations dans les affaires Demirtas et Kavala en est une illustration récente des violations qu’elle commet», explique-t-elle.

Par ailleurs, Mme Morel évoque «les actions des forces de sécurité, la légalité de la détention, la violence domestique, la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d'expression et d'information, et la liberté de réunion et d'association», en précisant que ces thèmes pourraient «figurer en tête de l'agenda de la Cour européenne des droits de l'homme concernant la Turquie».

«La Turquie a modifié sa Constitution et a reconnu la suprématie du droit international sur le droit national. L'article 90 de la Constitution prévoit expressément que les conventions internationales relatives aux droits de l'homme, dont celle de la CEDH, prévalent sur le droit interne en cas de conflit», précise Mme Morel. Par conséquent, la Turquie est tenue d'appliquer les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme. Toutefois, souligne-t-elle, la Cour européenne des droits de l'homme n'est pas en mesure d'intervenir pour la mise en œuvre de ses arrêts par les États membres si la question lui est soumise par une deuxième requête et qu'une violation de l'article 46 de la Convention est constatée.

«C'est avec une grande tristesse que nous finissons l'année 2020. La crise des droits de l'homme et de l'État de droit en Turquie ne fait que s'aggraver», confie à Arab News Ayse Bingol Demir, avocate des droits de l'homme et codirectrice du projet de soutien aux litiges concernant les droits de l'homme en Turquie.

Selon Mme Demir, la détention de Kavala et Demirtas qui perdure – en dépit des décisions de la Cour européenne des droits de l'homme – constituera un élément important de l'ordre du jour du Comité des ministres du Conseil de l'Europe en 2021.

«Il est fort probable que la Turquie sera confrontée à une pression accrue et à des décisions plus tranchantes de la part du Comité», affirme Mme Demir. «Je m'attends à ce que le Comité considère que la détention de Demirtas est une violation continue des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, comme il l'a fait dans l'affaire de Kavala en 2020.» 

«La commission se concentrera également sur les détentions arbitraires et illégales, le recours fréquent aux lois antiterroristes pour cibler les activités légitimes des défenseurs des droits de l'homme et des politiciens de l'opposition. Elle se penchera de même sur la partialité du système judiciaire», poursuit-elle. «Si le gouvernement au pouvoir décide de maintenir sa politique de déni, il est certain que ses relations avec le Conseil de l'Europe seront plus compliquées en 2021».

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com.

 


Centre de coordination militaro-civile pour Gaza: beaucoup de discussions, peu de résultats

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  • "Il y a des moments où on se dit qu'on a touché le fond mais qu'on creuse encore" ironise un humanitaire qui s'y est rendu plusieurs fois pour parler des abris fournis aux centaines de milliers de Palestiniens de Gaza déplacés
  • "Au départ, personne ne savait ce que c'était, mais tout le monde voulait en être", raconte un diplomate européen à l'AFP, "maintenant les gens déchantent un peu, ils trouvent que rien n'avance, mais on n'a pas le choix"

JERUSALEM: Lancé par les Etats-Unis dans le sillage du cessez-le-feu entre Israël et le Hamas pour surveiller la trêve et favoriser l'afflux d'aide humanitaire, le Centre de coordination militaro-civile (CMCC) pour Gaza peine à tenir ses promesses.

"Au départ, personne ne savait ce que c'était, mais tout le monde voulait en être", raconte un diplomate européen à l'AFP, "maintenant les gens déchantent un peu, ils trouvent que rien n'avance, mais on n'a pas le choix, il n'y a aucune autre initiative, c'est ça ou continuer à discuter dans le vent avec des Israéliens".

"Il y a des moments où on se dit qu'on a touché le fond mais qu'on creuse encore", ironise un humanitaire qui s'y est rendu plusieurs fois pour parler des abris fournis aux centaines de milliers de Palestiniens de Gaza déplacés par la campagne militaire israélienne.

Le CMCC doit permettre d'amorcer la suite des étapes du plan de paix pour Gaza après plus de deux ans d'une guerre dévastatrice déclenchée le 7 octobre 2023 par l'attaque sans précédent du mouvement palestinien Hamas sur Israël.

"Lorsque nous l'avons ouvert, nous avons clairement indiqué qu'il se concentrait sur deux choses: faciliter l'acheminement de l'aide humanitaire, logistique et sécuritaire vers Gaza et aider à surveiller en temps réel la mise en oeuvre de l'accord", insiste le capitaine Tim Hawkins, porte-parole du Commandement militaire central américain (Centcom), couvrant notamment le Moyen-Orient.

L'initiative a été présentée aux acteurs (ONG, agences des Nations unies, diplomates...) comme un générateur d'idées totalement inédites.

Frustrés par leurs difficultés avec les autorités israéliennes, de nombreux pays et acteurs humanitaires disent s'être jetés dans le projet, impatients d'avoir un nouvel interlocuteur se disant enclin à trouver des solutions: les Etats-Unis.

"Rien n'a changé" 

"Au début, les Américains nous ont dit qu'ils découvraient qu'Israël interdisaient l'entrée de tout un tas de choses dans Gaza, la fameuse liste des biens à double usage, ils avaient l'air choqués et on se disait qu'enfin on allait franchir cet obstacle", raconte un ingénieur humanitaire, "mais force est de constater que strictement rien n'a changé".

Deux mois après l'ouverture, nombre d'humanitaires et diplomates contactés par l'AFP jugent, sous couvert de l'anonymat, que la capacité ou la volonté américaines à contraindre Israël est limitée.

Les visiteurs réguliers ou occasionnels des lieux ont décrit à l'AFP le grand hangar occupé par le CMCC à Kiryat Gat (sud d'Israël), comme un entrepôt où de nombreux militaires, israéliens et américains principalement, rencontrent des humanitaires, diplomates, et consultants.

Le premier des trois étages du bâtiment est réservé aux Israéliens, et le dernier aux troupes américaines. Tous deux sont interdits d'accès aux visiteurs.

Le deuxième, recouvert de gazon artificiel, sert d'espace de rencontres avec le monde extérieur.

"On dirait un espace de coworking, mais avec des gens en uniforme", s'amuse une diplomate qui raconte y croiser des "GIs qui boivent de la bière" au milieu d'une sorte d'open-space, avec des panneaux récapitulant les principaux points du plan Trump.

Plusieurs personnes ont dit à l'AFP avoir vu un tableau blanc barré de l'inscription "What is Hamas?" ("Qu'est-ce que le Hamas?") en lettres capitales, sans éléments de réponse.

"Il y a des tables rondes sur des sujets qui vont de la distribution d'eau ou de nourriture à la sécurité", raconte un humanitaire, "en gros on nous écoute décrire ce qu'on veut faire, et quels problèmes on a rencontrés depuis deux ans".

"Boussole du droit" 

Mais "ce n'est pas là que les décisions sont prises", tranche un diplomate qui cite des canaux de discussions parallèles, notamment une équipe supervisée par Arieh Lighstone, un collaborateur de l'émissaire américain Steve Witkoff, à Tel-Aviv.

Plusieurs diplomates regrettent l'absence d'officiels palestiniens dans les murs.

Un autre problème réside dans l'émergence de concepts largement rejetés par la communauté internationale, notamment celui des "Alternative Safe Communities" (ASC), visant à regrouper des civils "vérifiés", non affiliés au Hamas, dans des communautés créées ex nihilo dans une zone de la bande de Gaza sous contrôle militaire israélien, et où les services de base seraient dispensés.

"On a perdu la boussole du droit", commente une diplomate.

Mais le reproche qui revient le plus souvent est le fait que les questions politiques (gouvernance, maintien de l'ordre...) sont évacuées au profit de questions techniques.

"Ils discutent d'où mettre les stations d'épuration, pas de qui les exploitera ni de qui paiera les employés", résume un autre.

Concédant "certaines frictions", sans plus de détail, le capitaine Hawkins, du Centcom, met en avant certaines avancées comme l'ouverture de nouveaux points de passage pour l'aide à destination de Gaza. "Nous progressons, assure-t-il, tout en reconnaissant pleinement qu'il reste encore beaucoup à faire."


Le Congrès américain approuve la levée définitive des sanctions contre la Syrie

La loi Caesar adoptée en 2019 imposait des sanctions américaines drastiques contre le gouvernement de Bachar al-Assad, bannissant le pays du système bancaire international et des transactions financières en dollars. (AFP)
La loi Caesar adoptée en 2019 imposait des sanctions américaines drastiques contre le gouvernement de Bachar al-Assad, bannissant le pays du système bancaire international et des transactions financières en dollars. (AFP)
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  • Le gouvernement américain a indiqué être favorable à l'abrogation de cette loi Caesar
  • Son application avait déjà été suspendue par deux fois pour six mois après l'annonce du président Trump en mai levant les sanctions contre la Syrie dans le cadre de la normalisation des relations entre ce pays et les Etats-Unis

WASIHNGTON: Le Congrès américain a approuvé mercredi la levée définitive des sanctions imposées par les Etats-Unis contre la Syrie du temps de Bachar al-Assad, devant permettre le retour d'investissements dans ce pays ravagé par des années de guerre civile.

L'abrogation d'une loi dite "Caesar", adoptée en 2019 lors du premier mandat de Donald Trump et qui imposait ces sanctions, figure en effet dans le texte sur la stratégie de défense (NDAA), que le Sénat américain a approuvé mercredi par 77 voix pour et 20 contre.

La Chambre des représentants s'était déjà prononcée la semaine dernière et le texte attend désormais d'être promulgué par le président américain.

Le gouvernement américain a indiqué être favorable à l'abrogation de cette loi Caesar. Son application avait déjà été suspendue par deux fois pour six mois après l'annonce du président Trump en mai levant les sanctions contre la Syrie dans le cadre de la normalisation des relations entre ce pays et les Etats-Unis.

Le chef de la diplomatie syrienne, Assaad al-Chaibani, a salué sur Telegram le vote du Sénat comme "ouvrant de nouveaux horizons pour la coopération et le partenariat entre notre pays et le reste du monde".

La loi Caesar adoptée en 2019 imposait des sanctions américaines drastiques contre le gouvernement de Bachar al-Assad, bannissant le pays du système bancaire international et des transactions financières en dollars.

Bien que son application soit suspendue, de nombreux responsables américains jugeaient qu'elle pouvait nuire à la confiance des investisseurs tant qu'elle n'était pas abrogée.

Le dirigeant syrien Ahmad al-Chareh a été reçu le 10 novembre à la Maison Blanche par le président Trump, une première pour un chef d'Etat syrien depuis l'indépendance du pays en 1946 et une consécration pour l'ancien jihadiste qui, en moins d'un an au pouvoir, a sorti son pays de l'isolement.

Donald Trump l'avait déjà rencontré lors d'un voyage dans le Golfe en mai, annonçant alors la levée des sanctions américaines.

Après 13 ans de guerre civile, la Syrie cherche à garantir des fonds pour sa reconstruction, dont le coût pourrait dépasser 216 milliards de dollars, selon la Banque mondiale.

"L'abrogation aujourd'hui de la loi Caesar est une étape décisive pour donner au peuple syrien une véritable chance de se reconstruire après des décennies de souffrances inimaginables", s'est félicité la sénatrice démocrate Jeanne Shaheen.


Les principales villes du Soudan privées de courant après des frappes de drones sur une centrale

Les principales villes du Soudan, dont Khartoum et Port-Soudan, ont été plongées dans le noir dans la nuit de mercredi à jeudi après des frappes de drones contre une importante centrale électrique, qui ont également fait deux morts. (AFP)
Les principales villes du Soudan, dont Khartoum et Port-Soudan, ont été plongées dans le noir dans la nuit de mercredi à jeudi après des frappes de drones contre une importante centrale électrique, qui ont également fait deux morts. (AFP)
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  • Les frappes ont ciblé les transformateurs de la station électrique d’Al-Muqrin à Atbara, dans l'Etat du Nil, dans l'est du pays, a précisé la compagnie d'électricité nationale
  • Deux secouristes ont été tués par une deuxième frappe de drone survenue alors qu'ils tentaient d'éteindre l'incendie provoqué par la première, a déclaré un responsable de la centrale en attribuant cette frappe aux paramilitaires des FSR

PORT-SOUDAN: Les principales villes du Soudan, dont Khartoum et Port-Soudan, ont été plongées dans le noir dans la nuit de mercredi à jeudi après des frappes de drones contre une importante centrale électrique, qui ont également fait deux morts, ont indiqué plusieurs témoins à l'AFP.

Les frappes ont ciblé les transformateurs de la station électrique d’Al-Muqrin à Atbara, dans l'Etat du Nil, dans l'est du pays, a précisé la compagnie d'électricité nationale.

Deux secouristes ont été tués par une deuxième frappe de drone survenue alors qu'ils tentaient d'éteindre l'incendie provoqué par la première, a déclaré un responsable de la centrale en attribuant cette frappe aux paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR).

Le gouvernement de l’État du Nil a confirmé la mort des deux secouristes dans un communiqué officiel.

Cette station est un nœud stratégique du réseau électrique soudanais, recevant l’électricité produite par le barrage de Merowe — la plus grande source d'énergie hydroélectrique du pays — avant sa redistribution vers plusieurs régions.

Des témoins ont également indiqué qu’aux alentours de 02H00 (minuit GMT), les forces de l’armée régulière avaient activé leurs systèmes de défense antiaérienne, rapportant avoir vu des flammes et de la fumée s'élever au-dessus de la ville contrôlée par l'armée en guerre depuis avril 2023 contre les FSR.

Les coupures d’électricité se sont étendues à plusieurs États, notamment ceux du Nil, de la mer Rouge — où se trouve Port-Soudan, siège provisoire du gouvernement pro-armée — ainsi qu’à la capitale Khartoum, selon des témoins, l'incendie n'étant toujours pas maitrisé.

Les FSR n’ont jusqu'à présent pas commenté l'attaque.

Ces derniers mois, les FSR ont été accusées de lancer des attaques de drones sur de vastes zones contrôlées par l’armée, visant des infrastructures civiles et provoquant des coupures de courant affectant des millions de personnes.

La guerre, qui a éclaté en avril 2023, a fait plusieurs dizaines de milliers de morts, des millions de déplacés et provoqué "la pire crise humanitaire au monde", selon l'ONU.