La «résistance islamique» arme les États arabes contre leurs peuples

Des travailleurs de la santé défilent à Sanaa le 9 mars 2024 dans le cadre d'une campagne de mobilisation des Houthis. (Reuters)
Des travailleurs de la santé défilent à Sanaa le 9 mars 2024 dans le cadre d'une campagne de mobilisation des Houthis. (Reuters)
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Publié le Vendredi 15 mars 2024

La «résistance islamique» arme les États arabes contre leurs peuples

La «résistance islamique» arme les États arabes contre leurs peuples
  • Inna Rudolf a décrit de manière perspicace comment les factions du Hachd ont œuvré pour consolider cette vision de l'Irak en tant qu'«État de résistance»
  • Le Liban, autrefois prospère, diversifié et riche en réalisations culturelles et éducatives, est désormais plongé dans une crise économique désastreuse

Le chef du Commandement central des États-Unis, le général Michael Kurilla, a averti la semaine dernière les sénateurs que Téhéran avait étendu son influence à travers la région en exploitant chaque proxy disponible, créant ainsi une «convergence de crises» et une situation décrite comme «la plus volatile depuis cinquante ans», avec les forces américaines et le transport maritime mondial parmi les principales cibles de ces factions de «résistance». 

Lorsque des personnalités telles que Hassan Nasrallah, Qais al-Khazali et Abdelmalek al-Houthi évoquent la «résistance islamique», contre qui résistent-ils exactement? Il est clair que les paramilitaires irakiens d'Al-Hachd al-Chaabi et les Houthis n'ont jamais eu de face-à-face avec de véritables Israéliens, encore moins combattu l'un d'eux. Par conséquent, se vanter de résister à «l'occupation sioniste» est une rhétorique absurde. Malgré ces discours et ces fanfaronnades, rien de ce que ces milices ont fait n'a contribué, ne serait-ce que d’un iota, à aider la population de Gaza. Mais est-ce réellement leur préoccupation? 

Des entités telles que le Hezbollah, qui prétendaient autrefois mettre en avant les priorités nationales, ont abandonné leurs identités pour se repositionner comme faisant partie d'un mouvement de «résistance islamique» panrégional. Leur implication dans des activités militaires est désormais largement dictée par des puissances étrangères hostiles qui seraient prêtes à sacrifier le Liban ou l'Irak pour servir les intérêts de la République islamique d'Iran. 

Cette vision a été clairement exposée dans un discours prononcé en 2015 par une figure éminente d'Al-Hachd, Al-Khazali. Ce dernier a décrit l'établissement du Hachd en 2014 comme un moment existentiel pour l'Irak. Il a exposé sa vision de la manière dont la «résistance» pourrait être consolidée au niveau de l'État. Dans les faits, cela s'est déjà largement réalisé, les factions du Hachd étant désormais solidement ancrées dans l'ensemble du système politique irakien. 

«Ces forces paramilitaires ont exercé une forte pression pour saper tout investissement ou engagement diplomatique de la part des États du Golfe et des États arabes.» 

Inna Rudolf, du Centre international d'étude de la radicalisation, a décrit de manière perspicace comment les factions du Hachd ont œuvré pour consolider cette vision de l'Irak en tant qu'«État de résistance», un thème que j’ai exploré dans mon livre, Militia State («L'État des milices»). Selon Rudolf, «les architectes de l'État de résistance en Irak visent une domination globale» dans les domaines social, politique, militaire et économique. 

Cette consolidation d'un bloc d'États résistants qui échangent entre eux et alignent leurs intérêts supérieurs sur ceux de Téhéran est une composante de la stratégie de l'Iran pour se protéger des sanctions occidentales à long terme tout en cherchant à devenir la puissance prédominante dans la région. Les institutions financières libanaises et irakiennes de cette «économie de résistance» transnationale peuvent être instrumentalisées pour blanchir des fonds qui proviennent du trafic de drogue, du terrorisme et du contournement des sanctions, sans répercussions significatives. Parallèlement, ces États satellites sont de plus en plus isolés du monde arabe environnant, puisque ces forces paramilitaires ont exercé une forte pression afin de saper tout investissement ou tout engagement diplomatique de la part des États du Golfe et des États arabes qui pourraient atténuer le statut de faillite financière et morale de ces «États de la résistance». 

Au lendemain du 7 octobre, le monde occidental s'est comporté comme si l'existence de ces proxys transnationaux était une surprise totale. Mais ces paramilitaires irakiens et syriens se sont rassemblés sous le nez des diplomates occidentaux, avec leur accord tacite – notamment après 2014, lorsque le Hachd a été perçu comme une force qui pouvait être utilisée pour vaincre Daech sans les tracas et les dépenses liés à l'envoi de forces occidentales sur le terrain. Ce raisonnement stratégique profondément erroné s'est retourné contre le monde entier. 

Ces forces irakiennes ont doublé de taille par la suite, exploitant leur pouvoir politique pour augmenter leur ponction du budget de l'État à près de 3 milliards de dollars (1 dollar =0,92 euro). Le Hachd récolte également environ 10 milliards de dollars par an par le seul fait de monopoliser les impôts illégaux. En ajoutant à cela les milliards qui proviennent de la contrebande de pétrole, de l'extorsion et du contrôle de divers secteurs économiques, les chefs de guerre du groupe comptent probablement parmi les personnalités les plus riches de la région. La mainmise du Hachd sur l'État constitue une menace fondamentale pour la sécurité nationale. Au milieu de l'année 2022, les affrontements entre les partisans de Moqtada al-Sadr et les factions du Hachd ont poussé l'Irak au bord de la guerre civile. 

En tant que citoyenne libanaise fière de l’être, j'ai été le témoin direct de ce processus, lorsque le Hezbollah foulait aux pieds la diversité inhérente de mon pays, qu’il dévorait de manière parasitaire l'État-nation et qu’il cherchait à le remplacer par une tyrannie théologique militarisée. Le Liban, autrefois prospère, diversifié et riche en réalisations culturelles et éducatives, est désormais plongé dans une crise économique désastreuse, poussant ceux qui le peuvent à fuir. Nous sommes au bord d'une guerre totale avec Israël en raison de l'exploitation maladroite et opportuniste de la cause palestinienne par le Hezbollah. 

Dans ce climat de «wilayat al-faqih», comment les chrétiens, sunnites, druzes et autres communautés peuvent-ils espérer exercer leurs libertés religieuses et culturelles?   

«La véritable résistance se trouve dans les mouvements de masse populaires qui prennent sans relâche d'assaut les rues au Liban, en Irak et même en Iran.» 

De même, à Sanaa, les dirigeants de la minorité houthie ont utilisé des armes ainsi qu’un soutien iranien pour asseoir leur domination sur un pays ravagé et dysfonctionnel. Des attaques gratuites contre la navigation mondiale ont déclenché une série de bombardements dirigés par les États-Unis, laissant le Yémen plus marginalisé et isolé que jamais. 

Cette ambition d’enfermer ces nations au sein d'un axe de résistance, dans cette culture morbide, est fermement contestée par de larges majorités de la population. Les familles libanaises entièrement décimées par les frappes aériennes israéliennes en guise de représailles n'ont pas sauvé la vie d'une seule femme ou d'un seul enfant à Gaza. Les agriculteurs aspirent à cultiver leurs terres en toute sécurité sans être perturbés par des munitions non explosées ou les débris de bombes au phosphore. Les mères ne veulent pas que leurs enfants grandissent dans une zone de guerre. 

L'occupation israélienne est à la fois illégale et inhumaine, mais les territoires arabes que l'Iran a tenté de monopoliser de force sont plus de cent fois plus grands que tout ce que les extrémistes sionistes les plus fous n'ont jamais cherché à annexer aux Palestiniens. 

Ces factions de résistance islamique autoproclamée ne représentent pas les aspirations humanistes de la foi islamique et ne servent aucune cause de résistance nationaliste. Les seules choses auxquelles ces militants mafieux résistent sont la liberté, la sécurité et la prospérité des habitants, tout en détournant et en instrumentalisant les institutions politiques contre leurs propres citoyens. 

La véritable résistance se trouve dans les mouvements de masse populaires qui prennent sans relâche d'assaut les rues au Liban, en Irak et même en Iran, cherchant courageusement à se libérer de la brutalité paramilitaire, de la tyrannie théocratique et des agendas étrangers hostiles. Seuls 12% des résidents de Téhéran ont voté aux élections du 1er mars. Le nombre de bulletins blancs ou nuls a été si élevé que les autorités ont plaisanté sur le fait que de nombreux sièges au Parlement devraient être laissés vacants. Si les ayatollahs sont si méprisés dans leur propre capitale, pourquoi devrions-nous tolérer leur prééminence ailleurs? 

Cette lutte contre l'oppression théologique est un programme de résistance derrière lequel nous pouvons tous nous rallier. Et, compte tenu de l'absence de soutien pour les ayatollahs et leurs agents dans toute la région, c'est une campagne de résistance qui est vouée à l'emporter. 

Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice qui a reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d’État.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com