C’est l’histoire de deux Benjamin, dont un seul avec lequel Biden veut traiter

Benny Gantz, membre clé du cabinet de guerre israélien et principal rival politique du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou. (AP)
Benny Gantz, membre clé du cabinet de guerre israélien et principal rival politique du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou. (AP)
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Publié le Dimanche 10 mars 2024

C’est l’histoire de deux Benjamin, dont un seul avec lequel Biden veut traiter

C’est l’histoire de deux Benjamin, dont un seul avec lequel Biden veut traiter
  • Autrefois célébrité politique à Washington, Netanyahou est devenu une source d’inquiétude
  • Biden doit également ressentir un fort sentiment de trahison personnelle

C’est l’histoire de deux Benjamin et d’une administration américaine. Le premier est Benjamin (Bibi) Netanyahou, le Premier ministre israélien, et l’autre est Benjamin (Benny) Gantz, membre du cabinet de guerre, mais rival politique du Premier ministre. Pour le dire simplement, le président Biden et son administration sont impatients de voir le retour du premier Benjamin, c’est-à-dire Netanyahou, rejoignant ainsi la majorité des Israéliens qui partagent le même sentiment.

Autrefois célébrité politique à Washington, Netanyahou est devenu une source d’inquiétude, surtout depuis qu’au début de l’année dernière, il a formé sa coalition populiste et ultranationaliste, principalement pour assurer sa propre survie politique. Depuis, il a été banni de Washington, devenant persona non grata à la Maison-Blanche. Son comportement extrêmement irresponsable et brutal depuis le début de la guerre contre le Hamas n’a fait que renforcer ce sentiment.

Pour le remplacer, l’administration Biden cherchait un «adulte responsable» au sein du gouvernement, et s’est donc tournée vers le second Benjamin, Benny Gantz, dont le Parti national est largement en tête des sondages d’opinion et qui est arrivé à Washington cette semaine. Rompant avec le protocole, la Maison-Blanche l’a invité à se rendre à Washington pour s’entretenir avec les membres les plus éminents de l’administration, à l’exception du président lui-même, mais y compris la vice-présidente Kamala Harris, sans qu’aucune des parties n'ait consulté Netanyahou, et encore moins demandé son approbation.

Il a fallu près de cinq mois à Washington pour prendre cette décision, inhabituelle dans le monde de la diplomatie, en particulier entre alliés proches, mais expression inévitable de l’exaspération face aux politiques du gouvernement israélien avant et après le 7 octobre. En fin de compte, Israël sous Netanyahou est passé du statut d’allié stratégique des États-Unis à celui de fardeau qui, non seulement met directement en danger les intérêts nationaux des États-Unis, mais affecte négativement sa politique intérieure, menace la stabilité régionale et internationale et nuit à la survie même d’Israël.

Au début du sixième gouvernement Netanyahou, Joe Biden a été profondément perturbé par l’assaut d’Israël contre le système démocratique et en particulier contre le système judiciaire. Le président américain a donc refusé de rencontrer Netanyahou pendant les neuf premiers mois de l’actuel gouvernement israélien, ce qui constitue là encore une rareté dans les relations entre les deux pays. Lorsqu’une rencontre a finalement eu lieu, en septembre dernier, elle s’est déroulée en marge de l’Assemblée générale de l’ONU — le Premier ministre israélien n’a pas effectué la visite tant attendue à la Maison-Blanche. Ce fut une rencontre désagréable, au cours de laquelle Biden a clairement indiqué que ce qui lie les deux pays, ce sont les valeurs démocratiques qu’ils partagent. On ne peut y voir qu’un avertissement codé à Netanyahou, selon lequel le fait de s’écarter de ces valeurs met en péril la relation spéciale entre les deux administrations.

Washington ne se fait pas d’illusion : si Gantz devient Premier ministre d’Israël, la voie vers des négociations sérieuses sur une solution à deux États ne sera ni facile, ni indolore, ni rapidement tracée. Pourtant, à ce stade, c’est leur meilleure option. Benny Gantz est un candidat centriste qui répond à la raison et qui n’a pas d’arrière-pensée. Ses considérations, contrairement à celles de son rival Netanyahou, ne sont pas dominées par un procès pour corruption ou par un détachement général, de plus en plus mégalomane, de la réalité.

À ce stade, à moins d’un an des élections présidentielles américaines, il est loin d’être garanti que Biden remporte un second mandat. Après plus de 150 jours de guerre à Gaza, on se demande si Israël peut être considéré comme un atout stratégique au-delà de l’engagement des États-Unis en faveur de la sécurité et du bien-être à long terme de l’État hébreu. Toutefois, dans l’état actuel des choses, l’administration Biden est de plus en plus alarmée et agacée par le fait que Netanyahou traite l’alliance comme une voie à sens unique dans laquelle c’est le monde à l’envers. Il fait de son mieux pour saboter toute chance de paix israélo-palestinienne après la guerre, et plus généralement l’architecture sécuritaire et géopolitique de la région telle qu’elle est envisagée par Washington.

L’administration Biden est de plus en plus alarmée et agacée par le fait que Netanyahou traite l’alliance comme une voie à sens unique.

Yossi Mekelberg

Biden doit également ressentir un fort sentiment de trahison personnelle. Depuis le 7 octobre, il se démène pour soutenir Israël, d’une manière qui pourrait lui coûter la présidence en novembre. Son administration n’a pas hésité à bloquer les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU appelant au moins à une trêve humanitaire, bien qu’elle réclame un cessez-le-feu en dehors des couloirs de l’ONU.

En outre, les États-Unis soutiennent la poursuite de la campagne militaire israélienne alors même que la plupart des pays du monde s’y opposent au vu des images horribles des massacres de Palestiniens et de la situation humanitaire désespérée qui a conduit les habitants de Gaza au bord de la famine. Le soutien continu des États-Unis à Israël ne peut que nuire profondément à sa réputation et à sa position dans la région.

La «gratitude» dont a fait preuve le gouvernement Netanyahou s’est manifestée sous la forme d’un refus catégorique de répondre aux demandes américaines lui demandant de définir ses objectifs de guerre au-delà de l’objectif, ouvert et irréalisable, de la «destruction totale du Hamas», sans calendrier ni plan opérationnel. À l’issue de sa première visite en Israël après l’attaque du Hamas, Joe Biden a exhorté Israël à tirer des leçons des erreurs commises par son propre pays au lendemain du 11 septembre, tout en rappelant que les démocraties doivent mener la guerre conformément au droit international, c’est-à-dire en respectant le principe de proportionnalité.

Cependant, cinq mois après le début de cette guerre, alors que plus de 30 000 Palestiniens ont été tués et que la majeure partie de la bande de Gaza est devenue inhabitable, il est évident qu’Israël n’a pas tenu compte de ce conseil. Israël n’a cessé d’ignorer les demandes américaines d’autoriser des trêves humanitaires, de présenter un plan réalisable pour le lendemain — et non celui que Netanyahou a récemment présenté et qui n’a aucun partenaire et aucune chance de devenir réalité — et de se plier au plan que Washington est en train d’élaborer avec les puissances régionales et qui aboutira à une paix avec les Palestiniens basée sur une solution à deux États.

L’invitation de Gantz à Washington pour des discussions de haut niveau était un message clair concernant les personnes qui, selon Washington, devraient être au pouvoir en Israël et les personnes avec lesquelles les États-Unis souhaitent traiter. Le récent discours de Kamala Harris appelant à une trêve immédiate et rejetant sur Israël l’entière responsabilité du peu d’aide humanitaire apportée à la bande de Gaza, a été l’occasion pour Washington de ne plus prendre de pincettes en réprimandant publiquement la façon dont Israël mène la guerre. Se séparer de Netanyahou et de son dangereux gouvernement pourrait prendre plus de temps qu’il n’est souhaitable, mais l’administration Biden a maintenant clairement fait comprendre qu’en n’accélérant pas sa chute, Israël risque de perdre le soutien de son plus grand et plus important allié, ce qu’il ne peut pas se permettre de laisser se produire.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme Mena à Chatham House.

X: @YMekelberg      

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français. 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com