Frankly Speaking: l’attaque du 7 octobre a-t-elle accéléré la reconnaissance de la Palestine?

Riyad Mansour, ’observateur permanent de l’État de Palestine auprès de l’ONU. (AFP).
Riyad Mansour, ’observateur permanent de l’État de Palestine auprès de l’ONU. (AFP).
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Publié le Lundi 18 mars 2024

Frankly Speaking: l’attaque du 7 octobre a-t-elle accéléré la reconnaissance de la Palestine?

  • Les tentatives répétées pour obtenir un cessez-le-feu ont échoué depuis le début du conflit
  • Même les efforts du Conseil de sécurité de l’ONU pour exiger symboliquement l’arrêt immédiat des combats ont échoué après que les États-Unis ont utilisé leur droit de veto

DUBAÏ: Les déclarations des dirigeants occidentaux indiquent que la Palestine est désormais plus proche d’une adhésion à part entière à l’ONU qu’elle ne l’était avant l’attaque menée par le Hamas contre Israël le 7 octobre qui a déclenché la guerre en cours à Gaza, selon Riyad Mansour, l’observateur permanent de l’État de Palestine auprès de l’ONU.

Ces dernières semaines, le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, et le ministre britannique des Affaires étrangères, David Cameron, ont évoqué à maintes reprises les voies vers la mise en place d’un État palestinien, même si les députés israéliens semblent déterminés à bloquer une telle démarche.

«Je pense que ces déclarations nous rapprochent de plus en plus d’une recommandation du Conseil de sécurité à l’Assemblée générale pour l’adhésion de l’État de Palestine en tant que membre», confie M. Mansour à Frankly Speaking, l’émission hebdomadaire d’information d’Arab News.

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Riyad Mansour, observateur permanent de l’État de Palestine auprès de l’ONU, soutient que «le gouvernement israélien ne peut s’en prendre à qui il veut. Il existe un droit humanitaire international auquel il faudrait obéir». (Photo AN)

Les efforts pour parvenir à une telle recommandation se poursuivent depuis de nombreuses années. Ella avait été approuvée lors du sommet conjoint de la Ligue arabe et de l’Organisation de la coopération islamique, en Arabie saoudite au mois de novembre, et lors du sommet du Mouvement des pays non alignés, en Ouganda en janvier.

«Quant au timing, la partie israélienne a repoussé les limites dans cette direction lorsque, il y a environ deux semaines, la Knesset israélienne a voté par 99 membres sur 120 contre la reconnaissance unilatérale d’un État palestinien.»

«Le moment est donc venu et nous devrions procéder dès que possible, par l’intermédiaire du Conseil de sécurité, à l’obtention de cette reconnaissance», ajoute M. Mansour.

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L’aide humanitaire tombe du ciel vers la bande de Gaza après avoir été larguée par un avion le 17 mars 2024. (Reuters)

Parallèlement à leur soutien apparent à la création d’un État palestinien et à la reconnaissance par l’ONU, les États-Unis ont également renforcé leurs efforts pour augmenter le volume de l’aide humanitaire qui entre dans la bande de Gaza.

Des mois de bombardements israéliens et le nombre limité de camions qui transportent de l’aide humanitaire et des marchandises commerciales vers le territoire assiégé ont poussé la population palestinienne au bord de la famine.

Bien que l’armée israélienne ait autorisé davantage de camions à entrer à Gaza ces derniers jours, les États-Unis ont cherché à renforcer cette aide au moyen de largages aériens et ils envisagent désormais d’établir un couloir maritime pour acheminer l’aide par la mer.

M. Mansour note cependant qu’il est paradoxal que les États-Unis apportent une aide à Gaza tout en envoyant des armes à Israël, prolongeant ainsi la guerre et les souffrances du peuple palestinien.

Il affirme à Katie Jensen, animatrice de l’émission Frankly Speaking: «C’est très paradoxal. Si vous voulez sauver des vies et envoyer de l’aide humanitaire, vous ne devez pas envoyer d’armes et de munitions aux forces d’occupation israéliennes qui les utilisent pour tuer la population civile palestinienne.»

«C’est absurde. Si l’intention est véritablement de sauver des vies, alors il ne faudrait pas envoyer d’armes pour permettre à Israël de tuer les Palestiniens. Il faudrait déployer tous les efforts possibles en matière d’influence politique pour empêcher Israël de poursuivre ce carnage contre notre peuple et pour obtenir un cessez-le-feu.»

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Riyad Mansour, observateur permanent de l’État de Palestine auprès de l'ONU, affirme à l’animatrice de Frankly Speaking, Katie Jensen: «Le gouvernement israélien ne peut s’en prendre à qui il veut. Il existe un droit humanitaire international auquel il faudrait obéir.» (Photo AN)

Certes, la guerre présente deux facettes.

Le Hamas a lancé une attaque sans précédent dans le sud d’Israël le 7 octobre, tuant 1 200 personnes – pour la plupart des civils – et emmenant 240 otages, parmi lesquels de nombreux ressortissants étrangers, à Gaza.

Certains soutiennent que de nombreuses vies innocentes auraient pu être épargnées si le Hamas avait accepté de déposer les armes et de libérer les otages dès le début du conflit. Mais M. Mansour rejette ce discours, affirmant qu’il est de la responsabilité de la communauté internationale de protéger les civils.

«Une fois de plus, les Israéliens peuvent dire ce qu’ils veulent. Lorsqu’il y a une guerre, il est du devoir de l’ONU d’appeler à un cessez-le-feu et de tenter d’y mettre fin», souligne-t-il.

«C’est pourquoi, à l’ONU, je consacre toute mon énergie et celle de mon équipe à atteindre cet objectif.»

«Nous devons sauver des vies. La guerre se poursuit tous les jours et de plus en plus de civils palestiniens sont tués, notamment des enfants et des femmes.»

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Un Palestinien embrasse le corps d’un enfant recouvert d’un linceul, avant son enterrement, le 14 mars 2024. Il a été tué lors d’un bombardement israélien à Deir el-Balah, dans le centre de la bande de Gaza. (AFP)

«Il est donc du devoir de la communauté internationale de respecter les principes et les raisons pour lesquelles nous avons créé l’ONU, conformément à la charte de l’ONU, pour mettre fin aux tueries et aux combats, et pour tenter de trouver des solutions à ces conflits.»

Depuis le début de la guerre, Israël accuse le Hamas d’utiliser les civils de Gaza comme boucliers humains – en construisant des réseaux de tunnels, des centres de commandement, des entrepôts d’armes et des lieux de détention d’otages sous les hôpitaux et les écoles où ils sont moins susceptibles d’être ciblés par les bombardements.

Le Hamas a-t-il donc une part de responsabilité dans le bilan des victimes civiles à Gaza?

«Le gouvernement israélien ne peut s’en prendre à qui il veut. Il faut respecter le droit humanitaire international, quels que soient le récit, la tournure ou le raisonnement que l’on essaie de faire valoir.»

«Le droit humanitaire international impose au gouvernement ou à l’armée qui attaque la responsabilité de protéger les civils et de ne pas leur nuire, quelles que soient la situation ou les conditions qui prévalent. Les civils, les hôpitaux, ainsi que le personnel qui travaille dans le domaine humanitaire doivent être à tout prix protégés.»

«Telles sont les dispositions du droit humanitaire international qu’Israël et tout autre pays envahisseur ou attaquant doivent respecter. Au lieu de rejeter la faute sur les autres, ils devraient porter la responsabilité d’avoir violé les dispositions de ces lois humanitaires internationales», poursuit M. Mansour.

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Des enfants palestiniens récupèrent des objets trouvés au milieu des destructions causées par les bombardements israéliens à Bureij, dans le centre de la bande de Gaza, le 14 mars 2024. (AFP)

Les tentatives répétées pour obtenir un cessez-le-feu ont échoué depuis le début du conflit. Même les efforts du Conseil de sécurité de l’ONU pour exiger symboliquement l’arrêt immédiat des combats ont échoué après que les États-Unis ont utilisé leur droit de veto, protégeant ainsi leurs alliés israéliens de la réprimande.

À la question de savoir si ses collègues de l’ONU et lui sont déçus par la communauté internationale pour avoir permis que le bain de sang se poursuive à Gaza, M. Mansour accuse le Conseil de sécurité de l’ONU de traîner les pieds.

«La communauté internationale aurait dû appeler à un cessez-le-feu immédiat il y a longtemps. Chaque jour, un grand nombre – des centaines, parfois des milliers – de Palestiniens sont tués et blessés, la grande majorité étant des femmes et des enfants», renchérit-il.

Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a lancé la semaine dernière un appel qui exhorte Israël et le Hamas à accepter un cessez-le-feu humanitaire immédiat pendant le mois de ramadan.

«Nous travaillons sans relâche au sein du Conseil de sécurité pour atteindre cet objectif.»

«Nous sommes reconnaissants envers l’Assemblée générale qui nous a soutenus à cet égard lorsque nous y sommes allés à deux reprises, mais le Conseil de sécurité traîne toujours les pieds, principalement parce qu’un pays qui dispose d’un droit de veto n’écoute pas les milliards de personnes qui appellent à un cessez-le-feu immédiat, ainsi que les quatorze pays du Conseil de sécurité qui soutiennent cette position», ajoute M. Mansour.

On n’arrive pas à parvenir à un consensus au sein du Conseil de sécurité de l’ONU. Par ailleurs, les discussions entre les Israéliens et le Hamas, négociées par le Qatar, sont également au point mort.

Les dirigeants qataris accusent le gouvernement israélien d’adopter des positions inflexibles, tandis que les responsables israéliens et américains rejettent la faute sur le Hamas qui n’a ni libéré les otages ni même accepté d’identifier leurs noms ou de révéler le nombre de personnes qui sont toujours en vie.

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Des proches d’Israéliens détenus à Gaza par des militants du Hamas se rassemblent devant le ministère de la Défense, à Tel-Aviv, le 9 mars 2024, pour exiger la libération de leurs proches. (AFP)

«Il n’est pas nécessaire d’écouter tous les pays qui s’expriment aujourd’hui. Il ne s’agit pas de rejeter la faute sur une partie ou sur l’autre», souligne M. Mansour.

«Il faudrait prêter une attention particulière aux rapports des organisations internationales et des organismes de l’ONU, dans lesquels ils signalent qu’il y a une situation de famine dans le nord de Gaza. Il faut absolument permettre à l’aide humanitaire d’être acheminée vers la bande de Gaza.»

«Ils affirment également que nous ne pouvons pas distribuer toute cette aide humanitaire dans toutes les parties de la bande de Gaza, à moins de disposer d’un moyen sûr de le faire, ce qui signifie que nous avons besoin d’un cessez-le-feu.»

«Ces personnes impartiales sont spécialisées dans la protection des civils en situation de guerre. Elles exposent objectivement ce qu’il convient de faire: cette guerre doit prendre fin, un cessez-le-feu doit être mis en place et une aide humanitaire considérable doit parvenir à tous les Palestiniens de la bande de Gaza.»

«Elles ne sont pas autorisées à le faire à cause des forces d’occupation israéliennes qui ont déclaré, dès le début, qu’il n’y aurait pas d’eau, de nourriture ou même de carburant pour le peuple palestinien dans la bande de Gaza, à moins que le Hamas ne libère les otages.»

«Par conséquent, ces forces recourent à des moyens illégitimes pour affamer la population comme outils de guerre. Cela est illégal et interdit. Il s’agit d’une forme de génocide – des atrocités et des massacres massifs de la population civile pour atteindre des objectifs politiques», poursuit-il.

Infographie fournie par le Bureau des nations unies pour la coordination des affaires humanitaires.

Le ministre britannique des Affaires étrangères, James Cameron, a récemment déclaré que les dirigeants du Hamas devraient quitter Gaza. Par ailleurs, ils ne devraient pas être autorisés à jouer un rôle dans la gouvernance d’après-guerre de l’enclave ou dans un futur État palestinien indépendant.

Toutefois, M. Mansour soutient qu’il revenait aux Palestiniens eux-mêmes de décider. «Tout d’abord, nul n’a le droit d’imposer des conditions à notre droit naturel et individuel à l’autodétermination, y compris notre droit à disposer de notre propre État indépendant», précise-t-il.

«Ce sont des droits inconditionnels pour le peuple palestinien. Le Royaume-Uni – ou n’importe quel autre pays – ne peut pas imposer des conditions différentes au peuple palestinien. Par exemple, lorsqu’Israël a déclaré son indépendance, en 1948, il n’a négocié cela avec personne et n’a demandé la permission à personne.»

«Le peuple palestinien ne fera pas exception à la règle. Il se comportera de manière que ce soit, pour lui, un droit inné d’exercer son autodétermination, y compris la création d’un État et l’indépendance de notre État, sans condition, sans négociation et sans l’autorisation de quiconque.»

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


L’Arabie saoudite et ses partenaires régionaux rejettent tout déplacement forcé des Palestiniens de Gaza

Les ministres des Affaires étrangères d'Arabie saoudite, d'Égypte, de Jordanie, des Émirats arabes unis, d'Indonésie, du Pakistan, de Turquie et du Qatar ont exprimé vendredi leur profonde inquiétude face aux déclarations israéliennes concernant l'ouverture du passage de Rafah dans un seul sens. (AFP)
Les ministres des Affaires étrangères d'Arabie saoudite, d'Égypte, de Jordanie, des Émirats arabes unis, d'Indonésie, du Pakistan, de Turquie et du Qatar ont exprimé vendredi leur profonde inquiétude face aux déclarations israéliennes concernant l'ouverture du passage de Rafah dans un seul sens. (AFP)
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  • Les ministres ont exprimé une profonde inquiétude face aux déclarations israéliennes sur l’ouverture du passage de Rafah dans un seul sens

RIYAD : Les ministres des Affaires étrangères d’Arabie saoudite, d’Égypte, de Jordanie, des Émirats arabes unis, d’Indonésie, du Pakistan, de Turquie et du Qatar ont exprimé vendredi une profonde inquiétude face aux déclarations israéliennes concernant l’ouverture du passage de Rafah dans un seul sens, rapporte l’Agence de presse saoudienne.

Dans une déclaration conjointe, les ministres ont estimé que cette mesure pourrait faciliter le déplacement des Palestiniens de la bande de Gaza vers l’Égypte.

Ils ont fermement rejeté toute tentative de forcer les Palestiniens à quitter leurs terres, soulignant la nécessité d’une pleine application du plan proposé par le président américain Donald Trump, qui prévoyait l’ouverture du passage de Rafah dans les deux sens et garantissait la liberté de circulation sans coercition.

Les ministres ont insisté sur la création de conditions permettant aux Palestiniens de rester sur leurs terres et de participer à la reconstruction de leur pays, dans le cadre d’un plan global visant à restaurer la stabilité et à répondre à la crise humanitaire à Gaza.

Ils ont réitéré leur appréciation pour l’engagement de Trump en faveur de la paix régionale et ont souligné l’importance de la mise en œuvre complète de son plan, sans entrave.

La déclaration a également mis en avant l’urgence d’un cessez-le-feu durable, de la fin des souffrances des civils, de l’accès humanitaire sans restriction à Gaza, ainsi que du lancement d’efforts de relèvement et de reconstruction précoces.

Les ministres ont en outre demandé la mise en place de conditions permettant à l’Autorité palestinienne de reprendre ses responsabilités dans l’enclave.

Les huit pays ont réaffirmé leur volonté de continuer à coordonner leurs actions avec les États-Unis et les partenaires internationaux pour assurer la pleine mise en œuvre de la résolution 2803 du Conseil de sécurité de l’ONU et des autres résolutions pertinentes, en vue d’une paix juste et durable fondée sur le droit international et la solution à deux États, incluant la création d’un État palestinien indépendant selon les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


Nouveaux bombardements israéliens au Liban malgré des discussions «positives»

Israël a de nouveau bombardé jeudi le sud du Liban, disant viser des sites du Hezbollah pro-iranien qu'elle accuse de se réarmer, au lendemain des premières discussions directes depuis plusieurs décennies entre des représentants des deux pays. (AFP)
Israël a de nouveau bombardé jeudi le sud du Liban, disant viser des sites du Hezbollah pro-iranien qu'elle accuse de se réarmer, au lendemain des premières discussions directes depuis plusieurs décennies entre des représentants des deux pays. (AFP)
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  • Le président libanais Joseph Aoun, saluant les réactions "positives" à la réunion de mercredi, a annoncé que les discussions reprendraient le 19 décembre afin d'éloigner "le spectre d'une deuxième guerre" au Liban
  • "Il n'y a pas d'autre option que la négociation", a-t-il ajouté

JBAA: Israël a de nouveau bombardé jeudi le sud du Liban, disant viser des sites du Hezbollah pro-iranien qu'elle accuse de se réarmer, au lendemain des premières discussions directes depuis plusieurs décennies entre des représentants des deux pays.

L'armée israélienne, qui a multiplié ses frappes ces dernières semaines, a encore frappé jeudi le sud du Liban après avoir appelé des habitants de plusieurs villages à évacuer.

Les bombardements ont touché quatre localités, où des photographes de l'AFP ont vu de la fumée et des maisons en ruines.

Dans le village de Jbaa, Yassir Madir, responsable local, a assuré qu'il n'y avait "que des civils" dans la zone. "Quant aux dégâts, il n'y a plus une fenêtre à 300 mètres à la ronde. Tout le monde est sous le choc", a-t-il ajouté. 


« La Syrie n’est pas condamnée » : les leçons d’un an de transition, selon Hakim Khaldi

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  • Parmi les scènes les plus marquantes, Khaldi se souvient d’une vieille dame de Homs qui, voyant les portraits d’Assad retirés des bâtiments officiels, murmure : « On peut respirer ? Est-ce que c’est vrai ? »
  • Mais ce soulagement intense laisse rapidement place à une inquiétude plus sourde : celle du vide

PARIS: La Syrie post-Assad, carnets de bord, de Hakim Khaldi, humanitaire chez Médecins sans frontières, publié chez L’Harmattan, n’est pas seulement un récit de témoins, mais une immersion dans la réalité d’un pays brisé mais pas vaincu, où la chute d’un pouvoir omnipotent n’a pas suffi à étouffer l’exigence de dignité.
Ce qu’il raconte, c’est l’envers des discours diplomatiques, la géographie vécue d’une société projetée brutalement hors d’un demi-siècle d’autoritarisme dans un vide politique, économique et moral.

Les premiers jours après la chute du régime de Bachar Al-Assad ressemblent, selon Khaldi, à un moment de bascule irréel.

Dans ses carnets, comme dans ses réponses à Arab News en français, revient une même conviction : la chute d’un régime ne signifie pas la naissance immédiate d’un pays. La Syrie, aujourd’hui, est entre les deux, « en état de transformation ».

Les premiers jours après la chute du régime de Bachar Al-Assad ressemblent, selon Khaldi, à un moment de bascule irréel : « On ne savait pas si c’était la fin d’une époque ou le début d’une autre tragédie », confie-t-il.
Dans les villes « libérées », les scènes oscillent entre euphorie et sidération ; la population découvre, sans y croire encore, la possibilité de parler librement, de respirer autrement.

Il raconte ces familles qui, pendant quarante ans, n’avaient jamais osé prononcer le mot « moukhabarat » (services secrets en arabe), ne serait-ce qu’à voix basse chez elles.
Et brusquement, les voilà qui se mettent à raconter : les disparitions, les tortures, les humiliations, et la peur devenue routine.
Des parents ressortent des photos d’adolescents morts sous la torture, des certificats de décès maquillés, des lettres écrites depuis la prison mais jamais envoyées.

Parmi les scènes les plus marquantes, Khaldi se souvient d’une vieille dame de Homs qui, voyant les portraits d’Assad retirés des bâtiments officiels, murmure : « On peut respirer ? Est-ce que c’est vrai ? »
Ce qui l’a le plus frappé, c’est « ce sentiment presque physique d’un poids qui tombe. C’est ce que j’ai le plus entendu », affirme-t-il.

Mais ce soulagement intense laisse rapidement place à une inquiétude plus sourde : celle du vide. En quelques jours, l’État s’est évaporé : plus de police, plus d’électricité, plus d’école, plus de justice.
Les anciens bourreaux disparaissent dans la nature, mais les réseaux de corruption se reconstituent, et les premières milices locales émergent, prêtes à occuper le terrain déserté par les institutions.

Pourtant, au fil de ses déplacements, Khaldi est frappé par la force de résilience et d’auto-organisation de la population : « Les Syriens n’ont jamais cessé d’exister comme société, même quand l’État les avait réduits au silence », assure-t-il.
Dans les villages, des comités improvisés se forment et organisent la distribution alimentaire, la remise en marche d’une station d’eau, la sécurité ou la scolarisation d’urgence.

Un an après la chute du régime (le 8 décembre 2024), la Syrie tente de se relever lentement, mais elle demeure une mosaïque de composants hybrides.

Cette responsabilité populaire est, pour Khaldi, l’un des rares points lumineux du paysage syrien, la preuve qu’une société peut exister en dehors de l’appareil répressif qui prétendait être l’État.

Un an après la chute du régime (le 8 décembre 2024), la Syrie tente de se relever lentement, mais elle demeure une mosaïque de composants hybrides, de milices rivales, de zones d’influence et d’ingérences étrangères. « Une mosaïque qui ne ressemble plus au pays d’avant », estime Khaldi.
Le territoire est éclaté entre forces locales, groupes armés (notamment les milices druzes à Soueida, au nord-est du pays), gouvernances provisoires ou structures étrangères. Les routes sont coupées, les administrations doublées ou contradictoires.

Avec des infrastructures détruites, une monnaie en chute libre et un secteur productif quasi paralysé, la survie quotidienne est devenue un exercice d’équilibriste.
Les Syriens ne nourrissent plus d’illusions sur l’arrivée immédiate d’un modèle démocratique idéal : il s’agit d’abord de survivre, de reconstruire, de retrouver un minimum de continuité.

Le traumatisme est profond, à cause des disparitions massives, de l’exil et des destructions psychologiques. Pourtant, affirme Khaldi, « jamais je n’ai entendu un Syrien regretter que la dictature soit tombée ».

De ses observations et des témoignages qu’il a collectés en arpentant le pays, Khaldi tire les priorités pour éviter que la Syrie ne devienne ni un conflit gelé ni un espace livré aux milices.
De son point de vue, la reconstruction politique ne peut se réduire à remplacer un gouvernement par un autre : il faut rebâtir les fondations, à savoir une justice indépendante, une police professionnelle et des administrations locales.

Des dizaines de groupes armés contrôlent aujourd’hui une partie du territoire, et une transition politique sérieuse est impensable sans un processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration, soutenu par une autorité légitime et par un cadre international solide.
Au-delà des aides internationales, la Syrie a besoin d’un cadre empêchant la capture des fonds par les anciens réseaux de corruption ou les factions armées.
Elle doit donner la priorité à la relance de l’agriculture, au rétablissement de l’électricité, des réseaux routiers et des petites industries, les seules capables à court terme de soutenir la vie quotidienne.

Le pays porte une blessure immense : celle des prisons secrètes, des fosses communes, des disparitions et des exactions documentées. « Sans justice, il n’y aura pas de paix durable », affirme Khaldi.
Il ne s’agit ni de vengeance ni de tribunaux-spectacle, mais de vérité et de reconnaissance, conditions indispensables à une réconciliation nationale.

De cet entretien se dégage une idée forte : malgré la faim, la peur, les ruines, malgré la fragmentation politique et l’ingérence étrangère, les Syriens n’ont pas renoncé à eux-mêmes.
Ils ouvrent des écoles improvisées, réparent des routes avec des moyens dérisoires, organisent l’entraide, résistent au chaos. « La Syrie n’est plus la Syrie d’avant, mais elle n’est pas condamnée pour autant », affirme Khaldi.
Son témoignage rappelle qu’un pays ne meurt pas quand un régime tombe ; il meurt lorsque plus personne ne croit possible de le reconstruire. Et les Syriens, eux, y croient encore.