L’Otan devant un choix de taille

Le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, donne une conférence de presse au siège de l'OTAN à Bruxelles, le 10 avril 2024. (AFP).
Le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, donne une conférence de presse au siège de l'OTAN à Bruxelles, le 10 avril 2024. (AFP).
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Publié le Jeudi 11 avril 2024

L’Otan devant un choix de taille

L’Otan devant un choix de taille
  • L’évolution la plus frappante est l’intensification des discussions et des insinuations sur la possibilité d’une défaite de l’Ukraine parmi les responsables et les experts occidentaux
  • L’Occident se trouve dans une situation critique qui l’oblige à accélérer la mise en place de mécanismes pour soutenir l’Ukraine et renforcer ses capacités de défense

Le scénario de la défaite de l’Ukraine est le scénario catastrophique que les membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) craignent depuis le début de la guerre. Cependant, il semble que ce scénario devienne de plus en plus probable au vu de plusieurs indicateurs militaires clairs.

L’évolution la plus frappante, à mon avis, est l’intensification des discussions et des insinuations sur la possibilité d’une défaite de l’Ukraine parmi les responsables et les experts occidentaux.

Le président français, Emmanuel Macron, a mis en garde contre une victoire russe dans la guerre en Ukraine, tandis que certains estiment qu’éviter la défaite en envoyant des troupes de l’alliance en Ukraine est devenu très probable, mais que cette démarche est dangereuse.

D’autres pensent que l’Occident n’a plus d’autre choix que d’envoyer des troupes au combat ou d’admettre la défaite de l’Ukraine et d’y faire face de manière réaliste.

L’armée ukrainienne est confrontée à un problème de pénurie d’effectifs et d’équipements après une série de défaites récentes. Le commentaire de M. Macron selon lequel il n’exclurait pas le déploiement de forces occidentales en Ukraine, même s’il n’y avait pas de consensus au sein de l’Otan, n’était pas une simple remarque désinvolte.

William Burns, le directeur de l’Agence centrale de renseignement des États-Unis (CIA) qui est rentré d’Ukraine, a déclaré lors d’une audition devant le Comité spécial du Sénat américain sur le renseignement que le temps était compté pour l’aide. L’Ukraine perdra de vastes territoires en 2024 si elle ne reçoit pas une aide financière et militaire substantielle de l’Occident, a-t-il expliqué.

- Salem Al-Ketbi

Elle reflète une opinion qui gagne du terrain en Europe et déclenche un débat houleux entre partisans et opposants. Cependant, personne ne remet en question les motifs de la recherche de troupes étrangères pour soutenir l’Ukraine, ce qui signifie qu’il y existe un consensus sur le fait que Kiev se trouve dans une situation stratégiquement difficile.

Les propos d’Emmanuel Macron n’ont pas été les seuls à souligner la gravité de la situation ukrainienne. Josep Borrell, haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, a confirmé que la fin du conflit en Ukraine serait déterminée dans les mois à venir. Par conséquent, l’Occident ne devrait pas reporter l’assistance militaire à Kiev.

M. Borrell ajoute: «C’est ce printemps, cet été avant l’automne que la guerre en Ukraine sera décidée.» Il a évoqué les conséquences possibles d’une victoire russe lors de réunions aux États-Unis, avertissant que Moscou ne s’arrêterait pas à cette frontière et appelant à se hâter de fournir de l’aide.

Un autre problème est la suspension de l’aide militaire américaine à l’Ukraine parce que les Républicains refusent d’adopter le paquet d’aide militaire proposé par la Maison-Blanche. Un point essentiel est que l’élection présidentielle américaine aura lieu dans quelques mois et que le président sortant, Donald Trump, sera possiblement réélu, ce qui aura une incidence sur l’Europe et l’Otan.

Les évaluations d’une victoire russe ne se sont pas arrêtées là.

William Burns, le directeur de l’Agence centrale de renseignement des États-Unis (CIA) qui est rentré d’Ukraine, a déclaré lors d’une audition devant le Comité spécial du Sénat américain sur le renseignement que le temps était compté pour l’aide. L’Ukraine perdra de vastes territoires en 2024 si elle ne reçoit pas une aide financière et militaire substantielle de l’Occident, a-t-il expliqué.

M. Burns estime que les fonds américains supplémentaires aideront le régime de Kiev à résister en 2024 et 2025, à reprendre l’initiative dans les opérations offensives et à négocier en position de force.

Le ministre hongrois des Affaires étrangères, Peter Szijjarto, a également annoncé que l’Ukraine ne gagnerait pas la confrontation avec la Russie et il a souligné que l’armée russe gagnait du terrain sur le front.

Douglas McGregor, ancien conseiller du secrétaire américain à la Défense, a déclaré que la démission de la vice-secrétaire d’État américaine, Victoria Nuland, pourrait indiquer un retrait des États-Unis de l’Ukraine.

M. McGregor précise que Mme Nuland a été forcée de démissionner. Il ajoute que son départ pouvait être considéré comme un signal de la volonté de l’administration de tourner la page de ce désastre aussi discrètement et rapidement que possible dans les mois à venir. Il suggère que Washington pourrait répéter le scénario du Vietnam en Ukraine en abandonnant tout et en quittant le pays.

Il ajoute: «Nous comprenons tous que nous partirons parce que nous n’avons pas le choix. L’essentiel est que nous n’avons pas la puissance militaire nécessaire pour résister aux Russes en Ukraine. Nous ne pourrons jamais le faire.»

En d’autres termes, une victoire militaire russe n’est plus une question d’analyse et de déduction, mais une hypothèse officiellement discutée afin de poursuivre la gestion de la crise, ce scénario ayant été largement exclu en Occident alors que l’aide affluait massivement en Ukraine.

L’Occident se trouve dans une situation critique qui l’oblige à accélérer la mise en place de mécanismes pour soutenir l’Ukraine et renforcer ses capacités de défense, en tenant compte de l’expansion de la guerre en dehors de l’Ukraine. Josep Borrell a confirmé que «les analystes s’attendent à une offensive russe majeure cet été, et l’Ukraine ne peut pas attendre le résultat de la prochaine élection américaine».

Le vrai problème pour les membres européens de l’Otan n’est pas la défaite de l’Ukraine, les possibilités de sa partition ou la manière de parvenir à un accord avec la Russie, mais les conséquences de la victoire militaire de la Russie en Ukraine, la manière de traiter le Kremlin par la suite et l’impact de cette victoire sur le sort de l’Otan, sur les relations américano-européennes et sur l’incapacité de l’Europe à assurer sa sécurité sans les États-Unis.

Les choses évoluent vers une plus grande clarté, poussant à une acceptation européenne de la réalité de l’issue de la guerre. De toute évidence, l’administration Biden souhaite que l’Ukraine tienne jusqu’à la date de l’élection et évite un résultat décisif en faveur de la Russie dans les mois à venir. C’est pourquoi elle veut donner à l’armée ukrainienne un nouvel élan jusqu’au mois de novembre prochain. Cependant, la perspective croissante d’une victoire militaire russe pourrait inciter l’administration Biden à chercher une issue pour sauver la face et négocier avec la Russie plutôt que de la laisser revendiquer une victoire militaire complète, ce qui pourrait réduire les chances du président Biden d’obtenir un second mandat à la Maison-Blanche.

Cette situation explique le recul ou le déclin de la rhétorique américaine sur la défaite stratégique et militaire de la Russie, et la discussion se tourne désormais vers d’autres questions sans rapport avec l’issue de la guerre. La Russie, pour sa part, est consciente du dilemme occidental.

Récemment, le président, Vladimir Poutine, a mis la balle dans le camp de l’Occident en exprimant la volonté de Moscou de s’engager dans des négociations sérieuses pour résoudre pacifiquement les différends, en particulier en Ukraine. Il a ajouté que ces négociations ne devaient pas être l’occasion pour l’ennemi de se réarmer. Il poursuit: «Nous sommes cependant prêts à une conversation sérieuse, et nous voulons résoudre tous les conflits, en particulier celui-ci, par des moyens pacifiques.» 

M. Poutine a réaffirmé la volonté de la Russie de négocier sur cette question sur la base de la situation réelle sur le terrain et non sur la base de souhaits exprimés sous la pression psychologique.

La Russie, qui est également touchée par la guerre, semble plus disposée à une solution politique qui permettrait à l’Occident de renoncer à ses conditions et d’accepter la réalité plutôt que d’augmenter le nombre de victimes au fur et à mesure que les combats se poursuivent. Si l’on considère la situation dans son ensemble, l’Otan est confrontée à une épreuve fatidique au cours de la période à venir.

Salem Al-Ketbi est un politologue émirati et ancien candidat au Conseil national fédéral

X: @salemalketbieng

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français. 

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com