Les liens économiques croissants entre le Golfe et l’Irak favorisent l’essor de la région

Banque centre d'Irak. (Arab News)
Banque centre d'Irak. (Arab News)
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Publié le Dimanche 14 avril 2024

Les liens économiques croissants entre le Golfe et l’Irak favorisent l’essor de la région

Les liens économiques croissants entre le Golfe et l’Irak favorisent l’essor de la région
  • Les investissements des pays du Golfe en Irak ne se limitent pas aux infrastructures, les pays voisins du CCG ayant manifesté un vif intérêt pour les investissements dans le secteur pétrolier et énergétique
  • L’apaisement des tensions entre l’Iran et les pays du CCG, en particulier l’Arabie saoudite, a créé un environnement dans lequel les entreprises basées dans le Golfe peuvent maintenir une présence sur le marché irakien

L’année écoulée a été marquée par une hausse des investissements des pays du Golfe en Irak. L’année 2023 a été cruciale pour l’économie irakienne. Au mois de mai, le Fonds public d’investissement (PIF) saoudien a créé la Saudi-Iraqi Investment Company, dotée de 3 milliards de dollars (1 dollar = 0,93 euro), afin de financer les investissements multisectoriels en Irak.  

Un mois plus tard, le conglomérat qatari Estithmar Holdings a conclu des protocoles d’accord d’une valeur de 7 milliards de dollars avec la Commission nationale d’investissement irakienne en vue de construire des villes modernes, des infrastructures hospitalières et des installations touristiques. Au mois d’août, Estithmar a également annoncé la construction d’un complexe touristique à Bagdad sous sa marque Rixos, comprenant des hôtels de luxe, des appartements et des villas, des restaurants gastronomiques, des salles de conférence et des expériences touristiques. 

Les Émirats arabes unis (EAU) ont eux aussi joué un rôle décisif dans le développement des ports et la reconstruction postconflit en Irak, tandis que le Koweït cherche à coopérer avec Bagdad pour mettre en place un corridor de télécommunications entre le Golfe et l’Europe. Les intérêts du Golfe ne se limitent toutefois pas à l’infrastructure et à la reconstruction, car le potentiel plus large de l'Irak est devenu le point de mire des investissements directs étrangers. 

Cet élan se poursuit en 2024. En février, la société saoudienne d’énergie Acwa Power a conclu un contrat avec le ministère irakien de l’Électricité afin de construire une centrale solaire d’une capacité de 1 000 mégawatts en Irak dans le but de stimuler son industrie des énergies renouvelables. Quant à la société pétrolière émiratie Crescent Petroleum, elle a conclu trois contrats avec le ministère irakien du Pétrole pour exploiter des champs de pétrole et de gaz naturel à Bassora et à Diyala. Ce partenariat conclu pour une durée de vingt ans devrait générer plus de 7 millions de mètres cubes de gaz naturel par jour, ce qui permettra de réduire considérablement la dépendance du pays à l’égard du gaz importé utilisé pour alimenter son réseau électrique. 

Cette année également, les intérêts qataris représentés par UCC Holding ont signé un contrat de 2,5 milliards de dollars avec la Commission nationale d’investissement irakienne afin de construire deux centrales électriques. Par ailleurs, la société pétrolière nationale du Qatar, QatarEnergy, détient une participation de 25% dans les projets pétroliers, gaziers et d’énergie renouvelable de TotalEnergies en Irak, évalués à 27 milliards de dollars. 

«La situation géostratégique de l’Irak et sa position historique centrale dans le monde arabe en font un voisin important pour les États du CCG.» 

Zaid M. Belbagi 

Les investissements des pays du Golfe en Irak ne se limitent donc pas aux infrastructures, les pays voisins du Conseil de coopération du Golfe (CCG) ayant manifesté un vif intérêt pour les investissements dans le secteur pétrolier et énergétique. 

La situation géostratégique de l’Irak et sa position historique centrale dans le monde arabe en font un voisin important pour les États du CCG. Cependant, les relations entre l’Irak et le CCG ont connu une période d’hostilité à la suite de l’invasion du Koweït par Saddam Hussein en 1990. Un fossé s’est creusé entre les États du Golfe et l’Irak au cours des décennies suivantes, mais ce vide a été comblé par l’Iran sous la forme d’une coopération économique, d’une influence politique et d’un réseau de milices alliées. 

En effet, cette situation a soulevé le spectre de la capacité de l’Iran à interférer dans les affaires de la région au sens large, le vide irakien ayant également conduit à l’émergence de groupes militants, en particulier Daech, ce qui a davantage tendu les relations. Toutefois, ces dernières années, les États du Golfe, notamment l’Arabie saoudite, les EAU et le Qatar, ont constaté que la coopération sécuritaire et économique avec l’Irak était essentielle pour rétablir la stabilité dans la région. 

Les accords de coopération économique ont été précédés par des engagements diplomatiques. À titre d’exemple, entre 2015 et 2019, l’Arabie saoudite a rouvert ses missions diplomatiques à Bagdad et à Bassora et elle a nommé un ambassadeur en Irak pour la première fois depuis plus de vingt ans. Les États du Golfe sont partis du principe que le maintien de la stabilité en Irak favoriserait leurs propres transitions socio-économiques en cours. 

Plusieurs événements survenus dans le Golfe ces dernières années sont à l’origine des derniers investissements en Irak. Alors que les pays du CCG réforment leurs économies et cherchent à acquérir une autonomie stratégique, ils voient l’intérêt d’une réintégration économique avec l’Irak. Par exemple, la réouverture en 2020 du poste-frontière d’Arar entre l’Arabie saoudite et l’Irak, après trois décennies de fermeture, a entraîné des échanges commerciaux d’une valeur de plus de 900 millions de riyals saoudiens (1 riyal = 0,25 euro) au cours du seul premier semestre de 2023. 

Le CCG a déjà constaté le succès de la coopération économique des États membres avec le Kurdistan irakien au cours de la dernière décennie, des accords de partenariat ayant été conclus dans des secteurs tels que l’agriculture, le pétrole et l’énergie. Les investissements en Irak stimuleront les perspectives du commerce régional, dont le potentiel n’a pas encore été pleinement exploité en raison des divergences politiques et de l’absence de l’Irak au sein du CCG. 

«Les investissements en Irak stimuleront les perspectives du commerce régional, dont le potentiel n’a pas encore été pleinement exploité.» 

Zaid M. Belbagi 

En outre, l’apaisement des tensions entre l’Iran et les pays du CCG, en particulier l’Arabie saoudite, a créé un environnement dans lequel les entreprises basées dans le Golfe peuvent maintenir une présence sur le marché irakien. Dans le même temps, les investissements des États du Golfe dans le gaz naturel, les centrales électriques et les sources d’énergie alternatives, telles que l’énergie solaire, ont permis de limiter l’influence iranienne en Irak. Bagdad importe traditionnellement du gaz naturel d’Iran pour alimenter son réseau énergétique et, à l’heure actuelle, Téhéran répond à près de 40% de la demande énergétique de l’Irak. 

Le Premier ministre, Mohammed Chia al-Soudani, qui a pris ses fonctions en octobre 2022, joue un rôle essentiel en attirant les investissements du Golfe dans le pays. Contrairement à ses prédécesseurs, qui ne disposaient pas de l’autonomie nécessaire pour resserrer les liens avec les alliés arabes, il plaide en faveur d’une coopération économique, commerciale, énergétique et antiterroriste avec les voisins irakiens du CCG. En février 2023, M. Al-Soudani s’est entretenu avec le président des EAU, cheikh Mohammed ben Zayed al-Nahyane, lors de sa toute première visite dans un pays du CCG, marquant ainsi l’engagement de l’Irak à rétablir ses relations avec le Golfe. 

En outre, Mohammed Chia al-Soudani a maintenu la dynamique générée par le sommet annuel de Bagdad, un forum multilatéral qui témoigne de la volonté de l’Irak de coopérer avec les principaux acteurs internationaux pour relever les défis nationaux. Cette initiative intervient alors que le pays tente de renforcer son économie, perturbée par des années de troubles politiques et de militantisme. La volatilité du secteur pétrolier depuis 2022, notamment les restrictions actuelles de la production de pétrole par les États membres de l’Opep+ (quatorze pays de l’Opep + dix autre pays), a elle aussi affecté l’économie irakienne. 

Dans cette optique, les investissements des pays du Golfe en Irak sont les bienvenus, car ils laissent présager un renforcement de la coopération, de l’intégration et de la stabilité régionale. 

 

Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le CCG. X : @Moulay_Zaid 

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français. 

 

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com