Les États du Golfe et la Turquie jouent un rôle clé dans la résurgence de l'Irak

L'Irak et la Turquie ont récemment convenu de renforcer la sécurité et les liens économiques après la visite d'Erdogan à Bagdad. (Reuters)
L'Irak et la Turquie ont récemment convenu de renforcer la sécurité et les liens économiques après la visite d'Erdogan à Bagdad. (Reuters)
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Publié le Samedi 27 avril 2024

Les États du Golfe et la Turquie jouent un rôle clé dans la résurgence de l'Irak

Les États du Golfe et la Turquie jouent un rôle clé dans la résurgence de l'Irak
  • Le président turc Recep Tayyip Erdogan a effectué lundi une visite très attendue en Irak, sa première depuis 2011, accompagné d'un important cortège
  • L'un des résultats les plus concrets a été la signature d'un protocole d'accord quadripartite pour une coopération commune sur le projet de la Development Road entre la Turquie, l'Irak, le Qatar et les Émirats arabes unis

Depuis une dizaine d'années, le centre de gravité du Moyen-Orient s'est déplacé vers la région du Golfe, ses États ayant commencé à jouer un rôle plus actif dans la région, tandis que l'influence géopolitique de pays tels que l'Irak, la Syrie et l'Égypte a relativement diminué. Toutefois, des développements récents réaffirment l'importance de certains de ces pays dans la politique régionale, en particulier avec la réémergence de l'Irak en tant qu'acteur important.

Après des décennies de conflit, l'Irak tente de se présenter comme un acteur régional, non seulement en jouant le rôle de médiateur dans les conflits, mais aussi en facilitant l'intégration et la coopération économiques. Par exemple, l'Irak, qui a souvent été le théâtre de rivalités entre acteurs régionaux, a joué un rôle déterminant dans l'élaboration de l'accord conclu l'année dernière entre l'Arabie saoudite et l'Iran sous l'égide de la Chine. Le gouvernement irakien tente à présent de tirer parti de ses relations avec la Turquie, les États du Golfe et l'Occident pour faire passer le pays du statut de victime de l'ingérence étrangère à celui de plateforme de coopération. Cette évolution n'est pas passée inaperçue aux yeux de la Turquie et des États du Golfe.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a effectué lundi une visite très attendue en Irak, sa première depuis 2011, accompagné d'un important cortège.

Ce voyage s'est déroulé à un moment crucial et a permis une compréhension mutuelle entre les deux parties, aboutissant à la signature de 26 accords et protocoles d'accord dans divers domaines.

L'un des résultats les plus concrets a été la signature d'un protocole d'accord quadripartite pour une coopération commune sur le projet de la Development Road entre la Turquie, l'Irak, le Qatar et les Émirats arabes unis. Ce projet de 17 milliards de dollars vise à mettre en place des infrastructures routières et ferroviaires reliant le Golfe à la Turquie via l'Irak, en tirant parti de la situation géographique de l'Irak et de ses nombreuses frontières pour faciliter le transport et le commerce. Le projet devrait être réalisé en trois phases : la première devrait être achevée en 2028, la deuxième en 2033 et la troisième en 2050.

L'absence de l'Iran dans ce projet pourrait indiquer que l'Irak souhaite sortir de l'ombre iranienne.

Sinem Cengiz

Si le projet Development Road atteint la frontière entre la Turquie et l'Irak qui est son objectif affiché, grâce aux efforts de collaboration entre les deux pays, il a le potentiel de catalyser une nouvelle ère de coopération économique. Un tel succès pourrait limiter les conflits en cours et inciter Ankara et Bagdad à explorer d'autres perspectives d'avenir l'un pour l'autre. Cela prouverait également que les différends politiques peuvent être aplanis par des initiatives économiques et de développement. Ankara et Bagdad collaborent étroitement sur ce projet depuis un certain temps, l'une des principales considérations étant l'implication des pays en termes de financement.

La participation du Qatar et des Émirats arabes unis répond à cette préoccupation.

L'engagement des pays du Golfe en Irak est principalement dû aux efforts volontaristes de Washington pour rapprocher Bagdad de l'orbite d'influence du Golfe afin de contenir l'Iran, ainsi qu'à l'engagement de la Turquie en Irak. Lorsque Bagdad a annoncé le projet Development Road, il a organisé une conférence d'une journée réunissant des ministres des États du Conseil de coopération du Golfe, de la Turquie, de l'Iran, de la Syrie et de la Jordanie pour discuter de l'initiative. L'absence de l'Iran dans ce tableau pourrait indiquer que l'Irak souhaite sortir de l'ombre iranienne.

Le Qatar, quant à lui, souhaite établir une connexion économique directe avec la Turquie. Doha a également manifesté son intérêt pour l'expansion de ses investissements en Irak. Cet engagement a commencé par une promesse initiale d'environ 10 milliards de dollars destinés à des projets d'infrastructure et de services.

En ce qui concerne les Émirats arabes unis, l'Irak cherche à tirer parti de l'expertise des entreprises émiraties en matière de gestion des grands ports. Les Émirats arabes unis ont choisi d'aider l'Irak, notamment en finançant le projet, pour deux raisons principales : soutenir l'éloignement de l'Irak de l'Iran et participer à une initiative régionale, en accord avec leur vision plus large du développement.

Toutefois, les deux États du Golfe doivent protéger leurs investissements contre la politique imprévisible de l'Irak.

Cela implique un effort stratégique soutenu pour faire de l'Irak une zone d'influence.

Il convient de noter qu'en plus de contribuer à apaiser les tensions entre Riyad et Téhéran, l'Irak a également facilité une rencontre entre les dirigeants qataris et émiratis après des années de tension entre les deux pays. Par conséquent, le projet d'infrastructure ne renforcera pas seulement les relations turco-irakiennes et les relations d'Ankara avec le monde arabe en général, mais il favorisera également la coopération au sein du CCG à mesure que les États du Golfe étendront leur présence en Irak. La coopération intra-CCG offrirait une profondeur stratégique aux États du Golfe en Irak, ce qui rendrait leurs investissements résistants aux pressions externes et internes.

Les Émirats arabes unis et le Qatar doivent protéger leurs investissements face à la politique imprévisible de l'Irak.

Sinem Cengiz

Cependant, si la Development Road peut potentiellement améliorer les relations de l'Irak avec la Turquie et être bénéfique pour les États du Golfe concernés, elle pourrait également compliquer les différends économiques et politiques existants entre le Koweït et l'Irak, y compris leurs désaccords sur les frontières maritimes. Toutefois, compte tenu de ces désaccords, un dialogue politique sain est nécessaire pour garantir la bonne mise en œuvre du projet.

 

À cet égard, le rôle de la Turquie et des autres États du CCG est important. Tout en restant prudent, il est possible que le projet incite Bagdad à engager des négociations avec le Koweït pour régler le différend maritime.

De telles discussions pourraient s'avérer bénéfiques pour les deux parties, en favorisant la collaboration dans leurs initiatives de développement et en apaisant les tensions.

Un autre aspect qui jette le doute sur la faisabilité de la mise en œuvre de la Development Road est la présence de nombreuses initiatives concurrentes de connectivité régionale, telles que l'initiative chinoise Belt and Road et le corridor économique Inde-Moyen-Orient-Europe. Cependant, la région peut sans aucun doute accueillir plus d'un corridor économique. Il ne s'agit pas d'un jeu à somme nulle.

Dans le paysage régional actuel en pleine évolution, les États du Golfe jouent un rôle important dans la réapparition de l'Iraq sur la scène politique régionale. Les initiatives économiques telles que le projet de la Development Road témoignent d'une évolution vers la coopération et l'intégration régionale, en laissant de côté les questions litigieuses. Bien qu'il existe des défis et des projets concurrents, la collaboration entre les parties prenantes, y compris la Turquie et les États du Golfe, promet une région plus prospère et mieux interconnectée.

 

Sinem Cengiz est un analyste politique turc spécialisé dans les relations de la Turquie avec le Moyen-Orient. X : @SinemCngz

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com