Al-Jubeir à Arab News: «Nous devons unir nos efforts pour surmonter les défis climatiques» 

L'envoyé saoudien pour le climat, Adel al-Jubeir, s'entretient avec la rédactrice en chef adjointe d'Arab News, Noor Nugali. (Photo AN)
L'envoyé saoudien pour le climat, Adel al-Jubeir, s'entretient avec la rédactrice en chef adjointe d'Arab News, Noor Nugali. (Photo AN)
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Publié le Jeudi 05 décembre 2024

Al-Jubeir à Arab News: «Nous devons unir nos efforts pour surmonter les défis climatiques» 

  •  Al-Jubeir a évoqué l'objectif des négociations de la COP16 et le rôle de chef de file de l'Arabie saoudite dans le domaine de l'environnement
  •  Pour Al-Jubeir, accueillir la COP16 revêt une importance particulière, compte tenu de la vulnérabilité du Royaume à la désertification, mais aussi du travail qui a déjà été accompli pour la prévenir

RIYAD: En tant qu'hôte des négociations de l'ONU sur la lutte contre la perte de terres fertiles au profit des déserts, l'envoyé de l'Arabie saoudite pour les questions climatiques sait que le Royaume possède plus d'expertise sur le sujet que la plupart des autres pays.

«Nous avons de vastes déserts en Arabie saoudite, nous savons donc ce que c'est», a déclaré Adel al-Jubeir, dans un entretien spécial accordé à Arab News.

«Nous devons empêcher l'érosion du territoire et l'expansion des déserts. Et nous devons travailler à la récupération des terres afin d'en avoir plus pour la production alimentaire et pour réduire les impacts négatifs sur le climat.»

M. Al-Jubeir, qui est également ministre d'État aux Affaires étrangères, s'exprimait alors que la conférence des parties à la convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification – connue sous le nom de COP16 – s'ouvrait à Riyad mardi.

Les 12 jours de discussions porteront sur certains des défis les plus urgents auxquels l'humanité est confrontée, tels que la désertification, la dégradation des sols et la sécheresse.

L'Arabie saoudite est le premier pays arabe à accueillir cet événement, la plus grande COP sur la désertification depuis la première en 1997, qui intervient alors que l'élan se renforce en faveur de cadres mondiaux visant à relever les défis environnementaux auxquels la planète est confrontée.

M. Al-Jubeir a évoqué l'objectif des négociations de la COP16, les raisons pour lesquelles la dégradation des sols est un problème mondial et le rôle de chef de file de l'Arabie saoudite dans le domaine de l'environnement.

Pour M. Al-Jubeir, accueillir la COP16 revêt une importance particulière, compte tenu de la vulnérabilité du Royaume à la désertification, mais aussi du travail qui a déjà été accompli pour la prévenir.

L'approche adoptée par l'Arabie saoudite est «très simple» et repose sur la science et le bon sens, a-t-il déclaré.

«Lorsque vous perturbez un environnement, il est endommagé. Il faut donc le préserver. Vous désignez des territoires comme zones protégées», a-t-il déclaré à Arab News.

«En 2015, par exemple, je crois que moins de 3% du territoire saoudien était protégé. Aujourd'hui, nous en sommes à 18 ou 19%, et nous atteindrons 30% d'ici 2030. Il s'agit là d'une avancée considérable.»

Le réensauvagement, qui fait partie des initiatives vertes de l'Arabie saoudite et du Moyen-Orient lancées en 2021, a également généré d'énormes avantages en termes de réintroduction de la faune et de la flore dans ces zones.

La Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification décrit la COP16 comme une «étape critique» dans le renforcement des efforts mondiaux de lutte contre la dégradation des sols.

«On y parvient en introduisant de petits arbustes», a déclaré M. Al-Jubeir. «Les insectes reviennent, puis d'autres plantes, puis des rongeurs, puis d'autres plantes, et ainsi de suite jusqu'à ce que l'on puisse introduire un animal comme le léopard d'Arabie, ou l'oryx ou la gazelle, et de rétablir l'espèce. C'est ce que nous faisons en Arabie saoudite.»

Selon M. Al-Jubeir, cette approche a permis de réduire sensiblement les tempêtes de poussière par rapport à il y a sept ou huit ans, grâce à la diminution des perturbations et à l'augmentation des surfaces plantées.

Il a ajouté que le Royaume s'attaquait également au problème en évaluant l'impact environnemental des nouveaux développements, en promouvant des techniques agricoles durables et en veillant à ce que les villes soient dotées de nombreux espaces verts.

«Sur les questions environnementales, l'Arabie saoudite est à la pointe des efforts mondiaux visant à protéger notre environnement, qu'il s'agisse du climat, des océans ou de la terre», a déclaré M. Al-Jubeir.

«L'Arabie saoudite s'est efforcée de rassembler le monde autour d'une vision qui dit très simplement que nous sommes tous dans le même bateau, que nous en profitons tous ensemble ou que nous en souffrons tous ensemble.»

Il a ajouté que l'Arabie saoudite était en train de rallier de nombreux autres pays à ce point de vue. «Nos dirigeants se sont engagés dans cette voie. Notre prince héritier est à l'origine du plan Vision 2030 et il a joué un rôle déterminant dans le lancement de l'Initiative verte saoudienne et de l'Initiative pour un Moyen-Orient vert. Il a lancé l'initiative mondiale pour l'eau et l'organisation de la COP16», a-t-il déclaré.

«Toutes les initiatives que nous prenons en Arabie saoudite bénéficient de la bénédiction et du soutien direct de nos dirigeants, et cela va des plus hauts responsables jusqu'aux citoyens. Le pays tout entier est saisi par cette question. Je ne doute donc pas que dans dix ans, les gens regarderont l'Arabie saoudite et diront qu'elle a joué un rôle déterminant dans l'amélioration de la situation dans le monde.»

Adel al-Jubeir s'est entretenu avec Noor Nugali, rédactrice en chef adjointe d'Arab News, lors du coup d'envoi du sommet COP16 à Riyad, mardi. 

L'accueil de la COP16 ne se limite pas à montrer comment l'Arabie saoudite réhabilite les terres; il s'agit d'élever l'importance de la désertification sur la scène mondiale.

«Nous pensons que la désertification a un impact sur tous les êtres humains de la planète», a déclaré M. Al-Jubeir. «La terre est un réservoir de carbone très important. Par conséquent, moins il y en a, moins nous pouvons capturer le carbone de manière naturelle.»

«La terre est importante pour nous en termes de production alimentaire. Moins nous en avons, moins nous produisons de nourriture, plus nous souffrons de la faim et de la famine. Plus nous avons de migrations, plus nous avons de conflits, plus nous avons d'extrémisme et de terrorisme, plus les migrations ont un impact sur les situations politiques dans d'autres parties du monde.»

«Il est donc très, très important que cela ait un impact sur nos vies à tous.»

Le fait que la COP16 soit la plus importante depuis 1997 témoigne de l'émergence de la désertification en tant que problème mondial. Selon la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, jusqu'à 40% des terres de la planète sont dégradées, ce qui affecte la moitié des êtres humains.

Les conséquences s'aggravent pour le climat, la biodiversité et les moyens de subsistance des populations. Les sécheresses sont plus fréquentes et plus graves et ont augmenté de 29% depuis 2000 en raison du changement climatique et de l'utilisation non durable des terres.

Si les tendances actuelles se poursuivent, il faudra restaurer 1,5 milliard d'hectares de terres d'ici à 2030 pour atteindre la neutralité en matière de dégradation des terres.

La Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification décrit la COP16 comme une «étape critique» dans le renforcement des efforts mondiaux de lutte contre la dégradation des sols.

Sous le thème «Notre terre. Notre avenir», 196 pays et l'Union européenne se sont réunis à Riyad pour négocier des solutions, avec des experts et la société civile.

Lundi, au premier jour des négociations, l'Arabie saoudite a annoncé le partenariat mondial de Riyad pour la résilience à la sécheresse, une initiative visant à aider 80 des pays les plus pauvres à faire face à la sécheresse. Ce partenariat a obtenu des promesses de financement à hauteur de 2,15 milliards de dollars (1 dollar = 0,95 euro).

Toujours à Riyad, le prince héritier et Premier ministre saoudien Mohammed ben Salmane a inauguré, mardi, le One Water Summit. En présence du président français Emmanuel Macron et du président du Kazakhstan Kassym-Jomart Tokayev, l'événement sert d'«incubateur de solutions» avant la prochaine conférence de l'ONU sur l'eau.

«L'eau est une source de vie, sans laquelle on ne pourrait pas survivre», a déclaré M. Al-Jubeir.

Le sommet se penche sur la manière dont l'eau peut être utilisée le plus efficacement possible sans être gaspillée, a-t-il expliqué.

«Il s'agit de questions pour lesquelles la connaissance est importante, la science est importante et le partage des méthodes et de la science est important», a-t-il ajouté.

C'est ce partage d'expertise qui sous-tend l'approche de l'Arabie saoudite visant à prendre les devants au niveau mondial sur les grandes questions auxquelles la planète est confrontée.

En ce qui concerne l'avenir, M. Al-Jubeir a déclaré: «Nous pouvons soit perdre notre temps à pointer du doigt les problèmes et à essayer de prendre des positions politiques, soit nous unir et traiter de manière pratique, pragmatique et scientifique les défis auxquels nous sommes confrontés. Ainsi, nous pourrons les surmonter ensemble.»

«Faut-il se contenter de dramatiser sans aucune issue possible, ou déployer des efforts sérieux qui nous permettront de maîtriser le problème? C'est cette deuxième option que nous adopterons, je crois, parce que l'Arabie saoudite joue un rôle de plus en plus important dans les efforts mondiaux pour faire face à ces défis.

L'accueil de la COP16 et du One Water Summit est le dernier exemple en date de l'action menée par l'Arabie saoudite pour lutter contre le changement climatique et les atteintes à l'environnement.

M. Al-Jubeir a rejeté les critiques selon lesquelles le pays, en tant que premier exportateur mondial de pétrole brut, n'est pas adapté à un tel rôle.

«L'Arabie saoudite est le plus grand exportateur de pétrole au monde et nous en sommes très fiers», a-t-il déclaré. «Nous fournissons au monde l'énergie dont il a besoin pour se chauffer, se nourrir, se développer économiquement et améliorer son niveau de vie. C'est donc un aspect de la question.»

«L'autre aspect de l'Arabie saoudite, en tant que plus grand producteur/exportateur de pétrole au monde, est que nous sommes également l'un des principaux partisans de la protection de l'environnement et de l'investissement dans les nouvelles technologies et les énergies renouvelables.»

Malgré les nombreux avertissements sévères concernant les effets du changement climatique, M. Al-Jubeir a déclaré que la volonté des jeunes de s'attaquer à ces problèmes, ainsi que les orientations données par les dirigeants du pays, lui permettaient d'être optimiste quant à l'aspect de l'Arabie saoudite dans dix ans.

«Qu'il s'agisse de l'énergie solaire, de l'énergie hydraulique, de l'énergie éolienne ou de l'hydrogène vert et propre, nous investissons massivement dans ce domaine parce que nous pensons que c'est là que se trouve l'avenir. Il n'y a donc pas de contradiction entre les deux.»

Prendre les devants sur les questions écologiques est également une approche populaire auprès des jeunes en Arabie saoudite, a déclaré M. Al-Jubeir, insistant sur le fait que les jeunes générations joueraient un rôle déterminant dans l'arrêt de la désertification et la création d'un meilleur cadre de vie dans l'ensemble du Royaume.

«Ils veulent que cette question soit traitée de manière efficace et efficiente, et ils veulent la diriger», a-t-il déclaré à Arab News. «C'est ce qui motive l'enthousiasme de nos jeunes à l'égard de la lutte contre la désertification, de la restauration des terres, de la réintroduction de la faune et de la flore, avant de s'attaquer à la biodiversité, à la vie marine et au climat.»

Malgré les nombreux avertissements sévères concernant les effets du changement climatique, M. Al-Jubeir a déclaré que la volonté des jeunes de s'attaquer à ces problèmes, ainsi que les orientations données par les dirigeants du pays, lui permettaient d'être optimiste quant à l'aspect de l'Arabie saoudite dans dix ans.

«Vous verrez que l'Arabie saoudite sera en avance sur le reste du monde en termes de parcs, de remise en forme, de restauration des terres, de réintégration des animaux dans la vie sauvage, de préservation de ses plages, de ses coraux, de ses mangroves, de son agriculture, et ce dans tous les domaines», a-t-il déclaré.

«Nous sommes déterminés, avec courage, leadership et enthousiasme, à y parvenir.»

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com


L’intelligence artificielle, levier d’émancipation pour les femmes selon la directrice de la DCO

Interrogée par Arabnews en français en marge des Rencontres économiques de l’Institut du monde arabe à Paris, El Haddaoui affiche un optimisme mesuré : « On ne peut pas dire que l’intelligence artificielle est une bonne ou une mauvaise chose en soi, explique-t-elle, mais je suis très optimiste quant aux opportunités qui existent pour les femmes. » (Photo fournie)
Interrogée par Arabnews en français en marge des Rencontres économiques de l’Institut du monde arabe à Paris, El Haddaoui affiche un optimisme mesuré : « On ne peut pas dire que l’intelligence artificielle est une bonne ou une mauvaise chose en soi, explique-t-elle, mais je suis très optimiste quant aux opportunités qui existent pour les femmes. » (Photo fournie)
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  • Pour la directrice générale de la Digital Cooperation Organization (DCO), Hajar El Haddaoui, l’intelligence artificielle (IA) représente une opportunité considérable pour les femmes sur le marché du travail, à condition toutefois de réduire les fractures
  • Interrogée par Arabnews en français en marge des Rencontres économiques de l’Institut du monde arabe à Paris, El Haddaoui affiche un optimisme mesuré

PARIS: Pour la directrice générale de la Digital Cooperation Organization (DCO), Hajar El Haddaoui, l’intelligence artificielle (IA) représente une opportunité considérable pour les femmes sur le marché du travail, à condition toutefois de réduire les fractures numériques, de renforcer la coopération internationale et d’intégrer cette technologie au cœur des stratégies nationales de développement.

Interrogée par Arabnews en français en marge des Rencontres économiques de l’Institut du monde arabe à Paris, El Haddaoui affiche un optimisme mesuré : « On ne peut pas dire que l’intelligence artificielle est une bonne ou une mauvaise chose en soi, explique-t-elle, mais je suis très optimiste quant aux opportunités qui existent pour les femmes. »

« On voit de plus en plus de femmes s’intéresser à l’IA et aux algorithmes dans différents domaines ; il faut s’en saisir comme d’une opportunité », souligne El Haddaoui, dont l’organisation, fondée à Riyad en 2020, regroupe 16 États membres et compte plus de 40 partenaires issus des secteurs technologique et financier.

Œuvrant essentiellement autour de deux axes stratégiques — la résilience technologique et la prospérité numérique —, la DCO s’est vu accorder un siège d’observateur à l’Assemblée générale des Nations unies en 2022.

L’accès à l’intelligence artificielle n’est cependant pas uniforme à l’échelle mondiale, plaide El Haddaoui, dont l’organisation œuvre pour l’inclusivité numérique et technologique.
« Non, il n’y a pas d’égalité entre les pays, affirme-t-elle sans détour. Certains ont énormément investi dans l’IA et disposent des ressources nécessaires, tandis que d’autres en sont encore loin. »

Elle insiste sur l’importance de la coopération régionale pour réduire ces écarts : « Il faut échanger les bonnes pratiques et, surtout, soutenir les pays en retard par de grands investissements », souligne-t-elle, rappelant que « certains pays n’ont même pas la 5G, ce qui rend toute avancée en IA très difficile ».

Pour elle, la réduction de cette fracture nécessite des partenariats solides entre États, des échanges d’expériences et un appui financier ciblé, afin « de permettre à davantage de pays d’intégrer l’intelligence artificielle dans leurs priorités nationales ».

Cependant, les disparités ne sont pas seulement internationales, souligne El Haddaoui : elles sont également internes, car « dans certains pays, les zones rurales n’ont même pas accès à Internet, alors que d’autres régions abritent des hubs d’innovation très avancés », observe-t-elle.

Cette fracture numérique interne constitue, selon elle, un défi majeur. La solution passe par une stratégie globale d’éducation et d’inclusion : « Il faut prendre en compte l’éducation dès le plus jeune âge, développer des applications accessibles dans les langues locales et former les talents nationaux pour diffuser les connaissances liées à l’IA au sein même du pays. »

Ce n’est qu’une fois ces bases posées que la réduction de la fracture pourra s’étendre aux niveaux régional et mondial.

Interrogée sur le risque de voir le financement de l’IA se faire au détriment d’autres secteurs essentiels, El Haddaoui se veut rassurante : « Si l’intelligence artificielle est intégrée dans la stratégie numérique nationale et appliquée à tous les secteurs — santé, finance, économie ou éducation —, elle ne concurrence pas les autres investissements, elle les renforce », explique-t-elle.

Elle met toutefois en garde contre une approche sectorielle trop étroite : « Dans les pays où l’investissement est concentré uniquement sur l’IA sans vision transversale, le risque existe. Il ne faut pas répéter les erreurs commises lors de la transformation digitale dans certaines régions. L’IA doit être pensée comme une stratégie cross-industry, présente dans tous les secteurs et non en silo. »

Pour cette raison, ajoute-t-elle, la DCO travaille avec de nombreux États membres, dont le Maroc : « Nous sommes présents sur le terrain dans plusieurs pays membres afin d’accompagner le développement numérique local », précise-t-elle.


La ministre de la transition numérique marocaine: l’IA une opportunité pour l’émancipation des femmes

L’intelligence artificielle (IA) peut devenir un outil puissant pour renforcer la place des femmes dans la société et sur le marché du travail. C’est le message porté par la ministre marocaine de la Transition numérique, Amal El Fallah Seghrouchni. (Photo fournie)
L’intelligence artificielle (IA) peut devenir un outil puissant pour renforcer la place des femmes dans la société et sur le marché du travail. C’est le message porté par la ministre marocaine de la Transition numérique, Amal El Fallah Seghrouchni. (Photo fournie)
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  • Le Maroc multiplie les initiatives pour démocratiser l’accès à ces technologies
  • En juillet dernier, les Assises nationales de l’intelligence artificielle ont réuni 2 500 acteurs publics et privés

PARIS: L’intelligence artificielle (IA) peut devenir un outil puissant pour renforcer la place des femmes dans la société et sur le marché du travail.
C’est le message porté par la ministre marocaine de la Transition numérique, Amal El Fallah Seghrouchni, qui voit dans cette technologie une opportunité majeure pour réduire les fractures sociales et économiques, à condition de s’y préparer dès maintenant.

Nommée ministre en 2024, Seghrouchni est une pionnière de l’intelligence artificielle. Elle est même décrite par certains comme « l’Elon Musk du Maroc », mais elle se distingue de ce dernier par son engagement éthique et son attachement à l’inclusion et à la justice sociale liées à l’avènement des nouvelles technologies.
Dans le cadre de ses fonctions et responsabilités, elle poursuit sa quête d’une utilisation raisonnée de l’intelligence artificielle, au profit de tous.

Présente à Paris à l’occasion de la 16ᵉ édition des Rencontres économiques, organisées par l’Institut du monde arabe, la ministre a insisté, en réponse à Arab News en français, sur la nécessité d’intégrer les femmes dans cette révolution technologique.
« Aujourd’hui, l’intelligence artificielle est utilisée dans tous les secteurs de la vie professionnelle : la santé, l’agriculture, l’art, la culture, le droit ou encore la fintech », indique-t-elle. « Et si les femmes maîtrisent l’intelligence artificielle, elles peuvent accéder à un marché de l’emploi beaucoup plus vaste. »

Selon la ministre, l’IA permet aux femmes d’améliorer leur productivité et d’accéder à des ressources jusqu’ici moins accessibles, comme la traduction automatique, les calculs complexes ou la recherche d’informations ciblées : « autant d’usages concrets qui peuvent faciliter leur insertion professionnelle ».
Elle met également en avant le potentiel des outils d’IA pour les femmes entrepreneures, dirigeant des petites ou moyennes entreprises, qui peuvent ainsi s’appuyer sur le commerce électronique pour dépasser les limites des marchés locaux.
« Il existe aujourd’hui des plateformes qui permettent aux femmes d’accéder à un marché global grâce à l’intelligence artificielle », explique-t-elle.

La formation à l’IA représente un investissement, concède la ministre, mais celui-ci reste accessible et rentable. De nombreux programmes, soutenus par des organisations internationales ou des initiatives nationales, visent à réduire cette barrière financière.
« Nous avons lancé un programme qui s’appelle Elevate pour le commerce électronique : il aide gratuitement des femmes à accéder à ces plateformes », précise-t-elle. Et même si certaines formations sont payantes, les coûts restent modérés « au regard du retour sur investissement potentiel ».

La ministre reconnaît cependant l’existence de plusieurs niveaux de fracture : alphabétisation, numérique, et désormais intelligence artificielle.
Mais elle estime que « la question n’est pas de savoir s’il va y avoir une fracture, mais si nous allons pouvoir maîtriser ces technologies pour ne pas rester sur le bord du chemin », car il ne s’agit pas de subir ces transformations, mais « de les utiliser comme leviers de réduction des inégalités ».

Le Maroc multiplie les initiatives pour démocratiser l’accès à ces technologies. En juillet dernier, les Assises nationales de l’intelligence artificielle ont réuni 2 500 acteurs publics et privés.
Le pays a lancé des plateformes de formation, un programme de soutien aux start-up, ainsi qu’un vaste réseau d’instituts de recherche et de développement baptisé Jazari.

« Rien n’arrive tout seul », rappelle la ministre. « Le coût est là, mais aussi la volonté d’apporter les moyens humains, financiers et techniques nécessaires. C’est un grand chantier que nous voulons mener à bien, avec la détermination des femmes à monter dans ce que j’appelle le train de l’IA. »

La métaphore est claire : l’intelligence artificielle avance rapidement, et il faut savoir monter à bord au bon moment. En misant sur la formation, l’accès aux outils et l’accompagnement des femmes, la ministre entend faire de l’IA non pas une nouvelle ligne de fracture, mais une voie d’émancipation et d’ouverture.


Les Rencontres Économiques de l’IMA: la place des femmes dans l’économie à l’ère de l’IA

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  • Quatre tables rondes, réunissant le temps d’une journée des personnalités féminines éminentes du monde arabe et de la France, ont échangé sur la manière de mettre en lumière le rôle des femmes dans la transformation numérique
  • Parmi la trentaine de participantes figuraient notamment la ministre marocaine de la Transition numérique Amal El Fallah Seghrouchni, l’ancienne ministre française de la Culture Rima Abdul Malak, aujourd’hui à la tête d’un média francophone libanais

PARIS: Organisée par l’Institut du Monde Arabe à Paris autour du thème « Femmes, business et innovation », la 16ᵉ édition des Rencontres économiques du monde arabe a décortiqué tous les aspects de l’économie au féminin.

Quatre tables rondes, réunissant le temps d’une journée des personnalités féminines éminentes du monde arabe et de la France, ont échangé sur la manière de mettre en lumière le rôle des femmes dans la transformation numérique, l’entrepreneuriat et la création, ainsi que sur les moyens de favoriser des synergies franco-arabes.

Parmi la trentaine de participantes figuraient notamment la ministre marocaine de la Transition numérique Amal El Fallah Seghrouchni, l’ancienne ministre française de la Culture Rima Abdul Malak, aujourd’hui à la tête d’un média francophone libanais, des femmes d’affaires telles que Hajar El Haddaoui, directrice générale de Digital Cooperation Organization (Maroc–Arabie saoudite), ou encore Olfa Zorgati, membre du conseil d’administration d’Ubisoft, ainsi que des ambassadrices comme Delphine O, et Shayna Al Zuhairi, directrice générale du Iraq Business Women Council.

IA et leadership

Parmi les temps forts figuraient un fireside chat sur l’intelligence artificielle et le leadership, plusieurs tables rondes réunissant cheffes d’entreprise et responsables d’institutions, ainsi qu’une keynote consacrée à la transformation des médias.

Dans le fireside chat dédié à l’IA et au leadership, Amal El Fallah Seghrouchni et Anne Bouverot (envoyée spéciale pour l’IA en France) ont croisé leurs visions, soulignant l’importance d’une gouvernance responsable et partagée de l’IA entre l’Europe et le monde arabe, conciliant innovation et protection des droits.

Elles ont également mis en avant la place centrale des femmes et de l’éducation dans la formation, pour réduire la fracture numérique et encourager l’industrialisation de solutions locales.

La programmation, détaillée par l’IMA, a alterné débats sur l’intelligence artificielle et le leadership, sessions sur les industries culturelles et créatives (ICC), et interventions consacrées au financement et à la coopération institutionnelle.

Les intervenantes issues du monde de la tech et du secteur privé (start-up, entreprises, écosystèmes) ont discuté des opportunités de co-développement entre acteurs français et arabes, ainsi que du besoin d’écosystèmes favorables (financement, cadres réglementaires, formation) pour transformer le talent féminin en entreprises viables.

La transformation des médias à l’ère des transitions

Une autre table ronde, réunissant un panel mixte de diplomates et de femmes actives dans les secteurs des financements publics, du droit et de l’IA, a insisté sur la nécessité d’aligner les réponses aux défis climatiques, énergétiques et numériques à travers des partenariats bilatéraux et multilatéraux.

Rima Abdul Malak a prononcé une courte keynote sur la transformation des médias à l’ère des transitions, montrant comment innover avec l’IA tout en préservant la déontologie et la diversité culturelle.
Elle a également souligné le rôle des femmes dirigeantes dans la recomposition du paysage médiatique.

Les tables rondes de l’après-midi ont porté sur les industries culturelles et créatives, les synergies franco-arabes pour la création artistique, les modèles de financement (fondations, philanthropie, fonds publics) et la médiation culturelle à l’ère de l’IA.

Sur le fond, deux lignes directrices ont traversé les discussions. D’abord, l’idée que l’émancipation économique des femmes constitue un levier stratégique de développement. Les intervenantes, issues des secteurs public et privé, ont insisté sur la nécessité de traduire les discours en dispositifs concrets : accès au financement, incubateurs dédiés, formations techniques et réseaux de mentorat.

Ensuite, la nécessité d’une coopération pratique à travers des partenariats, des centres d’excellence et des mécanismes de financement conjoints, plutôt que de simples déclarations d’intention.

Tout au long de la journée, les intervenantes françaises et arabes ont appelé à bâtir des cadres éthiques communs et des programmes de formation destinés à réduire la fracture numérique.
L’enjeu n’est plus seulement technique, a-t-il été rappelé, mais également politique. Il concerne la régulation, la souveraineté technologique et la capacité des pays du Sud à développer des solutions adaptées à leurs usages.

La table ronde dédiée aux industries culturelles et créatives a insisté sur l’importance des modèles hybrides — mécénat, fonds d’impact, structures de coopération publique-privée — permettant de soutenir la création sans l’enfermer dans des logiques purement marchandes.

Les intervenantes issues du monde de l’art et des fondations ont partagé leurs retours d’expérience et proposé des pistes concrètes pour professionnaliser les filières tout en préservant la diversité culturelle.

Plusieurs participantes ont également souligné l’importance d’instruments financiers adaptés : garanties publiques, fonds de capital-risque dédiés aux entrepreneures et dispositifs de venture philanthropy pour accompagner les premières étapes des projets culturels et technologiques.

Ces rencontres confirment la maturation d’un agenda franco-arabe centré sur l’économie du savoir et la création, et réaffirment que la question du genre ne peut demeurer un simple enjeu symbolique, mais doit se traduire par une véritable architecture d’accompagnement (financement, formation, incubateurs, réglementation).

Pour que les promesses tiennent, les participantes ont appelé à une feuille de route opérationnelle, assortie de calendriers, de budgets et d’indicateurs, afin de transformer l’énergie du plaidoyer en actions mesurables.