PARIS: Enfin le dénouement? Le président français Emmanuel Macron a repoussé à vendredi matin le moment de désigner un Premier ministre, laissant prospérer rumeurs et spéculations sur fond de paysage politique fracturé.
Le délai de 48 heures qu'il avait lui-même fixé mardi devant les chefs de parti n'aura donc pas été tenu. De retour jeudi d'une visite éclair en Pologne, M. Macron a déçu les attentes et fait savoir que la nomination du nouveau chef du gouvernement n'aurait lieu que vendredi matin.
Le président français avait à la surprise générale dissous la chambre basse du Parlement en juin, après la déroute de son camp aux élections européennes face à l'extrême droite. Les législatives anticipées ont abouti à une Assemblée nationale sans majorité absolue et fragmentée en trois blocs: alliance de gauche, macronistes et droite, extrême droite,
Issu de la droite, le Premier ministre et ancien commissaire européen Michel Barnier, en fonction depuis seulement trois mois, a été contraint la semaine dernière de démissionner, après un vote de censure historique.
Le président procrastine-t-il à nouveau, comme lorsqu'il avait mis 51 jours pour nommer Michel Barnier en remplacement du macroniste Gabriel Attal? Est-il encore indécis, jouant avec les nerfs des responsables politiques et des principaux favoris pour le poste?
"Il conclut ses consultations", disait jeudi soir à l'AFP l'entourage présidentiel.
Mais l'attente est propice à la propagation d'informations non-vérifiées, aux spéculations entre le chef centriste François Bayrou, l'ex-socialiste Bernard Cazeneuve ou encore un candidat surprise comme l'ancien ministre Roland Lescure. Mais aussi à un climat délétère dans la classe politique, marqué par les attaques contre les prétendants potentiels.
L'un d'eux reconnaissait tard jeudi soir ne pas être fixé sur les choix du président, dont la cote de confiance atteint seulement 21% selon un sondage Elabe.
- "Dans la nasse" -
"Ils sont dans la nasse", il y a un "tir de barrage à chaque nom", déplorait un proche d'Emmanuel Macron. "Personne n'est accordé autour du président", ajoutait-il.
Jeudi, c'est le nom de Roland Lescure, ex-ministre de l'Industrie et macroniste de la première heure qui a fait irruption dans le débat. A 58 ans, le député social-libéral pourrait devenir un super-animateur à la tête d'un gouvernement de poids-lourds, à ce titre plus difficile à censurer.
Plusieurs députés du Rassemblement national (extrême droite) ont marqué successivement sur X leur hostilité à sa nomination. "Roland Lescure? Motion de censure", a écrit la porte-parole du groupe à l'Assemblée, Laure Lavalette, avant d'effacer son message.
Prenant l'hypothèse au "sérieux", l'entourage du ministre démissionnaire de l'Intérieur, Bruno Retailleau, tenant d'une droite libérale-conservatrice aux propos radicaux, a prévenu que ce serait un "gros problème" pour son parti, Les Républicains (droite), car Roland Lescure "porte une ligne inverse" sur l'immigration.
L'équation politique reste infiniment complexe malgré le mouvement opéré par le parti socialiste (PS, gauche). Le prochain chef du gouvernement devra créer les conditions de sa survie politique afin de ne pas subir le sort de Michel Barnier, renversé par une censure inédite depuis 1962, qui laisse la France sans budget pour 2025.
A gauche, le premier secrétaire du PS Olivier Faure, comme la cheffe des Ecologistes Marine Tondelier, ont proposé une formule: le renoncement à l'article 49.3 de la Constitution, qui permet au gouvernement de faire passer des textes en force au Parlement, si un Premier ministre de gauche était nommé. En contrepartie, une majorité de députés s'engagerait à ne pas le censurer.
Cette formule a relancé l'option Bernard Cazeneuve, l'ex-Premier ministre de l'ancien président François Hollande (2012-2017) et figure de la gauche modérée.
Le dirigeant centriste François Bayrou, allié historique du chef de l'Etat, voit lui aussi son nom être cité avec insistance depuis le début de la semaine. Il incarne au moins autant qu'Emmanuel Macron le dépassement du clivage gauche-droite qu'il est le premier à avoir théorisé, autant qu'il a promu la culture du compromis. Mais les jours passant, le doute s'est instillé sur la réelle volonté du président de le nommer.
Emmanuel Macron semble réticent à se tourner vers la gauche. Dès lors, les noms de deux ministres passés de la droite à la macronie, celui des Armées Sébastien Lecornu et celle des Territoires Catherine Vautrin, sont également cités. Ils s'exposeraient toutefois à un fort risque de censure si la gauche et le Rassemblement national s'alliaient pour la circonstance.