Le changement climatique met en péril la stabilité de l'Irak

Depuis le début du siècle, la température moyenne de l'Irak a augmenté de près de 0,5 degré Celsius par décennie. (AFP)
Depuis le début du siècle, la température moyenne de l'Irak a augmenté de près de 0,5 degré Celsius par décennie. (AFP)
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Publié le Vendredi 02 mai 2025

Le changement climatique met en péril la stabilité de l'Irak

Le changement climatique met en péril la stabilité de l'Irak
  • La production agricole, pierre angulaire de l'économie et de la sécurité alimentaire de l'Irak, s'est effondrée
  • Les pénuries d'eau et la dégradation des sols ont rendu l'agriculture impossible dans de nombreuses régions

L’Irak est confronté à une crise climatique multiforme: montée des températures, chute rapide des précipitations, désertification galopante et dégradation accélérée de terres agricoles autrefois fertiles. Les Nations unies classent d’ailleurs le pays parmi les cinq plus vulnérables au changement climatique dans le monde.

Depuis le début du XXIe siècle, la température moyenne en Irak a grimpé d’environ 0,5°C par décennie – un rythme bien supérieur à la moyenne mondiale. Si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas maîtrisées, les projections indiquent une élévation de +5,6°C par rapport à l’ère préindustrielle d’ici la fin du siècle. Une telle hausse serait catastrophique: elle menacerait non seulement les écosystèmes déjà fragilisés, mais aggraverait également les pressions économiques, les déplacements forcés de populations et les tensions sociales.

Le pays subit déjà les conséquences concrètes de cette crise: sécheresses prolongées, tempêtes de sable de plus en plus intenses et raréfaction dramatique des ressources en eau. Un cocktail menaçant la vie et les moyens de subsistance de millions de personnes.

Human Rights Watch a publié, en mars, un rapport qui donne à réfléchir, intitulé «La crise climatique de l'Irak est une crise des droits de l'homme», qui attire l'attention du monde entier sur la dimension humanitaire de la catastrophe environnementale de l'Irak. Ce rapport souligne que la crise n'est pas seulement une question de hausse de températures ou d'assèchement des rivières, mais qu'elle concerne les droits fondamentaux du peuple irakien – le droit à l'eau, à la nourriture, à la santé, à un abri et même à la vie.

La crise n'est pas seulement une question de hausse des températures ou d'assèchement des rivières, elle concerne les droits fondamentaux du peuple irakien.

-Majid Rafizadeh

Le rapport montre que les communautés irakiennes, en particulier les populations marginalisées telles que les Arabes des marais et les agriculteurs, sont déplacées, que leurs modes de vie traditionnels sont détruits et que leur accès aux ressources essentielles est coupé. Alors que le gouvernement peine à réagir de manière adéquate, beaucoup se retrouvent de plus en plus vulnérables à la faim, à la maladie, à la pauvreté et aux migrations forcées.

Les conséquences de la crise climatique en Irak ont été dévastatrices dans tous les secteurs. Par exemple, la production agricole, pierre angulaire de l'économie et de la sécurité alimentaire de l'Irak, s'est effondrée. Les pénuries d'eau et la dégradation des sols ont rendu l'agriculture impossible dans de nombreuses régions, privant des milliers de familles de toute source de revenus. Les marais de Mésopotamie, un écosystème qui couvrait autrefois des milliers de kilomètres carrés et abritait un riche patrimoine culturel, se sont considérablement réduits en raison des détournements d'eau en amont et de l'augmentation des niveaux de salinité. Cette tragédie environnementale menace non seulement la biodiversité, mais aussi les anciennes communautés dont les moyens de subsistance dépendent de ces zones humides.

En outre, l'Irak a connu une augmentation alarmante de la fréquence et de la gravité des tempêtes de sable, qui recouvrent les villes d'une épaisse couche de poussière, entraînent la fermeture des aéroports, détruisent les récoltes et provoquent des maladies respiratoires généralisées au sein de la population. Les hôpitaux de Bagdad et d'autres villes signalent une augmentation du nombre de patients souffrant d'asthme et d'autres maladies respiratoires après chaque tempête.

La dégradation de l'environnement n'est pas un problème isolé pour les agriculteurs ou les villageois, c'est une crise nationale qui a des répercussions sur la santé publique, la stabilité économique, l'éducation et la sécurité nationale.

Les effets de la crise climatique en Irak ne se limitent pas aux frontières du pays. L'assèchement du Tigre et de l'Euphrate, qui sont des sources d'eau essentielles pour l'Irak, la Syrie et certaines parties de la Turquie et de l'Iran, est une catastrophe régionale en devenir.

Alors que les pays situés en amont construisent de nouveaux barrages et détournent l'eau pour desservir leurs propres populations et industries en pleine croissance, l'Irak se retrouve à court d'eau. Cette concurrence pour des ressources en eau qui s'amenuisent a déjà exacerbé les tensions entre les nations et menace de déclencher de nouveaux conflits dans une région déjà instable.

De graves sécheresses, directement liées au changement climatique provoqué par l'homme, ont dévasté de vastes zones de la Syrie, contribuant aux migrations massives, aux déplacements internes et à l'instabilité – des dynamiques qui pourraient facilement s'aggraver en Irak et s'étendre aux pays voisins. Ainsi, l'effondrement environnemental de l'Irak risque de déclencher des catastrophes humanitaires plus vastes, des crises de réfugiés et des problèmes de sécurité qui se répercuteront sur l'ensemble du Moyen-Orient et au-delà. Ce qui se passe en Irak est un avertissement brutal pour l'ensemble de la région: la dégradation de l'environnement ne connaît pas de frontières.

La communauté internationale, en particulier les nations les plus puissantes du monde, ne peut se permettre de fermer les yeux sur la situation critique de l'Irak. L'Irak n'est pas à l'origine de la crise climatique; historiquement, ses émissions de carbone ont été relativement faibles par rapport à celles des principaux pays industrialisés. Pourtant, il se retrouve à souffrir de manière disproportionnée d'un problème largement induit par les tendances mondiales. La justice exige que les nations les plus riches, qui ont le plus contribué au problème, prennent des mesures pour aider l'Irak à s'adapter et à survivre.

En outre, aider l'Irak n'est pas seulement une obligation morale, c'est aussi une question d'intérêt personnel éclairé. L'instabilité en Irak, alimentée par l'effondrement du climat, pourrait déclencher des vagues de migration, des conflits régionaux et des chocs économiques qui auraient des répercussions sur l'Europe, l'Asie et au-delà. En aidant aujourd'hui l'Irak à renforcer sa résistance au changement climatique, on contribuera à éviter des crises futures qui pourraient nécessiter des interventions humanitaires et militaires bien plus importantes. La communauté internationale doit reconnaître que le sort de l'Irak est étroitement lié à la sécurité mondiale, aux droits de l'homme et à la lutte contre le changement climatique.

Des mesures concrètes peuvent et doivent être prises immédiatement pour aider l'Irak à relever ce défi existentiel.

-Majid Rafizadeh

Des mesures concrètes peuvent et doivent être prises immédiatement pour aider l'Irak à relever ce défi existentiel. L'un des principaux domaines d'intervention devrait être le renforcement des systèmes de gestion de l'eau. L'Irak a besoin d'une infrastructure moderne et efficace pour stocker, distribuer et conserver ses réserves d'eau limitées. La revitalisation des systèmes d'irrigation, la réparation des barrages vieillissants et la mise en œuvre de technologies permettant d'économiser l'eau pourraient faire une énorme différence.

Les pratiques agricoles durables doivent être encouragées pour remplacer les méthodes traditionnelles qui ne sont plus viables dans les conditions actuelles. Encourager l'utilisation de cultures résistantes à la sécheresse, de techniques de conservation des sols et de technologies agricoles intelligentes contribuerait à relancer le secteur agricole irakien et à sécuriser les approvisionnements alimentaires.

Le développement des sources d'énergie renouvelables, en particulier solaire et éolienne, est une autre étape cruciale. L'Irak a la chance de bénéficier d'un ensoleillement et d'un vent abondants, et l'abandon des combustibles fossiles permettrait non seulement de réduire les émissions, mais aussi de créer des emplois et de diversifier l'économie.

Les communautés vulnérables doivent bénéficier d'une aide ciblée, notamment en matière d'aide d'urgence, de soins de santé et d'aide à la réinstallation si nécessaire. La construction de nouvelles écoles, de cliniques et d'infrastructures adaptées aux conditions climatiques extrêmes aiderait ces communautés à survivre et à prospérer.

En outre, l'Irak et ses voisins doivent s'engager dans des accords régionaux de coopération afin de gérer les ressources en eau partagées de manière équitable et durable. Une telle diplomatie contribuerait à prévenir les conflits et à favoriser la stabilité à long terme.

Enfin, les pays riches et les organisations internationales doivent mobiliser une aide financière et technique importante pour soutenir les efforts d'adaptation de l'Irak. Le financement de la lutte contre le changement climatique ne doit pas se limiter à des programmes génériques; il doit répondre directement aux besoins et aux vulnérabilités propres à l'Irak, en veillant à ce que les populations les plus touchées soient prioritaires.

En conclusion, face à la crise climatique, le combat de l'Irak est celui de l'humanité. Les souffrances des agriculteurs, des enfants et des communautés irakiens soulignent l'urgence d'une action collective. L'Irak ne doit pas être laissé seul face à cette catastrophe. En lui apportant un soutien significatif, en partageant les technologies et les ressources et en respectant les principes fondamentaux de la justice et des droits de l'homme, la communauté internationale peut l'aider.

Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain formé à Harvard. 

X: @Dr_Rafizadeh

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com