1967: aux prémices d’un chemin menant à l’Ukraine

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Publié le Vendredi 02 mai 2025

1967: aux prémices d’un chemin menant à l’Ukraine

1967: aux prémices d’un chemin menant à l’Ukraine
  • Après plus de trois années d’agression manifeste, la Russie pourrait bien être récompensée en conservant les 20% du territoire ukrainien qu’elle occupe actuellement 
  • Pour Kiev, le seul maigre réconfort serait que, même si les États-Unis reconnaissaient un jour cette souveraineté de facto, cela n’obligerait en rien l’Ukraine, ni la majorité des pays du monde, à faire de même

L'«accord de paix» avec la Russie actuellement imposé au peuple ukrainien par l'administration Trump à Washington suscite beaucoup d'angoisse parmi les intellectuels libéraux occidentaux, principalement parce qu'il s'agit moins d'un accord de paix que d'une capitulation.

Après plus de trois années d’agression manifeste, la Russie pourrait bien être récompensée en conservant les 20% du territoire ukrainien qu’elle occupe actuellement – y compris la Crimée, annexée en 2014. Pour Kiev, le seul maigre réconfort serait que, même si les États-Unis reconnaissaient un jour cette souveraineté de facto, cela n’obligerait en rien l’Ukraine, ni la majorité des pays du monde, à faire de même. Hormis peut-être la Chine, il semble peu probable que d'autres s'alignent. À ce jour, seuls l’Afghanistan, Cuba, le Nicaragua, la Corée du Nord, la Syrie et le Venezuela reconnaissent officiellement la Crimée comme territoire russe.

Donald Trump, en particulier, a essuyé de vives critiques pour son rôle dans la banalisation progressive de cette occupation. Il est vrai que lui – et les différentes versions de son administration – ont multiplié les revirements troublants sur le dossier ukrainien. Dès 2014, alors qu’il n’était encore qu’une figure médiatique, Trump saluait déjà la stratégie de Poutine: «C’est un dirigeant très compétent [...] ce qu’il a fait en Crimée est très intelligent.»

Quatre ans plus tard, cependant, alors que Trump était président depuis deux ans et qu'il avait peut-être appris qu'être le puissant «leader du monde libre» s'accompagnait de certaines responsabilités, son secrétaire d'État Mike Pompeo a clairement indiqué quel était le point de vue officiel: «Les États-Unis réaffirment comme politique leur refus de reconnaître la revendication de souveraineté du Kremlin sur un territoire saisi par la force en violation du droit international.»

Donald Trump, en particulier, a essuyé de vives critiques pour son rôle dans la banalisation progressive de cette occupation. 

-Ross Anderson

Ce que Pompeo «réaffirmait» était la déclaration de Welles, publiée par un prédécesseur, Sumner Welles, après que l'Union soviétique a annexé l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie en 1940. «Le peuple des États-Unis est opposé aux activités prédatrices, qu'elles soient menées par l'usage de la force ou par la menace de la force», a déclaré M. Welles. Washington a refusé de reconnaître la souveraineté de Moscou sur les trois États baltes pendant 50 ans, jusqu'à ce que l'Union soviétique s'effondre et qu'ils obtiennent leur indépendance. La déclaration a été suivie en 1941 par la Charte de l'Atlantique, signée par les États-Unis et le Royaume-Uni, dans laquelle Franklin Roosevelt et Winston Churchill ont insisté sur le fait qu'il ne devait y avoir «aucun changement territorial qui ne soit en accord avec les souhaits librement exprimés des peuples concernés».

Tout cela, disent les détracteurs de Trump, a été la politique officielle des États-Unis pendant 85 ans – jusqu'à aujourd'hui. L'accusation portée contre le président est qu'en reconnaissant le droit de la Russie à gouverner les territoires capturés par la force en Crimée et dans l'est de l'Ukraine, il bouleverse la politique de toutes les administrations de la Maison Blanche depuis celle de Roosevelt, y compris celle de son premier mandat.

Mais l'est-il vraiment? Je ne peux certainement pas être le seul à déceler un parfum d'hypocrisie. Depuis 1967, si l'on exclut Trump, il y a eu 10 présidents américains: Lyndon Johnson, Richard Nixon, Gerald Ford, Jimmy Carter, Ronald Reagan, George H.W. Bush, Bill Clinton, George W. Bush, Barack Obama et Joe Biden. Si la plupart d'entre eux se sont contentés d'une adhésion de pure forme aux diverses résolutions des Nations unies, tous, sans exception, ont accepté dans la pratique le droit d'Israël d'occuper et de peupler le territoire dont il s'est emparé par la force cette année-là, ainsi que les vastes étendues de terres palestiniennes qu'il a colonisées depuis lors. La «volonté librement exprimée des peuples intéressés», pour reprendre les grands mots de la Charte de l'Atlantique, ne semble plus avoir d'importance.

Depuis 1967, date à laquelle Israël s'est emparé (et je ne m'excuse pas de répéter «par la force», puisque c'est l'expression clé de la déclaration originale de Welles de 1940) et a annexé Jérusalem-Est et le plateau du Golan, et occupé la Cisjordanie, il a revendiqué le droit à 5 640 km2 de terres volées à la Jordanie, 365 km2 volées à l'Égypte et 1 200 km2 volées à la Syrie, et a installé illégalement plus de 700 000 Israéliens sur des terres volées au peuple palestinien.

Il ne s'est pas arrêté là. Depuis le début de son assaut sanglant contre Gaza en octobre 2023, Israël a réoccupé 30% de l'enclave palestinienne, il a poussé ses troupes plus loin en Syrie et il occupe cinq collines stratégiques au sud du Liban. Pour justifier ces accaparements de terres (toujours par la force), Israël invoque des «zones tampons» pour des raisons de sécurité, ce qui est une curieuse ironie compte tenu de la composition ethnique des personnes qui procèdent à ces accaparements: le droit au «lebensraum», ou «espace vital», était un principe politique clé du parti nazi en Allemagne dans les années 1930, utilisé par Hitler pour justifier l'invasion de la Pologne. Et regardez comment cela s'est terminé.

Contrairement aux Palestiniens de Cisjordanie, les colons jouissent du luxe d'être soumis au droit civil israélien.

-Ross Anderson

Contrairement aux Palestiniens de Cisjordanie dont ils ont volé les terres et qui subissent l'arbitraire de la loi militaire, les colons jouissent du luxe d'être soumis à la loi civile israélienne, preuve qu'Israël considère ces terres volées comme faisant partie d'Israël.

Si quelqu'un doute de l'intention malveillante qui se cache derrière tout cela, je l'invite à regarder «The Settlers», un documentaire du cinéaste Louis Theroux diffusé la semaine dernière par la BBC. Ce film est la deuxième tentative de Theroux de pénétrer dans la tête des colons israéliens. Son premier film, «The Ultra Zionists», réalisé en 2011, était simplement troublant; le nouveau est tout simplement effrayant.

Theroux décrit des personnes qui poursuivent «une vision ethnonationaliste ouvertement expansionniste tout en bénéficiant des avantages d'un régime juridique distinct et privilégié». Un colon affirme vivre au «cœur de la Judée». Un autre a déclaré: «Je crois que Gaza est à nous et que nous devons y vivre.» Un rabbin a déclaré que le Liban «devrait être nettoyé de ces chameliers». Un autre colon a déclaré: «Nous étions sur cette terre à planter des vignes avant que Mahomet ne soit en CE2», faisant preuve d'un niveau de bigoterie religieuse et d'ignorance gratuitement offensant qui dépasse l'entendement – il s'agit d'une question de terre, pas de religion. Quant à la revendication historique, elle a toujours été absurde: selon la logique des colons, les anciens de la tribu des Lenape, les premiers habitants de Manhattan qui vivent aujourd'hui dans l'Oklahoma et le Wisconsin, ont le droit d'établir une réserve sur la Cinquième Avenue.

Souvenez-vous de tout cela la prochaine fois que quelqu'un vous dira que Trump a renversé des décennies de politique américaine établie contre la capture et l'occupation par la force des terres d'autrui: ce bateau a appareillé il y a près de 60 ans.

Ross Anderson est rédacteur en chef adjoint d'Arab News.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com