LILLE: L'horizon s'est éclairci fin avril pour le lycée Averroès de Lille dont la justice a rétabli le contrat avec l'Etat, mais à quelques jours du bac et en plein débat sur les Frères musulmans, de nombreuses incertitudes flottent sur son avenir.
Pendant un an et demi, le principal lycée musulman de France a vécu au rythme des décisions de justice. Le 7 décembre 2023, le préfet du Nord a rompu son contrat d'association avec l'État, l'accusant de "manquements graves aux principes fondamentaux de la République".
Cette rupture privait le lycée de subventions publiques à partir de la rentrée 2024 et ses élèves de la prise en compte de leurs notes de contrôle continu pour le bac.
L'établissement fondé en 2003, après l'interdiction du voile à l'école, et sous contrat depuis 2008, a dû augmenter drastiquement ses frais de scolarité et ses effectifs ont fondu.
Deux décisions en référé, en février et juillet 2024, ont confirmé la rupture du contrat.
Mais le 23 avril, le tribunal administratif a annulé sur le fond la décision du préfet, estimant qu'il n'avait pas "suffisamment démontré" le "manque de pluralisme culturel de la documentation accessible aux lycéens", ni le "caractère contraire aux valeurs de la République du cours d'éthique musulmane". Pas de preuves non plus d'un "système de financement illicite" reproché à l'établissement.
Les manquements prouvés, comme le refus d'une inspection inopinée, ne sont pas suffisants pour dénoncer le contrat, a tranché le tribunal.
"Pression de dingue"
Les élèves de terminale avaient déjà appris en janvier qu'exceptionnellement, leurs notes de contrôle continu seraient comptabilisées pour le bac. Mais ceux de première se préparaient, avant le rétablissement du contrat, à passer des examens centralisés pour chaque matière, comme des candidats libres.
Jusqu'à la semaine dernière, les conséquences du rétablissement du contrat restaient floues. "On se prépare aux épreuves s'il doit y en avoir, et on travaille en même temps à fond pour les notes, parce qu'il peut y avoir le contrôle continu", expliquait mi-mai Wyssam, élève de première.
La professeur de lettres et philosophie Michèle Battin, pointait "une pression de dingue" sur les élèves.
Il y a quelques jours, le rectorat a finalement opté pour une solution intermédiaire: des "épreuves sous le régime du contrôle continu", ont expliqué ses services à l'AFP, sans détail.
Dans chaque matière, la note d'un dernier devoir, réalisé dans le lycée Averroès mais sur un sujet validé par le rectorat, fera office de note de contrôle continu, selon la direction.
"J'ai réussi à rester sereine mais une grande partie de mes camarades a paniqué" à cause de ce climat d'incertitude, confiait lundi une autre élève de première, Hadjer.
Le proviseur du lycée, Eric Dufour, espère que l'Etat finisse par admettre que le rétablissement du contrat prend effet à la rentrée 2024 et non le 23 avril 2025, et prenne donc en compte les notes de l'ensemble de l'année.
"Climat bienveillant"
L'incertitude prévaut également pour les bourses, interrompues par la rupture du contrat. Elles reprendront à la rentrée 2025 mais les modalités d'un rattrapage de l'année 2024-2025 ne sont pas encore connues, selon M. Dufour.
Pour Latifa Aït Bella, dont la fille Soumaya était boursière, la maintenir à Averroès a représenté un gros effort financier familial. Cette assistante maternelle espère être remboursée, mais assure n'avoir "aucun regret" en raison de professeurs "exceptionnels" et du "climat bienveillant" du lycée.
Alors que les enseignants seront à nouveau rémunérés par l'Etat, M. Dufour se dit rassuré sur l'enveloppe d'heures de cours attribuée par l'Éducation nationale pour la rentrée. Le lycée, qui avait perdu 180 élèves, devrait pouvoir en accueillir à nouveau 475 en septembre, soit 15 classes.
A long terme, son sort est néanmoins loin d'être réglé. La ministre de l'Éducation Élisabeth Borne a fait appel de la décision du tribunal administratif. Le président LR du conseil régional Xavier Bertrand assure que la région ne versera pas le forfait d'externat, dû aux lycées privés sous contrat, tant qu'un jugement définitif ne serait pas intervenu.
Le collège Averroès n'est, lui, toujours pas sous contrat.
Le rapport sur les Frères musulmans commandé par Emmanuel Macron présente le collège-lycée comme une pièce majeure de l'écosystème "frériste" en France.
"Les fantasmes habituels ressortent", soupire M. Dufour. Il souligne que le rapport reprend des accusations pourtant écartées par la justice.