La bouée de sauvetage de l'Europe à la Palestine n'arrangera pas son économie exsangue

Si le programme d'aide de l'Europe est apprécié, il ne doit pas se substituer à un engagement politique international soutenu. (AFP)
Si le programme d'aide de l'Europe est apprécié, il ne doit pas se substituer à un engagement politique international soutenu. (AFP)
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Publié le Jeudi 03 juillet 2025

La bouée de sauvetage de l'Europe à la Palestine n'arrangera pas son économie exsangue

La bouée de sauvetage de l'Europe à la Palestine n'arrangera pas son économie exsangue
  • L'aide européenne effleure à peine la surface d'une crise fiscale de plus en plus profonde, exacerbée à la fois par des dysfonctionnements internes et par des pressions externes incessantes
  • L'économie palestinienne croule sous le poids de l'inflation, des déséquilibres de liquidités et des distorsions monétaires

L'attribution par la Commission européenne, le mois dernier, d'une aide de 202 millions d'euros (238 millions de dollars) à l'Autorité palestinienne et à l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) constitue une rare bonne nouvelle au milieu d'un océan de désespoir économique et de paralysie politique en Palestine. Mais, bien que bienvenue, l'aide européenne effleure à peine la surface d'une crise fiscale de plus en plus profonde, exacerbée à la fois par des dysfonctionnements internes et par des pressions externes incessantes, au premier rang desquelles les politiques destructrices de l'actuel gouvernement israélien.

Sur l'ensemble de l'enveloppe, 150 millions d'euros sont destinés à aider l'Autorité palestinienne à fournir des services essentiels, qu'il s'agisse des salaires des enseignants, des soins de santé ou de l'administration civile. Cela peut sembler une bouée de sauvetage, mais il s'agit d'une corde effilochée qui risque de se rompre sous le poids des contraintes politiques et de l'accroissement de la dette.

Moayad Afaneh, économiste et conseiller auprès de plusieurs gouvernements palestiniens, aurait déclaré que l'aide n'est pas une "percée", mais qu'elle fait plutôt partie d'un engagement plus large de l'UE de 300 millions d'euros pour 2025, qui sont versés au compte-gouttes à un rythme de 20 millions d'euros par mois, ce qui ne suffit qu'à payer une fraction des salaires des fonctionnaires. La plupart des employés de l'AP ne reçoivent actuellement qu'environ 35 % de leur salaire.

Le ministre palestinien des affaires étrangères, Varsen Aghabekian Shahin, qui vient de prêter serment le 19 juin, a adopté un ton prudent, déclarant que l'aide de l'UE couvrait partiellement le déficit du Trésor palestinien. "Notre trésorerie souffre énormément de la décision illégale du ministre israélien des finances de retenir les fonds collectés en notre nom", a-t-elle déclaré.

Ces fonds - des taxes sur les marchandises entrant dans les territoires occupés par les ports contrôlés par Israël - constituent un pilier essentiel de l'économie palestinienne. En vertu du protocole de Paris de 1994, Israël est tenu de transférer ces recettes douanières et de TVA à l'Autorité palestinienne. Mais ces dernières années, le ministre des finances Bezalel Smotrich a choisi de retenir une part importante de ces fonds, invoquant son opposition aux allocations versées par l'Autorité palestinienne aux familles des Palestiniens tués ou emprisonnés par Israël.

Cela pourrait aider à payer les arriérés de salaires, mais cela ne peut pas endiguer le flot d'une économie qui s'effondre sous l'effet du siège. 

                                              Daoud Kuttab

L'étouffement financier israélien n'est pas une tactique nouvelle, mais il est pratiqué avec une cruauté renouvelée. Les décisions de M. Smotrich paralysent la capacité de l'Autorité palestinienne à fonctionner, même à un niveau minimum. Plus dangereux encore, le mois dernier, il a refusé de renouveler une dérogation bancaire qui permettait des transactions financières entre les banques palestiniennes et israéliennes, menaçant ainsi de paralyser les institutions financières palestiniennes déjà soumises à des contraintes.

Pour être clair, il ne s'agit pas d'un simple différend économique. Il s'agit d'une forme calculée de punition collective, exercée non seulement contre l'Autorité palestinienne, mais aussi contre des millions de Palestiniens qui dépendent des services publics, de l'emploi et de la stabilité. Dans un environnement déjà instable, où la guerre à Gaza a ravivé les flammes de la violence en Cisjordanie, un tel étranglement financier revient à jeter de l'huile sur le feu.

L'homme d'affaires palestinien Samir Hulileh, ancien secrétaire de cabinet, a souligné que la crise financière est autant politique qu'économique. Une conférence saoudo-française de haut niveau des Nations unies, au cours de laquelle Riyad et d'autres devaient annoncer un renouvellement de l'aide, a été reportée le mois dernier en raison de la guerre d'Israël contre l'Iran.

Les 202 millions d'euros versés par l'Europe doivent donc être considérés dans ce contexte. Cette aide pourrait aider à payer les arriérés de salaires, mais elle ne peut pas endiguer le flot d'une économie qui s'effondre sous l'effet du siège. Elle ne peut pas non plus résoudre les problèmes structurels profonds de l'appareil politique palestinien lui-même.

L'UE et les pays arabes ont, à juste titre, conditionné l'aide à des réformes : amélioration de la gouvernance, mesures de lutte contre la corruption et, surtout, succession à la tête de l'État. La nomination de Hussein Al-Sheikh au poste de vice-président du président Mahmoud Abbas, en avril, a été l'une de ces mesures. Mais en l'absence d'élections ou d'un rajeunissement significatif des institutions palestiniennes, l'AP reste politiquement stagnante et de plus en plus déconnectée du peuple qu'elle prétend servir.

Pendant ce temps, la violence sur le terrain s'intensifie.

Les attaques des colons israéliens en Cisjordanie - souvent coordonnées ou protégées par l'armée israélienne - se sont intensifiées tant en fréquence qu'en brutalité. Rien que le mois dernier, au moins quatre Palestiniens ont été tués, dont trois à Kafr Malik, au nord-est de Ramallah, le 25 juin, lorsque des colons ont ouvert le feu sur des villageois. Bien que cinq colons aient été arrêtés, ils ont tous été relâchés sans inculpation. Plus de 80 attaques de ce type se seraient produites en l'espace d'une semaine, la plupart impliquant des incendies criminels, des destructions de biens et des agressions physiques.

L'économie palestinienne croule sous le poids de l'inflation, des déséquilibres de liquidités et des distorsions monétaires.

                                                        Daoud Kuttab

M. Al-Sheikh a lancé un appel à une intervention internationale urgente et les Nations unies ont exprimé leur vive inquiétude, appelant Israël à protéger les civils et à demander des comptes aux auteurs de ces actes. Mais les mots ne suffisent pas. La communauté internationale ne peut rester un observateur passif alors que des colons armés terrorisent les communautés palestiniennes en toute impunité dans des zones comme Masafer Yatta et la vallée du Jourdain, des régions depuis longtemps ciblées par les déplacements forcés.

Dans le même temps, l'économie palestinienne ploie sous le poids de l'inflation, des déséquilibres de liquidités et des distorsions monétaires. L'évolution de la société israélienne vers les paiements numériques a laissé les banques palestiniennes submergées de shekels physiques, alors que les Palestiniens eux-mêmes restent largement tributaires de l'argent liquide. Les disparités de prix faussent encore davantage le marché : les cigarettes et l'essence sont moins chères en Cisjordanie qu'en Israël, ce qui encourage les achats transfrontaliers en espèces et aggrave l'instabilité économique.

Tout cela s'est déroulé alors que la Cour suprême des États-Unis a décidé que les poursuites contre l'Autorité palestinienne et l'Organisation de libération de la Palestine pouvaient être engagées devant les tribunaux américains, ajoutant ainsi une nouvelle menace financière et juridique à un gouvernement déjà assiégé.

Ainsi, bien que l'enveloppe de 202 millions d'euros de l'Europe soit certainement appréciée - et désespérément nécessaire - elle ne doit pas se substituer à un engagement politique international soutenu. Elle ne doit pas non plus occulter la vérité fondamentale : l'Autorité palestinienne n'est pas seulement mal gérée ou inefficace, elle est assiégée - politiquement, économiquement et maintenant physiquement.

La véritable résilience de la Palestine ne viendra pas uniquement d'une aide à court terme, mais de la fin des politiques délibérées de sabotage économique, de la violence des colons et de la marginalisation diplomatique qui saignent le peuple palestinien de tout espoir.

Si l'Europe, les États-Unis et le monde arabe veulent voir une région stable et pacifique, ils doivent aller au-delà de la charité et rendre des comptes. Cela signifie qu'ils doivent s'attaquer de front aux politiques israéliennes et faire respecter les accords internationaux et les lois qu'ils invoquent si souvent.

Sans justice, aucune aide n'apportera une paix durable.

Daoud Kuttab est un journaliste palestinien primé.

X : @daoudkuttab

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com