Factions armées : un obstacle majeur à la souveraineté étatique dans la région

Des combattants du groupe militant libanais Hezbollah s'entraînent dans le sud du Liban. (AP/File)
Des combattants du groupe militant libanais Hezbollah s'entraînent dans le sud du Liban. (AP/File)
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Publié le Mardi 12 août 2025

Factions armées : un obstacle majeur à la souveraineté étatique dans la région

Factions armées : un obstacle majeur à la souveraineté étatique dans la région
  • Les factions, comme le Hezbollah, les FM ou les Houthis, ont sapé l’autorité des États en formant des armées parallèles, fragilisant la stabilité et la gouvernance institutionnelle
  • Face à ces groupes, les populations aspirent à des États normaux, légaux et centralisés, mais le refus des factions de se désarmer alimente les tensions et entrave le retour à la normalité

Peut-on gouverner un pays, quel qu’il soit, avec deux armées, deux autorités et deux « États » ? La coexistence imposée n’est-elle qu’une trêve précaire en attendant qu’une armée l’emporte sur l’autre ? L’affrontement entre ces entités est-il inévitable tant les factions bloquent la stabilité, l’investissement et le retour à un État normal après le lourd tribut payé au temps des milices ? Ce temps-là n’a pas dissuadé la sauvagerie de l’armée de Benjamin Netanyahu.

Tout a commencé lors d’une réunion dans un appartement de Beyrouth, entre activistes iraniens et libanais, après le succès de la révolution de l’ayatollah Khomeiny. On y réfléchissait à renforcer le régime révolutionnaire contre les menaces potentielles. Les participants se basaient sur le renversement du gouvernement de Mohammed Mossadegh en 1953 comme exemple de la fiabilité douteuse des armées « normales ». Ces dernières seraient tentées d’intervenir à l’approche d’une révolution ou du moindre changement, et pourraient être infiltrées par les services occidentaux.

Il leur fallait donc une force pour empêcher qu’un segment de l’armée iranienne ne se soulève contre la révolution khomeiniste. Anis Al‑Naqqash revendiquait avoir été le premier à proposer la création des Gardiens de la Révolution iranienne.

Le modèle iranien devait être dupliqué dans toute la région via le projet de l’« axe de la résistance ». Après l’invasion israélienne du Liban en 1982, et avec l’autorisation du président syrien Hafez Assad, Khomeiny a fondé le Hezbollah au Liban comme première application concrète de l’exportation de la révolution prévue par la Constitution iranienne.

Iran a transformé le sud du Liban en front iranien‑israélien, quand il était auparavant palestinien‑israélien. Avec le temps, face à Israël, le Hezbollah s’est mué en sa propre armée et quasi‑État, gagnant un halo. Malgré la diversité du Liban, le Hezbollah est devenu le décideur unique, imposant son autorité sur les présidents et les gouvernements.

Khomeiny a fondé le Hezbollah au Liban comme première application concrète de la politique iranienne d’exportation de la révolution.

                                                  Ghassan Charbel

Le groupe a même privé l’État de l’un de ses pouvoirs essentiels : la décision de faire la guerre ou la paix. Il n’a consulté personne lorsqu’il a entrepris de sauver le régime de Bachar al‑Assad avec l’appui de l’Iran et de la Russie. Il n’a consulté personne non plus lorsqu’il a ouvert son « front de soutien » à Gaza après l’opération Aube d’Al-Aqsa du 7 octobre 2023.

En parallèle, l’armée syrienne, surestimant ses forces, s’est retournée vers les milices pro-iraniennes et l’appui aérien russe en constatant qu’elle ne pourrait pas sauver le régime Assad. Et en Irak, le général Qassem Soleimani a tourné la fatwa du Grand Ayatollah Al‑Sistani — appelant à la lutte contre Daesh — en opportunité pour créer une armée parallèle : les Forces de Mobilisation Populaire. Certes, on ne peut nier leur rôle contre Daesh, mais les récents développements montrent la difficulté pour coexister deux armées sur une même carte.

Au Yémen, le coup des Houthis complétait l’axe de la résistance et représentait une réussite sans précédent pour l’Iran. Le pays entourait Israël — et d’autres voisins — d’armées loyales. Il disposait de cartes décisives dans quatre pays, exploitables dans toute négociation sérieuse avec les États-Unis.

Toutes ces constructions ont exigé des milliards de dollars, une ingérence dans les affaires intérieures, des réseaux de tunnels, des circuits de contrebande d’armes, des attentats, des assassinats. L’Iran est apparu comme le plus puissant acteur du Moyen-Orient.

Mais l’axe s’est fissuré sous trois coups : la supériorité militaire israélienne sur plusieurs fronts, l'assassinat du dirigeant du Hezbollah Hassan Nasrallah, et la chute du régime Assad en Syrie.

Les récents développements en Irak montrent la difficulté de faire coexister deux armées sur une même carte.

                                                  Ghassan Charbel

L’Iran refuse toujours de reconnaître la nouvelle réalité régionale, même si la guerre a atteint son propre ciel, coûtant la vie à ses généraux et scientifiques. Elle peine à admettre que l’opération Aube d’Al-Aqsa de Yahya Sinwar est devenue une catastrophe pour l’axe. L’axe a perdu la Syrie — son canal vital — et le Hezbollah, avec sa capacité à combattre ou dissuader Israël. L’Iran a perdu sa capacité d’attaquer Israël depuis un territoire arabe voisin.

Par ailleurs, Bagdad, Damas et Beyrouth exigent maintenant que l’État soit le seul détenteur de l’autorité des armes, avec des projets constitutionnels et des armées régulières, non des factions. L’Irak, surtout, est arrivé à la conclusion qu’il ne peut y avoir stabilité, prospérité ni investissement si des drones privés frappent radars et champs pétrolifères, ou si des membres des FM exigent de punir les forces de sécurité de l’État. La confusion parlementaire sur la loi des FM n’est pas uniquement liée à l’opposition américaine.

Alors même qu’à Téhéran, un conseiller du Guide suprême iranien, Ali Akbar Velayati, refuse d’admettre les changements régionaux : il rejette la décision libanaise du désarmement de toutes les factions, y compris le Hezbollah, méprisant la volonté du Liban de redevenir un État normal doté d’institutions. Il affirme même que les FM en Irak jouent le même rôle que le Hezbollah au Liban.

Réaction remarquable : le ministère libanais des Affaires étrangères a condamné ces déclarations comme une ingérence flagrante dans les affaires intérieures.

Les peuples irakien, syrien et libanais rêvent d’un État normal. Les factions ne sont pas seules responsables de l’instabilité régionale, mais elles empêchent la consolidation des institutions, la lutte contre la corruption et les plans de développement. Les factions affaiblissent les États et gaspillent la plus importante révolution qu’un pays puisse mener : celle de la stabilité et de l’État de droit. Tant que ces factions refusent de rendre les armes, des jours difficiles sont à prévoir. Rejeter l’État normal revient à mettre de l’huile sur le feu des cartes régionales.

Ghassan Charbel est rédacteur en chef du journal Asharq Al-Awsat. 

X: @GhasanCharbel

Cet article a été publié pour la première fois dans Asharq Al-Awsat.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.