Affaire Karachi: Balladur devant la CJR pour le financement de sa campagne de 1995

L'ancien Premier ministre français et candidat à la présidence Edouard Balladur salue les quelque 1 200 jeunes membres de ses comités de soutien lors de son premier rassemblement de campagne à Antony, dans la banlieue ouest de Paris, à l'approche des élections.  (JOEL ROBINE / AFP)
L'ancien Premier ministre français et candidat à la présidence Edouard Balladur salue les quelque 1 200 jeunes membres de ses comités de soutien lors de son premier rassemblement de campagne à Antony, dans la banlieue ouest de Paris, à l'approche des élections. (JOEL ROBINE / AFP)
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Publié le Mardi 19 janvier 2021

Affaire Karachi: Balladur devant la CJR pour le financement de sa campagne de 1995

  • La défense de l'ancien Premier ministre, qui va plaider la relaxe et estime par ailleurs que les faits sont prescrits, a toujours balayé la "thèse" d'un financement occulte, soutenant que cette somme provenait de la collecte de dons et de ventes de gadget
  • n 1995, les comptes de campagne de M. Balladur avaient été validés in extremis par le Conseil constitutionnel

PARIS: Plus de vingt-cinq ans après, l'ancien Premier ministre Edouard Balladur est jugé à partir de mardi devant la Cour de justice de la République pour des soupçons de financement occulte de sa campagne présidentielle de 1995, l'un des volets de la tentaculaire affaire Karachi. 

M. Balladur, 91 ans, comparaît au côté de son ex-ministre de la Défense, François Léotard, 78 ans, pour "complicité d'abus de biens sociaux", l'ancien Premier ministre étant jugé en sus pour "recel" de ce délit.

L'ancien locataire de Matignon (1993-95), désireux de "faire face à ses juges et répondre à leurs questions", sera présent à l'ouverture de son procès, a affirmé à l'AFP l'un de ses avocats, Félix de Belloy.  

Le procès pourrait cependant être suspendu dès son ouverture, M. Léotard ayant fait savoir qu'il était malade et ne pourrait être présent, selon une source judiciaire. "Il tient à se défendre lui-même, le procès risque donc d'être retardé", a précisé cette source.

Les deux anciens commis de l'Etat doivent être jugés sept mois après la condamnation à des peines de deux à cinq ans de prison de six autres protagonistes, dont l'intermédiaire Ziad Takieddine, dans le volet non-ministériel de ce dossier aux multiples ramifications. 

Le cas de MM. Balladur et Léotard avait été disjoint en 2014 et confié à la CJR, seule instance habilitée à juger les agissements des ministres. 

Rétro-commissions illégales

Composée de trois magistrats et douze parlementaires, la Cour va plonger, à raison de trois après-midi par semaine, dans la campagne présidentielle de 1995, marquée par la guerre fratricide à droite entre Jacques Chirac et celui qui décidera finalement de se présenter contre lui, Edouard Balladur.  

Ce dernier est accusé d'être derrière un système de rétro-commissions illégales sur d'importants contrats d'armement avec l'Arabie saoudite et le Pakistan, destinées à renflouer ses comptes de campagne. L'enquête s'est particulièrement intéressée au versement de 10,2 millions de francs (environ 1,5 million d'euros) en une seule fois et en liquide, juste après sa défaite au premier tour. 

La défense de l'ancien Premier ministre, qui va plaider la relaxe et estime par ailleurs que les faits sont prescrits, a toujours balayé la "thèse" d'un financement occulte, soutenant que cette somme provenait de la collecte de dons et de ventes de gadgets ou tee-shirts lors de meetings. 

L'enquête a souligné la concomitance entre le dépôt des espèces et les voyages de M. Takieddine à Genève. Il avait affirmé, avant de se rétracter, avoir remis des espèces à Thierry Gaubert (alors membre du cabinet du ministre du Budget Nicolas Sarkozy), sur demande de Nicolas Bazire, directeur de la campagne Balladur. 

Tous trois ont été lourdement condamnés en juin par le tribunal correctionnel de Paris et ont fait appel, comme leurs trois co-prévenus, dont Renaud Donnedieu de Vabres, alors proche collaborateur de François Léotard. 

"Réseau K" 

Selon l'accusation, le pouvoir politique a imposé à la branche internationale de la Direction des constructions navales (DCNI) et à la Sofresa, deux entités détenues par l'Etat qui vendaient sous-marins et frégates, des intermédiaires "inutiles" dans ces contrats, quasiment finalisés, le "réseau K" (pour King en référence au roi d'Arabie Saoudite). Et ce afin qu'ils reversent ensuite illégalement à la campagne une partie de l'argent perçu, en plus d'un enrichissement personnel. 

En 1995, les comptes de campagne de M. Balladur avaient été validés in extremis par le Conseil constitutionnel. Ce n'est que quinze ans plus tard qu'il a été rattrapé par des investigations lancées après une plainte des familles des victimes de l'attentat de Karachi du 8 mai 2002, qui avait coûté la vie à 15 personnes, dont 11 Français travaillant à la construction de sous-marins pour la DCNI dans le port pakistanais. 

L'enquête, qui avait au départ privilégié la piste d'Al-Qaïda, s'en était ensuite éloignée pour explorer les possibles liens - non confirmés à ce jour - entre l'attaque et l'arrêt du versement des commissions après la victoire de Jacques Chirac à la présidentielle de 1995. Cette enquête antiterroriste est toujours en cours.

"Dans cette affaire d'Etat, il ne faut pas oublier que M. Balladur s'est présenté devant l'opinion publique comme le chantre de la moralisation de la vie politique française. Il appartient à la CJR de sanctionner ces dérives", a estimé Me Olivier Morice, avocat de familles de victimes.  

Voici les principales étapes de la tentaculaire affaire Karachi: 

1994-95: contrats et commissions -

En 1994, plusieurs gros contrats d'armement sont conclus par le gouvernement d'Edouard Balladur: trois sous-marins sont vendus au Pakistan pour environ 830 millions d'euros, deux frégates à l'Arabie saoudite pour 3 milliards d'euros.

Jacques Chirac, élu président de la République en 1995 après avoir devancé Edouard Balladur au premier tour, fait stopper un an plus tard les versements de commissions à des responsables locaux. Celles-ci étaient légales jusqu'en 2000 mais des rétrocommissions en France, déjà illégales, étaient soupçonnées.

2002: l'attentat 

Le 8 mai 2002, un attentat fait 15 morts à Karachi (sud du Pakistan), dont 11 salariés français de la Direction des constructions navales (DCN) travaillant à la construction d'un sous-marin.

2009-10: la piste des représailles 

L'enquête antiterroriste suivait initialement la piste d'Al-Qaïda. Mais le juge Marc Trévidic, sous l'impulsion des parties civiles, commence à explorer en 2009 la thèse de représailles pakistanaises après l'arrêt des versements de commissions. Un rapport des services de renseignement révélé en 2019 a toutefois montré que la piste islamiste restait privilégiée.

Après une plainte pour corruption des familles de victimes en 2010, des juges d'instruction sont chargés d'enquêter sur le volet financier de l'affaire.

2011-12: mises en examen 

En 2011 et 2012, l'intermédiaire Ziad Takieddine et Thierry Gaubert, ex-conseiller de  Nicolas Sarkozy, sont mis en examen. Ils sont soupçonnés d'avoir, dans les années 1990, rapporté de l'étranger des valises d'argent remises à Nicolas Bazire, directeur de campagne d'Edouard Balladur.

Nicolas Bazire, Renaud Donnedieu de Vabres, ex-conseiller au ministère de la Défense, Dominique Castellan, ex-dirigeant de la branche internationale de la DCN, et l'intermédiaire Abdul Rahman El Assir sont également mis en examen.

2013-16: Balladur et Léotard en cause 

En 2013, Ziad Takieddine déclare aux juges avoir œuvré au financement occulte de la campagne présidentielle malheureuse d'Edouard Balladur, à la demande de MM. Bazire et Gaubert. Il se rétractera six ans plus tard.

En 2014, les juges d'instruction souhaitent que la CJR, seule compétente pour juger les ministres pour des infractions commises dans l'exercice de leurs fonctions, enquête sur Edouard Balladur et François Léotard, ancien ministre de la Défense (1993-95).

Le 12 juin, MM. Takieddine, Gaubert, Donnedieu de Vabres et El Assir sont renvoyés en correctionnelle, ainsi que MM. Castellan et Bazire qui font appel. 

2017: accélération 

Après plusieurs décisions de justice, la cour d'appel de Lyon confirme le 20 janvier 2017 le renvoi en correctionnelle des six prévenus, validé ensuite par la Cour de cassation.

Le 29 mai, Edouard Balladur est mis en examen par la CJR. François Léotard l'est à son tour le 4 juillet.

Le 30 septembre 2019, la CJR décide de juger MM. Balladur et Léotard pour "complicité d'abus de biens sociaux" ainsi que, pour l'ancien Premier ministre, de recel de ces délits. 

2020: condamnations en correctionnelle 

Le mois suivant, MM. Takieddine, Bazire, Gaubert, Donnedieu de Vabres, El Assir et Castellan sont de leur côté jugés en correctionnelle pour abus de biens sociaux, recel ou complicité.

Le 15 juin 2020, ils sont condamnés à des peines de deux à cinq ans de prison ferme et font appel. Les juges estiment qu'ils ne pouvaient ignorer "l'origine douteuse" des fonds versés sur le compte de campagne de M. Balladur, estimés entre 6 et 10 millions de francs.

2021: la CJR juge Balladur et Léotard 

Entretemps, le 13 mars 2020, la Cour de cassation a rejeté les pourvois déposés par Edouard Balladur. Il doit être jugé avec François Léotard, du 19 janvier au 11 février.


Lecornu recevra les socialistes mercredi, annonce Olivier Faure

Le nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu recevra mercredi matin les responsables du Parti socialiste, avec qui il devra négocier à l'automne un accord sur le budget 2026 pour éviter une censure, a annoncé leur Premier secrétaire Olivier Faure. (AFP)
Le nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu recevra mercredi matin les responsables du Parti socialiste, avec qui il devra négocier à l'automne un accord sur le budget 2026 pour éviter une censure, a annoncé leur Premier secrétaire Olivier Faure. (AFP)
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  • Depuis sa nomination mardi, Sébastien Lecornu a commencé ses consultations avec d'abord les partis de son "socle commun" (bloc central et LR), puis les syndicats et organisations patronales avec qui il a des entretiens encore lundi et mardi
  • Mais le rendez-vous le plus attendu est celui avec les socialistes. Déjà menacé de censure par LFI et le RN, c'est eux qui peuvent éviter à M. Lecornu de connaître le même sort que ses prédécesseurs

PARIS: Le nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu recevra mercredi matin les responsables du Parti socialiste, avec qui il devra négocier à l'automne un accord sur le budget 2026 pour éviter une censure, a annoncé leur Premier secrétaire Olivier Faure.

"On a rendez-vous mercredi matin et donc nous le verrons pour la première fois", a déclaré M. Faure lundi sur France 2. Les Ecologistes de Marine Tondelier et le Parti communiste de Fabien Roussel ont également indiqué à l'AFP être reçus mercredi, respectivement à 14H et 18H.

Depuis sa nomination mardi, Sébastien Lecornu a commencé ses consultations avec d'abord les partis de son "socle commun" (bloc central et LR), puis les syndicats et organisations patronales avec qui il a des entretiens encore lundi et mardi.

Mais le rendez-vous le plus attendu est celui avec les socialistes. Déjà menacé de censure par LFI et le RN, c'est eux qui peuvent éviter à M. Lecornu de connaître le même sort que ses prédécesseurs.

Au coeur de ce rendez-vous le projet de budget 2026 que le nouveau gouvernement devra présenter avant la mi-octobre au Parlement.

Les socialistes posent notamment comme conditions un moindre effort d'économies l'année prochaine que ce qu'envisageait François Bayrou et une fiscalité plus forte des plus riches, à travers la taxe sur les très hauts patrimoines élaborée par l'économiste Gabriel Zucman (2% sur les patrimoines de plus de 100 millions d'euros).

Mais Sébastien Lecornu, s'il s'est dit prêt samedi à "travailler sans idéologie" sur les questions "de justice fiscale" et de "répartition de l'effort", a déjà fait comprendre son hostilité à cette taxe Zucman, et notamment au fait de taxer le patrimoine professionnel "car c'est ce qui permet de créer des emplois".

"Quand on parle patrimoine professionnel, vous pensez à la machine outil ou aux tracteurs mais pas du tout. On parle d'actions, la fortune des ultrariches, elle est essentiellement en actions", lui a répondu M. Faure.

"Si vous dites que, dans la base imposable, on retire ce qui est l'essentiel de leur richesse, en réalité, vous n'avez rien à imposer", a-t-il argumenté.

"C'était déjà le problème avec l'Impôt sur la fortune (ISF, supprimé par Emmanuel Macron) qui touchait les +petits riches+ et épargnaient les +ultrariches+ parce que les +ultrariches+ placent leur argent dans des holdings", a-t-il reconnu.

 


Pour Sébastien Lecornu, un premier déplacement consacré à la santé

Sébastien Lecornu assiste à la présentation du supercalculateur Asgard au Mont Valérien à Suresnes, près de Paris, le 4 septembre 2025. (AFP)
Sébastien Lecornu assiste à la présentation du supercalculateur Asgard au Mont Valérien à Suresnes, près de Paris, le 4 septembre 2025. (AFP)
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  • Déplacement symbolique à Mâcon : Pour son premier déplacement, Sébastien Lecornu met l'accent sur l'accès aux soins et le quotidien des Français
  • Conscient de l'absence de majorité, il consulte partis et syndicats, cherchant des terrains d'entente sur le budget, tout en laissant la porte ouverte à une fiscalité plus juste

PARIS: Sébastien Lecornu se rend samedi en province, à Mâcon, pour son premier déplacement en tant que Premier ministre consacré à la santé et à "la vie quotidienne" des Français, délaissant pendant quelques heures les concertations qu'il mène activement à Paris avant de former un gouvernement.

Quatre jours à peine après sa nomination, le nouveau et jeune (39 ans) locataire de Matignon va à la rencontre des Français, pour qui il reste encore un inconnu. Il échangera notamment avec des salariés d'un centre de santé de Saône-et-Loire dont le but est d'améliorer l'accès aux soins.

Lui-même élu local de l'Eure, où il a été maire, président de département et sénateur, ce fils d'une secrétaire médicale et d'un technicien de l'aéronautique avait assuré dès le soir de sa nomination "mesurer les attentes" de ses concitoyens et "les difficultés" qu'ils rencontraient.

Celles-ci sont souvent "insupportables" pour accéder à un médecin ou à un professionnel de santé, parfois "source d'angoisse", souligne son entourage. Le Premier ministre entend dans ce contexte "témoigner de la reconnaissance de la Nation à l’égard des personnels soignants" et "réaffirmer la volonté du gouvernement de faciliter l’accès aux soins".

Il s'agit aussi pour Sébastien Lecornu de convaincre l'opinion, autant que les forces politiques, du bien-fondé de sa méthode: trouver des terrains d'entente, en particulier sur le budget, permettant de gouverner sans majorité.

Sébastien Lecornu est très proche d'Emmanuel Macron, avec qui il a encore longuement déjeuné vendredi à l'Elysée.

- Mouvements sociaux -

Sa nomination coïncide avec plusieurs mouvements sociaux. Le jour de sa prise de fonction, une mobilisation lancée sur les réseaux sociaux pour "bloquer" le pays a réuni 200.000 manifestants, et une autre journée de manifestations à l'appel des syndicats est prévue jeudi.

"Il y a une grande colère" chez les salariés, a rapporté Marylise Léon, la secrétaire générale de la CFDT, premier syndicat de France, à l'issue d'une entrevue vendredi avec le nouveau Premier ministre, qui lui a dit travailler sur une "contribution des plus hauts revenus" dans le budget 2026.

C'est sur le budget que ses deux prédécesseurs, François Bayrou et Michel Barnier, sont tombés. Et Sébastien Lecornu cherche en priorité une forme d'entente avec les socialistes.

Mais il lui faut dans le même temps réduire les déficits, alors que l'agence de notation Fitch a dégradé vendredi soir la note de la dette française.

Le centre et la droite de la coalition gouvernementale se disent prêts à taxer plus fortement les ultra-riches sans pour autant aller jusqu'à l'instauration de la taxe Zucman sur les plus hauts patrimoines, mesure phare brandie par les socialistes et dont LR ne veut pas.

Une telle mesure marquerait en tout cas une des "ruptures" au fond prônées par Sébastien Lecornu à son arrivée, puisqu'elle briserait le tabou des hausses d'impôts de la macronie.

- Méthode -

Sébastien Lecornu veut aussi des changements de méthode.

Il a d'abord réuni jeudi --pour la première fois depuis longtemps-- les dirigeants des partis du "socle commun", Renaissance, Horizons, MoDem et Les Républicains, afin qu'ils s'entendent sur quelques priorités communes.

Un format "présidents de parti" qui "permet de travailler en confiance, de façon plus directe, pour échanger sur les idées politiques, sur les arbitrages", salue un participant.

Avant les oppositions et à quelques jours d'une deuxième journée de manifestations, il a consulté les partenaires sociaux, recevant vendredi la CFDT et Medef, avant la CGT lundi.

En quête d'un compromis pour faire passer le budget, le chef de gouvernement pourrait repartir du plan de son prédécesseur François Bayrou délesté de ses mesures les plus controversées. A l'instar de la suppression de deux jours fériés.

L'hypothèse d'une remise sur les rails du conclave sur les retraites semble aussi abandonnée. Les partenaires sociaux refusent de toute façon de le rouvrir.

Des gestes sont attendus à l'égard des socialistes alors qu'à l'Elysée, on estime que le Rassemblement national, premier groupe à l'Assemblée nationale, se range désormais comme la France insoumise du côté du "dégagisme".

Cultivant une parole sobre voire rare, Sébastien Lecornu ne s'exprimera qu'à l'issue de ces consultations "devant les Français", avant la traditionnelle déclaration de politique générale, devant le Parlement.


Lecornu joue le contraste avec Bayrou sans dévoiler son jeu

Le nouveau Premier ministre français et ancien ministre des Armées Sébastien Lecornu (à droite) est accueilli par le Premier ministre sortant François Bayrou lors de la cérémonie de passation des pouvoirs à l'hôtel Matignon à Paris, le 10 septembre 2025. (AFP)
Le nouveau Premier ministre français et ancien ministre des Armées Sébastien Lecornu (à droite) est accueilli par le Premier ministre sortant François Bayrou lors de la cérémonie de passation des pouvoirs à l'hôtel Matignon à Paris, le 10 septembre 2025. (AFP)
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  • Le nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu adopte un style sobre et minimaliste, contrastant avec François Bayrou, afin de gagner du temps et préparer en coulisses une majorité fragile
  • Chargé de former un gouvernement dans un climat parlementaire explosif, il consulte à tout-va, mais les lignes de fracture gauche-droite rendent difficile l’émergence d’un accord stable

PARIS: Le nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu joue le contraste de styles avec François Bayrou, plaidant pour la "sobriété" face à un prédécesseur volontiers prolixe, ce qui lui permet de ne pas s'avancer sur le fond du compromis qu'il doit bâtir.

A son arrivée mercredi à Matignon, l'ex-ministre des Armées a posé d'emblée les bases de cette approche minimaliste.

"Je ne vais pas faire de grand discours, puisque cette instabilité et la crise politique et parlementaire que nous connaissons commandent à l'humilité, la sobriété", a-t-il dit dans un discours particulièrement bref, deux minutes à peine.

La passation de pouvoirs avait un petit parfum de vengeance devant François Bayrou, qui l'avait doublé à ce poste en décembre, en imposant sa nomination à Emmanuel Macron.

Le leader centriste de 74 ans ne s'est jamais montré tendre à l'égard de son cadet, pas encore quadragénaire, qu'il qualifie en privé de "courtisan" pour sa proximité discrète avec le chef de l'Etat.

Sa courte prise de parole rompt avec l'exercice du pouvoir de son prédécesseur, qui ne rechigne pas aux longues explications pédagogiques sur la dette ou la situation internationale, et apprécie de parler en direct avec les journalistes. Les dernières semaines de François Bayrou à Matignon ont été marquées par de nombreuses interventions dans les médias pour défendre le vote de confiance qui l'a au final fait tomber.

Le centriste dramatisait l'urgence à résorber la dette, un "piège mortel". Sébastien Lecornu assure qu'"il n'y a pas de chemin impossible".

- "Rassurer" -

Sans "nier les difficultés", il ne faut "pas jouer sur les peurs", "il faut rassurer les gens et leur donner un message d'espoir", explique son entourage, dans un contexte de rupture entre l'opinion et les politiques.

Sébastien Lecornu a pointé le "décalage" entre la vie politique et la vie "réelle" des Français, mais aussi entre la politique "intérieure" et la "géopolitique mondiale".

Homme de droite rallié au macronisme en 2017, il a incarné cette prudence et cette discrétion lors de son passage au ministère des Armées depuis 2022. Malgré la guerre qui sévit de nouveau en Europe avec le conflit ukrainien, il est resté très peu disert dans les médias, au point de demeurer un quasi inconnu pour le grand public.

Devra-t-il se faire violence dans ses nouvelles fonctions? "C'est vrai qu'il va devoir s'ouvrir plus", observe un de ses soutiens. Il ne s'exprime que lorsqu'il a "quelque chose à dire", ajoute-t-il.

Avant d'expliquer ses projets aux Français, le chef du gouvernement entend mener de larges concertations.

"Il va falloir changer" en étant "plus créatif, parfois plus technique, plus sérieux dans la manière de travailler avec nos oppositions", a-t-il aussi grincé devant François Bayrou.

Prônant "des ruptures" sur la forme comme sur le fond, il refuse de s'exprimer sur les objets ou les concessions qu'il pourrait faire afin d'aboutir à un compromis qui lui permettrait de former un gouvernement, conformément à la feuille de route d'Emmanuel Macron.

- "Sortir du bois" -

Sébastien Lecornu a réuni jeudi matin les dirigeants du "socle commun", partis du centre et de droite qui constituent sa coalition naturelle. Il s'est ensuite rendu à l'Assemblée nationale et au Sénat, pour y rencontrer les présidents des deux chambres, la macroniste Yaël Braun-Pivet et le LR Gérard Larcher.

Il a aussi été reçu dans les bureaux de Nicolas Sarkozy qui lui a "témoigné son soutien", d'après l'entourage de l'ex-chef de l'Etat.

Vendredi et lundi, il doit recevoir les partenaires sociaux (syndicats et patronat).

Le nouveau locataire de Matignon a notamment avancé l'idée devant ses interlocuteurs des Républicains "de se mettre d'accord, outre le budget, sur deux ou trois textes majeurs et forts" qui répondraient aux priorités des uns et des autres.

Ses soutiens louent ses qualités de "négociateur" comme sur la loi de programmation militaire, mais cette fois il va devoir "sortir du bois sur certains sujets". Travailler avec les socialistes "sans déplaire" à la droite, analyse un proche.

Ainsi Gérard Larcher s'est dit opposé à la mise en place d'une taxe sur les très hauts patrimoines, alors que pour la gauche c'est "la base de tout accord" de non censure, selon l'eurodéputé Raphaël Glucksmann.

Peu d'espoir également de trouver un terrain d'entente avec le RN qui entend lui demander de "rompre avec le macronisme". Ce sera "la rupture ou la censure", a prévenu Marine Le Pen jeudi soir sur TF1.

Rien à espérer non plus du côté de La France insoumise: "Nous avons proposé un programme et nous sommes élus pour l'appliquer, pas pour faire des combines et chercher des places", a tranché Jean-Luc Mélenchon sur France 2.