Syrie, dix ans après «et le monde fait comme si de rien n'était»

Cette photo prise à Kafr Ain le 7 septembre 2018 montre des membres de la défense civile syrienne, également connus sous le nom de «Casques blancs», portant une victime après des frappes aériennes, à quatre kilomètres à l'est de Khan Sheikhoun dans la campagne du sud de la province d'Idlib. Anas AL-DYAB / AFP
Cette photo prise à Kafr Ain le 7 septembre 2018 montre des membres de la défense civile syrienne, également connus sous le nom de «Casques blancs», portant une victime après des frappes aériennes, à quatre kilomètres à l'est de Khan Sheikhoun dans la campagne du sud de la province d'Idlib. Anas AL-DYAB / AFP
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Publié le Vendredi 19 mars 2021

Syrie, dix ans après «et le monde fait comme si de rien n'était»

  • C’est un peu avant sept heures du matin que Hamid Fotaini s’est réveillé au son des missiles qui tombaient sur Khan Sheikhoun, le 4 avril 2017
  • Dix ans après le début du soulèvement populaire contre Bachar al-Assad, la Syrie est un pays dévasté par la guerre et les Syriens en sont les plus grandes victimes

PARIS : C’est un peu avant sept heures du matin que Hamid Fotaini s’est réveillé au son des missiles qui tombaient sur Khan Sheikhoun, le 4 avril 2017. Volontaire chez les Casques blancs comme la plupart de ses amis, il enfile rapidement son uniforme. Lorsque le contact est établi avec le terrain, c’est un terrifiant appel au secours qui retentit. Ce n'est pas la première fois que Hamid et ses amis volent au secours des blessés, mais, ce jour-là, il est clair que quelque chose d’anormal s’est produit.

«Les hommes sur le terrain étaient inconscients et nous avions perdu le contact avec eux. Dès que nous sommes arrivés sur place, nos doutes ont été confirmés: des barils de neurotoxiques ont été lancés sur notre ville. Il y avait des centaines de personnes inconscientes et nous avons compris qu’elles avaient été asphyxiées.»

Le régime de Bachar al-Assad avait une nouvelle fois utilisé des armes chimiques contre sa population. Une arme interdite par le droit international, mais qui a été utilisée au moins trois cents fois depuis le début du conflit. «Aux côtés des morts et des blessés étaient tombés des oiseaux asphyxiés par le sarin, et quand nous nous sommes allés récupérer les corps des victimes, l’aviation du régime soutenue par les avions russes nous a bombardés à quatorze reprises au moins», continue Hamid Fotaini, aujourd’hui réfugié dans un pays européen.

Aujourd’hui, dix ans après le début du soulèvement populaire contre Bachar al-Assad, la Syrie est un pays dévasté par la guerre et les Syriens en sont les plus grandes victimes. En 2011, le pays comptait à peu près 23 millions d’habitants, mais la démographie du pays a complètement changé depuis. «On compte aujourd’hui sept millions de réfugiés, sept millions de déplacés, ce qui fait que 50% des Syriens ne vivent plus chez eux», explique Ziad Majed, politologue et spécialiste de la Syrie. Sans compter les plus de cinq cent mille morts, les cent mille disparus dans les geôles du régime, les dix mille personnes kidnappées par Daech, ni les centaines d’autres Syriens emprisonnés par les nombreux groupes d’opposition. Mais qui paie pour ces crimes? Pour l’instant, pas grand monde.

La diaspora et le recours au droit international

«Malheureusement, il n'est pas possible aujourd'hui que la Cour pénale internationale (CPI), saisisse ces affaires de crimes contre l'humanité en Syrie, car le pays n'est pas signataire du traité de Rome et ne peut donc pas être poursuivi. Pour que la CPI puisse enquêter, il faut l’aval du Conseil de sécurité, mais ce dernier reste paralysé par les veto de la Russie et de la Chine, des alliés indéfectibles de la Syrie de Bachar al-Assad», explique le politologue. La diaspora syrienne ne baisse pas les bras pour autant et elle se bat pour que l'impunité cesse.

Usant du droit international public, les Syriens d’Europe multiplient les recours, et ce travail acharné commence à payer puisqu’à Coblence, en Allemagne, une ancienne petite main du régime, Eyad al-Gharib, a récemment écopé de quatre ans et demi de prison pour complicité de crimes contre l'humanité. En Syrie, il arrêtait les gens et les emmenait dans la terrible prison de Saidnaya. Deux réfugiés syriens, dont l’un avait été torturé dans cette prison, ont pu identifier deux officiers. D’ailleurs, ce procès ne se terminera qu’au mois de septembre prochain puisque Anwar Raslan, un autre officier d’un rang supérieur, responsable quant à lui de tortures, sera jugé à son tour.

Attaques chimiques: plainte déposée en France

Au mois de mars 2021, trois organisations, dont le Syrian Center for Media and Freedom of Expression (Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression ou SCM), ont déposé une plainte en France auprès de l’OCLCH (Office central de lutte contre les crimes contre l'humanité, les génocides et les crimes de guerre) pour deux attaques chimiques perpétrées en août 2013 dans les villes de Ghouta et de Douma, qui auraient causé la mort de plus de 1 400 personnes. La plainte vise les plus hautes sphères du régime syrien. «Dans plusieurs pays européens, dont la France, l’Allemagne et des pays scandinaves, il existe ce que l’on appelle la “compétence universelle”, qui permet d'enquêter et de juger des crimes qui ont lieu n’importe où dans le monde», rappelle Ziad Majed.

«Les conditions pour porter plainte – dans le cas français par exemple – sont qu’une des victimes soit française ou que la personne accusée du crime soit sur le territoire français», continue l’universitaire, qui précise également que le SCM, une des organisations qui a porté plainte, est implanté en France depuis 2004. Le bureau du SCM à Douma a documenté et renforcé les preuves de la responsabilité du gouvernement syrien dans ces attaques. En outre, de nombreux témoignages de témoins, de victimes et d'experts qui résident en Europe et dans les pays voisins ont permis d’établir devant les instances judiciaires ce qu'ils avaient subi et vécu.

«Une action internationale a été entreprise, mais le gouvernement syrien, malgré sa responsabilité, continue d'utiliser des armes chimiques qui ciblent des civils et le bureau de SCM à Douma lors de nombreuses attaques qui sont documentées», confie Almoutassim Bel al-Kilani, responsable du programme des litiges au SCM. L’organisation indépendante compte treize enquêtes en cours en Europe, sans compter les collaborations continues avec les unités de crimes de guerre aux États-Unis et au Canada. «Nous avons pour objectif d’obtenir justice en combattant l'impunité dont jouissent les auteurs des crimes commis en Syrie contre les droits de l’homme», ajoute Al-Kilani.

Ces tentatives destinées à imposer une certaine justice à travers la compétence universelle ne remplacent pas le mécanisme de la CPI. «C'est beaucoup plus que “mieux que rien”: au moins, cela permet de véritablement menacer cette impunité qui a très longtemps protégé les criminels en Syrie. Dans toute cette région, l’impunité est notre cancer depuis des années», souligne Ziad Majed.

La région est ravagée par les guerres et les crimes contre l'humanité. Une situation qu’illustre tragiquement le territoire fragmenté de la Syrie, dont le régime, qui monopolise depuis 1970 le pouvoir politique, tue ses habitants en toute impunité depuis 2011, avec les interventions de l’Iran et de la Russie qui apportent un soutien au pouvoir syrien.

L’opposition dispose également d’alliances pour servir des causes régionales, sans oublier l'armée turque, qui a envahi le nord du pays, ni la cause kurde soutenue par les Américains. Mais il y a une constante dans ce massacre généralisé, c’est que la victime a toujours été le peuple syrien.

Hamid Foteini a souffert pendant plus d’une semaine de troubles de la vision, de difficultés respiratoires. Dans sa tête défilent les images d’un massacre qu’il n'oubliera jamais. Comme des centaines de milliers de Syriens, il a perdu des amis et des collègues. Khan Sheikhoun est aujourd’hui aux mains du régime de Bachar al-Assad et des Russes, et, comme dans des centaines d’autres villes, les habitants ont été déplacés vers Idleb – au nord-ouest de la Syrie, à la frontière avec la Turquie –, où les conditions de vie sont inhumaines.

«Je demande toujours la justice contre ceux qui ont commis ces crimes atroces, et pour ceux qui ont perdu leurs parents, leurs enfants, leur domicile, et qui vivent dans des tentes, dans l’indifférence d’un monde qui fait comme si de rien n'était», dénonce avec force Hamid Foteini.


Israël: le ministre de la Défense avertit qu'il n'y aura "pas de calme" au Liban sans sécurité pour son pays

Un an après le cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah, l'armée israélienne maintient toujours cinq positions dans le sud du Liban, avec des fortifications et des voies d'accès élargies, selon des images satellites analysées par l'AFP. (AFP)
Un an après le cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah, l'armée israélienne maintient toujours cinq positions dans le sud du Liban, avec des fortifications et des voies d'accès élargies, selon des images satellites analysées par l'AFP. (AFP)
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  • Israël avertit qu’aucun calme ne reviendra au Liban tant que sa propre sécurité ne sera pas garantie, intensifiant ses frappes malgré la trêve et affirmant vouloir désarmer le Hezbollah
  • L’Égypte tente de désamorcer les tensions, tandis que l’application du cessez-le-feu reste bloquée : l’armée libanaise dit vouloir démanteler les positions du Hezbollah, mais Israël et les États-Unis accusent Beyrouth de traîner

JERUSALEM: Le ministre de la Défense israélien a averti mercredi qu'il n'y aura "pas de calme" au Liban sans sécurité pour son pays, alors qu'Israël a intensifié ses opérations militaires au Liban ces dernières semaines, en dépit d'un accord de cessez-le-feu.

"Nous ne permettrons aucune menace contre les habitants du nord, et une pression maximale continuera à être exercée et même s'intensifiera", a déclaré Israël Katz lors d'une intervention devant le parlement israélien, avançant pour preuve "l'élimination" dimanche à Beyrouth du chef militaire du Hezbollah.

"Il n'y aura pas de calme à Beyrouth ni d'ordre et de stabilité au Liban tant que la sécurité de l'Etat d'Israël ne sera pas garantie", a ajouté M. Katz en affirmant que son pays allait désarmer le Hezbollah.

Le ministre égyptien des Affaires étrangères a déclaré mercredi que son pays oeuvrait à la désescalade des tensions entre Israël et le mouvement armé libanais soutenu par l'Iran.

"Nous craignons toute escalade et nous sommes inquiets pour la sécurité et la stabilité du Liban", a déclaré ce ministre, Badr Abdel Ati, après sa rencontre avec le président libanais Joseph Aoun à Beyrouth mercredi.

"Nous engageons des efforts considérables pour épargner au Liban tout risque, ou toute atteinte, concernant sa sécurité", a-t-il ajouté.

Israël a frappé le Liban à plusieurs reprises malgré la trêve, affirmant régulièrement cibler les membres et les infrastructures du Hezbollah pour empêcher le groupe de se réarmer, ce qu'il nie être en train de faire.

En vertu de l'accord de cessez-le-feu, l'armée libanaise doit démanteler la présence militaire du Hezbollah sur une bande d'une trentaine de kilomètres entre la frontière avec Israël et le fleuve Litani, plus au nord.

L'armée a soumis un plan au gouvernement, dans lequel elle s'engage à accomplir cette tâche titanesque, avant de procéder par étapes sur le reste du territoire libanais. Mais les Etats-Unis et Israël accusent les autorités libanaises de tarder, face à la ferme opposition du Hezbollah.

Ce dernier invoque notamment le maintien par Israël de cinq postes dans le sud du Liban, dont l'accord de cessez-le-feu stipule pourtant que l'armée israélienne doit se retirer.


Soudan: le chef de l'armée exhorte Trump à mettre fin à la guerre

Des filles soudanaises qui ont fui El-Fasher reçoivent une aide humanitaire au camp de déplacés d'Al-Afad, à Al-Dabba, dans le nord du Soudan, mardi. (AFP)
Des filles soudanaises qui ont fui El-Fasher reçoivent une aide humanitaire au camp de déplacés d'Al-Afad, à Al-Dabba, dans le nord du Soudan, mardi. (AFP)
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  • Abdel Fattah al-Burhane appelle Donald Trump à intervenir pour imposer la paix au Soudan
  • Alors que les violences s’intensifient, les initiatives internationales peinent à avancer

PORT-SOUDAN : Le chef de l’armée soudanaise, Abdel Fattah al-Burhane, en guerre depuis avril 2023 contre un groupe paramilitaire rival, a appelé mercredi le président américain Donald Trump à instaurer la paix.

« Le peuple soudanais se tourne désormais vers Washington pour la prochaine étape : s’appuyer sur l’honnêteté du président américain et travailler avec nous — ainsi qu’avec ceux dans la région qui recherchent sincèrement la paix — pour mettre fin à cette guerre », écrit le dirigeant de facto du Soudan dans une tribune publiée dans The Wall Street Journal.

Les tentatives de paix entre Burhane et son ancien adjoint, le chef des Forces de soutien rapide (FSR), Mohamed Hamdan Dagalo, ont échoué à maintes reprises au fil d’un conflit ayant fait des dizaines de milliers de morts, déplacé 12 millions de personnes et provoqué les pires crises de faim et de déplacement au monde.

Trump s’est intéressé pour la première fois à cette guerre la semaine dernière, promettant d’y mettre fin après avoir été exhorté à s’impliquer par le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane.

« Le consensus parmi les Soudanais est que M. Trump est un dirigeant qui parle directement et agit avec détermination. Beaucoup estiment qu’il a la capacité de s’opposer aux acteurs étrangers qui prolongent notre souffrance », écrit Burhane.

Les États-Unis et les Émirats arabes unis, aux côtés de l’Arabie saoudite et de l’Égypte, tentent actuellement de négocier une trêve.

Dans son texte de 1 200 mots publié mercredi, Burhane affirme qu’il s’agit de choisir « entre un État souverain qui tente de protéger ses citoyens et une milice génocidaire déterminée à détruire des communautés ».

Le gouvernement de Burhan est reconnu au niveau international, et en janvier, les États-Unis ont déterminé que la RSF avait commis un génocide dans la région occidentale du Darfour.

Mais ses propres forces ont également été accusées d’exactions depuis le début de la guerre, notamment d’avoir visé des civils et bombardé sans discrimination des zones résidentielles.

Le militaire de carrière, qui avait collaboré avec Dagalo en 2021 pour écarter les civils d’un gouvernement de transition, écrit mercredi : « J’ai longtemps reconnu que les FSR étaient une poudrière. »

Le chef des FSR, Dagalo, dont les combattants avaient été initialement recrutés par Khartoum pour mener ses guerres dans les périphéries du Soudan, était devenu le bras droit de Burhane après le soulèvement de 2018-2019.

Un long conflit de pouvoir, resté latent, a finalement explosé en guerre ouverte le 15 avril 2023.


Tunisie: l'ambassadeur UE convoqué par le président Saied pour «non respect des règles du travail diplomatique» 

Le président tunisien Kais Saied a convoqué mardi Giuseppe Perrone, ambassadeur de l'Union européenne, pour "lui exprimer une protestation ferme concernant le non-respect des règles diplomatiques", selon un bref communiqué officiel diffusé mercredi à l'aube qui ne précise pas les faits reprochés. (AFP)
Le président tunisien Kais Saied a convoqué mardi Giuseppe Perrone, ambassadeur de l'Union européenne, pour "lui exprimer une protestation ferme concernant le non-respect des règles diplomatiques", selon un bref communiqué officiel diffusé mercredi à l'aube qui ne précise pas les faits reprochés. (AFP)
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  • Le président Saied a exprimé à son interlocuteur son rejet du "recours à des pratiques en dehors des cadres officiels reconnus par les usages diplomatiques"
  • L'UGTT, ancienne co-lauréate du Prix Nobel de la Paix en 2015 pour sa contribution à la phase de démocratisation de la Tunisie, après la révolution de 2011 et la chute du président Zine El Abidine Ben Ali, revendique plus de 700.000 adhérents

TUNISIE: Le président tunisien Kais Saied a convoqué mardi Giuseppe Perrone, ambassadeur de l'Union européenne, pour "lui exprimer une protestation ferme concernant le non-respect des règles diplomatiques", selon un bref communiqué officiel diffusé mercredi à l'aube qui ne précise pas les faits reprochés.

Le président Saied a également exprimé à son interlocuteur son rejet du "recours à des pratiques en dehors des cadres officiels reconnus par les usages diplomatiques".

Lundi, M. Perrone avait reçu Noureddine Taboubi, chef du principal syndicat tunisien UGTT -- qui a récemment menacé de déclencher une grève générale pour obtenir des hausses salariales -- et avait salué "le rôle important" de l'organisation "en faveur du dialogue social et du développement économique" en Tunisie, selon un communiqué de la délégation européenne à Tunis.

L'UGTT, ancienne co-lauréate du Prix Nobel de la Paix en 2015 pour sa contribution à la phase de démocratisation de la Tunisie, après la révolution de 2011 et la chute du président Zine El Abidine Ben Ali, revendique plus de 700.000 adhérents.

Le diplomate européen avait "réaffirmé sa volonté de poursuivre le dialogue avec l'UGTT et de continuer à soutenir la Tunisie sur les plans social et économique, dans divers secteurs", selon la même source. De son côté, le secrétaire général de l'UGTT avait appelé à renforcer et développer la coopération entre la Tunisie et l'Union européenne.

La semaine passée, M. Taboubi a présidé une réunion de l'UGTT où il a apporté son soutien à différents mouvements de grève en cours dans le secteur privé pour réclamer des augmentations de salaires. Il a salué le succès d'une grève générale ayant eu lieu dans la grande ville de Sfax (centre-est) et menacé d'organiser prochainement une grande grève au niveau national.

"L'organisation se dirige vers une grève générale pour défendre les acquis matériels et sociaux des travailleurs face aux difficultés quotidiennes".

M. Taboubi a dénoncé "une baisse du pouvoir d'achat" des Tunisiens face à "des conditions de vie précaires sur le plan des transports, de la santé et de la maladie", défendant "leur droit syndical à se défendre" afin d'obtenir "un salaire décent qui leur fait défaut actuellement".

Le salaire minimum en Tunisie est d'environ 520 dinars (150 euros) pour 48 heures par semaine. Le taux d'inflation reste très élevé notamment pour les produits alimentaires. Il est récemment revenu à environ 5% après avoir atteint un pic de 10% en 2023.