L’Iran ne devrait pas se réjouir du vote du Conseil de sécurité rejetant l’embargo

L’ambassadrice américaine Kelly Craft s’adressant lors de sa première réunion au Conseil de sécurité, au siège des Nations Unies, New York, le 12 septembre 2019 (Photo, AP).
L’ambassadrice américaine Kelly Craft s’adressant lors de sa première réunion au Conseil de sécurité, au siège des Nations Unies, New York, le 12 septembre 2019 (Photo, AP).
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Publié le Vendredi 21 août 2020

L’Iran ne devrait pas se réjouir du vote du Conseil de sécurité rejetant l’embargo

L’Iran ne devrait pas se réjouir du vote du Conseil de sécurité rejetant l’embargo
  • Les États-Unis doivent utiliser tous les moyens à leur disposition afin d’éviter que l’embargo sur les armes contre l’Iran n’expire en octobre
  • La Chine et la Russie ne sont intéressées que par le pétrole et de l'argent de Téhéran pour obtenir les contrats d'armement qui ont été conclus en 2015

Les États-Unis doivent agir seuls au nom de leurs alliés et contre leurs adversaires, qui sont prêts à vendre des armes de pointe à l’Iran afin de déstabiliser davantage la région. La Russie et la Chine ont voté vendredi contre la décision des États-Unis de maintenir l’embargo sur les armes en Iran.

L’embargo sur les armes en Iran est censé expirer le 18 octobre. L’Iran sera alors capable d’acheter des armes offensives sophistiquées pour renforcer la flotte du Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) et menacer ainsi le détroit d’Ormuz, le Golfe d’Oman et le Golfe d’Aden. L’Iran pourra améliorer les capacités de ses missiles sol-sol afin de menacer les alliés régionaux des États-Unis. Il sera aussi en mesure d’envoyer des armes plus puissantes à ses alliés, déstabilisant la région qui s’étend de l’Irak au Yémen.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Qu’est-ce qui explique que nous ayons fait marche arrière après avoir pris la décision permanente et unanime d’imposer un embargo sur les armes au principal État qui répand la terreur ? 

Le pari perdu de Barack Obama

La fin de l’embargo sur les armes était une concession offerte par l’administration Obama pour permettre de conclure un accord avec l’Iran. La Russie et la Chine ont contribué à arracher cette concession des États-Unis au cours des dernières semaines des négociations sur le nucléaire iranien à Vienne en juillet 2015 (le plan d’action global commun). Lorsqu’on lui avait demandé si l’embargo sur les armes était sur la table, le chef d’État-Major des armées des États-Unis de l’époque, Martin Dempsey, avait déclaré : « Nous ne devons en aucun cas relâcher la pression sur l’Iran en ce qui concerne le trafic d’armes et la production de missiles balistiques. »

L’administration Obama a cédé quelques jours plus tard, expliquant que d’ici 2020, les réformistes et les modérés auraient utilisé la manne économique du plan d’action global commun (PAGC) pour arracher le pouvoir au régime. Ceci ne s’est pas produit. La manne de 150 milliards de dollars n’a jamais bénéficié à l’économie iranienne mais a plutôt continué à permettre de financer des activités de déstabilisation de l’Iran dans toute la région, notamment le soutien crucial à Bachar el-Assad, qui était considérablement affaibli. Quelque 600 000 morts plus tard, Assad, l’Iran et la Russie contrôlent une grande partie du pays.

Les États-Unis doivent utiliser tous les moyens à leur disposition afin d’éviter que l’embargo sur les armes contre l’Iran n’expire en octobre. Le président Donald Trump se dit prêt. La Maison Blanche insiste sur le fait qu’elle a la possibilité de réimposer à l’Iran toutes les sanctions de l’ONU en vertu du PAGC. L’administration a aussi prévenu la Russie et la Chine à plusieurs reprises qu’un vote contre une prolongation de l’embargo ne serait pas sans conséquences.

Le recours au mécanisme du snapback

Trump a annoncé samedi qu’il était prêt à agir dans les prochains jours. « Nous connaissons l’issue du vote, mais nous aurons recours au snapback. Vous verrez la semaine prochaine », a-t-il affirmé. L’ambassadrice américaine auprès des Nations Unies, Kelly Craft, a ajouté dans un communiqué que « dans les prochains jours, les Etats-Unis vont donner suite à cette promesse de ne reculer devant rien pour prolonger l'embargo sur les armes. Notre pays a le droit de réimposer des dispositions de résolutions précédentes du Conseil de sécurité. »

Bien que la Russie et la Chine aient fait gagner plus de temps au régime, cela ne signifie pas que ces pays viendront à la rescousse financière de l'Iran - ils ne sont intéressés que par le pétrole et de l'argent de Téhéran pour obtenir les contrats d'armement qui ont été conclus en 2015. Moscou et Pékin qui ont fait un mauvais investissement en misant beaucoup sur l’accord nucléaire, qui était censé ouvrir l’économie iranienne aux investissements occidentaux, essayent de le sauver. Cet accord était censé permettre à la Chine et à la Russie de profiter des nouvelles ressources de Téhéran pour lui vendre des armes offensives et défensives et profiter d’accords pétroliers et gaziers favorables. Leur vision d’un Iran puissance économique en 2020 ne s’est jamais concrétisée.

Alors même que l’ancien Secrétaire d’État John Kerry exhortait les entreprises européennes privées à se lancer en Iran, le Trésor américain freinait pour sa part et disait « pas si vite ». Les entreprises du secteur privé des deux côtés de l’Atlantique qui envisageaient de faire des affaires en Iran se sont vues rappeler que le Corps des Gardiens de la révolution islamique infiltrait tous les secteurs de l’économie iranienne, et qu’investir dans ces secteurs entraînerait des répercussions économiques.

En dépit de la pression exercée sur les entreprises du secteur privé par les gouvernements allemand, britannique et français, les PDG de ces entreprises ont pesé le pour et le contre d'aller à l’encontre des États-Unis ou d'investir dans une économie iranienne mal gérée et toxique - ils ont finalement pris la bonne décision de ne pas s’engager en Iran.

La Russie et la Chine se retrouvent désormais dans la même position : si elles contournent les sanctions américaines en vendant des armes offensives et investissent dans une économie iranienne toxique et en déclin, elles risquent de faire l’objet de sanctions ciblées et d’être bannies de l’accès au système bancaire américain.

L'accord sino-iranien en préparation, qui prévoit que Pékin investisse 400 milliards sur 25 ans en Iran dans le cadre d’une coopération stratégique, n’a aucune garantie de se réaliser. Pékin n’a en effet investi que 27 milliards de dollars au cours des 15 dernières années, selon un haut responsable du département d'État.

La Chine et la Russie exploiteront au maximum l’Iran

La Chine dominera clairement cet accord s’il était conclu. Elle s’assurera que tout accord avec un régime désespéré en Iran lui accorde le rôle du prêteur prédateur. Par ailleurs, le gouvernement chinois hésite à exposer ses entreprises au risque de sanctions américaines concernant l’Iran.

Il s’agit d’une tentative du Parti communiste chinois pour sauver un très mauvais investissement réalisé en Iran. Téhéran est plus isolée que jamais et ne devrait pas considérer le vote du vendredi du Conseil de sécurité de l’ONU comme une bonne nouvelle. Elle compte sur la Russie et la Chine, deux pays qui profiteront outrageusement des ressources iraniennes, qu’il s’agisse du pétrole ou de l’eau, et ne considéreront jamais la République islamique comme leur égal.

La Russie et la Chine ne veulent pas que le régime iranien possède une arme nucléaire. Elles obligeront l’Iran à se conformer au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, cela constitue leur ligne rouge. Ils ont adhéré au PAGC dans le seul but de piller l’économie iranienne, exploiter le pétrole de la République islamique et vendre des armes de pointe à Téhéran. Pékin et Moscou ne sont pas des partenaires du régime : ils sont comme des vautours qui essaieront d’en tirer le maximum d’avantages.

Un accord avec la Chine ne donnerait pas lieu à des opérations militaires conjointes pour aider l'Iran à représenter une menace pour le détroit d'Ormuz ou à envahir l'Irak ; et la Russie n’utilisera pas son système de défense antimissile S-400 pour protéger les armes de l’Iran ou ses milices en Syrie. L'Iran est suffisamment désespéré pour céder des droits dans le secteur de l’eau et rogner ses prix pour vendre des hydrocarbures à la Chine et à la Russie, en échange d'un veto au Conseil de sécurité de l'ONU, ou peut-être d'un accord qui n'a pas encore été conclu.

L’Iran ne peut pas survivre à quatre ans de plus à la campagne de « pression maximale » de Trump — le régime peut à peine tenir jusqu’en janvier 2021. Mais, tout comme la Russie et la Chine, l’Iran espère que Biden remportera les élections américaines, et qu’une administration Biden serait prête à revenir sur l’accord sur le nucléaire iranien et à lever toutes les sanctions sans conditions. Cependant, cela paraît peu probable. Les premiers à soutenir l’accord de l’Iran, de même que les partisans de Barack Obama, pensaient que les modérés auraient pu l’emporter sur les extrémistes en Iran. Ils savent maintenant ce que nos alliés dans la région savent depuis 40 ans : c’est le Guide suprême qui décide de tout.

La « sunset close », la clause d’extinction, qui précise que l’engagement iranien ne court que jusqu’en 2025 et la possibilité pour l’Iran de tester des missiles balistiques à longue portée étant des sujets de préoccupation pour toutes les parties, y compris nos alliés européens. Le régime islamique se trouvera obligé de faire des concessions sur ces questions et sur ses activités de déstabilisation dans la région, même dans le meilleur des cas.

 

Michael Pregent, ancien officier des renseignements, est un associé principal à l’Institut Hudson.

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com