Il est temps pour les États-Unis de se montrer fermes avec le premier ministre irakien Al-Kadhimi

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Publié le Lundi 17 août 2020

Il est temps pour les États-Unis de se montrer fermes avec le premier ministre irakien Al-Kadhimi

Il est temps pour les États-Unis de se montrer fermes avec le premier ministre irakien Al-Kadhimi
  • Al-Kadhimi est soutenu par le statut quo car il soutient le statut quo —les États-Unis doivent imposer le change
  • Les États-Unis doivent assurer à Al-Kadhimi qu’ils mettront Bagdad en situation de désavantage économique s’ils retardent tout simplement leurs actions jusqu’à janvier

Les États-Unis ne doivent pas dérouler le tapis rouge pour le Premier ministre irakien Mustafa Al-Kadhimi lors de sa visite le 20 août. Al-Kadhimi ne doit pas recevoir d’éloges pour avoir dit les bonnes choses — il doit être jugé sur ses actions et inactions jusqu’à ce jour.

Les milices irakiennes ont la primauté, les manifestants sont tués, les fonds américains sont canalisés vers l’Iran et l’État islamique se reconstitue : tout cela sous la surveillance de l’ancien directeur du service des renseignements et actuel Premier ministre par intérim d’Irak.

L’argument « donnez-lui du temps et du soutien » est populaire dans le monde académique et dans les médias depuis 2005 et désigne les responsables irakiens. Mais cet argument n’a pas été efficace, à commencer par l’ex-Premier ministre Nouri Al-Maliki, et il se répète maintenant avant la visite d’Al-Kadhimi aux États-Unis. C’est cet argument qui a conduit aux « guerres éternelles » auxquelles Républicains et Démocrates veulent mettre fin. Ce sont les cheerleaders, et non les décideurs du gouvernement américain, qui ne cessent de répéter cette vieille demande.

Qui sont les cheerleaders ? Ce sont les experts des groupes de réflexion qui exhortent les États-Unis à ne pas riposter aux milices qui attaquent les Irakiens et les Américains. Ce sont les lobbyistes qui demandent frénétiquement plus de patience et plus de soutien financier, souvent parce qu'ils profitent de la présence américaine continue en Irak.

Dire « nous avons besoin de plus de temps et plus de fonds » est la position privilégiée dans la stratégie irakienne, et elle a été un succès pendant 17 ans. Cette stratégie continue de déjouer le département d'État américain, le département de la Défense et même la Maison Blanche. C’est la chose la plus facile pour un responsable irakien de dire cela à une Américain qui est encore nouveau au portfolio de Bagdad : « Je comprends, ce que vous demandez est difficile, j’ai besoin de temps et de soutien ». Souvenez-vous, les irakiens utilisant cette stratégie sont les mêmes personnes qui occupent des postes de responsabilité depuis l’invasion de 2003. Les Américains qu’ils déjouent sont remplacés tous les six mois à deux ans — ils ont vu 17 itérations d'Américains et cette stratégie est très convenable au joueur d'échecs irakien patient.

Cette approche a mené au démantèlement par Al-Maliki des acquis des renforts de 2007 et a permis à des espaces dans des zones sunnites privées de leurs droits et dépourvues de forces de sécurité désireuses de protéger le peuple irakien de faire croître une menace existentielle dans l’État islamique.

Elle a mené à l’échec de la campagne électorale de Haider Abadi en 2018 et à la victoire des milices de Qassem Soleimani en Irak. Elle a mené à la campagne meurtrière contre des manifestants irakiens et à la condamnation d’une frappe de représailles américaine contre les Kataeb Hezbollah après le meurtre de Nawres Hamad, traducteur irako-américain, par une attaque au missile et à la roquette.

 Cet argument a également mené à l’entrée des milices dans la Zone Verte et à l’attaque de l’Ambassade américaine, à la mort de Soleimani, et à la fin du règne du Premier ministre irakien de facto Abu Mahdi Al-Muhandis. C’est le nouveau chef des Kataeb Hezbollah, Abu Fadak, qui a pris la relève. Ce dernier a plus de pouvoir que le Premier ministre et c’est pour cette raison que les États-Unis doivent insister qu’Al-Kadhimi affronte les milices iraniennes.

Les observateurs de l’Irak qui affirment qu’Al-Kadhimi ne peut rien faire sans le soutien des États-Unis n’ont pas compris que le Premier ministre ne veut pas affronter ces milices. Bien sûr, il a ordonné quelques raids et a relâché ceux qui étaient enlevés dans les 24 à 72 heures, mais Al-Kadhimi veut que les États-Unis ignorent les milices et continuent de financer un Bagdad corrompu. Al-Kadhimi est soutenu par le statut quo car il soutient le statut quo —les États-Unis doivent imposer le changement.

Le but de la visit d’Al-Kadhimi est de demander aux États-Unis plus de patience et d’aides financières. Il doit faire en sorte que l’Irak bénéficie des aides pour le bien de l’Iran. Si l’’economie de l’Irak devient toxique, Téhéran ne pourra plus profiter de la bouée de sauvetage la plus avantageuse dont elle dispose actuellement.

Al-Kadhimi, le Conseil des représentants et les lobbyistes et experts qui portent le chapeau des groupes de réflexion pour exhorter les décideurs américains à rester en Irak attendent le résultat des élections de novembre — ils veulent que Joe Biden gagne. Pour l’Iran et son gouvernement en Irak, une victoire de Biden profiterait à la République islamique et aux violents partisans de Velayat-e Faqih qui font partie des partis politiques et des milices du régime dans toute la région.

Si Donald Trump l’emporte, l’Iran et l’Irak devront tous deux faire des concessions. Si Biden gagne, ils seront soulagés, mais ils devront encore attendre la fin du mandat de Trump le 20 janvier. Trump continuera de sanctionner l’Iran et cherchera à faire de même avec les individus et entités irakiens jusqu'au jour où il quittera ses fonctions pour tenter de rendre la tâche plus difficile pour un nouveau président Biden de démêler son régime de sanctions. Et, si le camp de Biden est intelligent, les sanctions de Trump consolideront en fait sa position de négociation avec l'Iran et le gouvernement irakien.

Le succès pour Bagdad et le succès pour l’Irak sont deux choses très différentes. Les irakiens veulent que les États-Unis utilisent leurs moyens économiques et militaires pour lutter contre l’emprise de l’Iran sur Bagdad. Afin de sauver l’Irak, les États-Unis doivent défavoriser Bagdad. C’est pour cette raison que la Maison Blanche doit menacer d’imposer des sanctions et de désigner des chefs de milices irakiens, des dirigeants politiques et des membres des forces de sécurité irakiennes, sauf si les objectifs sont atteints avant les élections américaines du 3 novembre. Ceci est exactement ce que les Irakiens demandent aux États-Unis : Arrêtez de faciliter la prise de contrôle de l’Irak par l’Iran, affrontez les milices et soutenez les irakiens plutôt que Bagdad.

Ces demandes doivent inclure : la détention ou le retrait de la citoyenneté d'Abu Fadak, de Qais Khazali, d’Akram Al-Kaabi et de Shibl Al-Zaydi ; la désignation et l’inculpation de tous les responsables gouvernementaux impliqués dans le meurtre de manifestants ; l’arrêt du financement d’Al-Hashd Al-Chaabi, sa démobilisation et son désarmement ; et le lancement d’une campagne de recrutement pour encourager 30 000 sunnites à occuper des postes dans l'armée irakienne et dans la police nationale.

Le gouvernement libanais a annoncé sa démission cette semaine à la suite de la pression exercée par le peuple et par la communauté internationale. Ceci prouve à quel point l’attention médiatique internationale peut conduire au changement. Les États-Unis sont en mesure de mettre en lumière la corruption de Bagdad. Nous devrons observer le Liban de près car il existe beaucoup de parallèles avec l’Irak.

Les États-Unis doivent assurer à Al-Kadhimi qu’ils mettront Bagdad en situation de désavantage économique s’ils retardent tout simplement leurs actions jusqu’à janvier. Washington peut mettre en place des mécanismes de contournement Bagdad/Téhéran afin d’investir dans des régions sunnites, kurdes et chiites. Ces zones de sécurité économique peuvent être utilisées pour fournir des aides humanitaires, des fonds et des investissements aux irakiens sans alourdir les poches des politiciens corrompus. Cette stratégie est déjà implémentée au Liban. En effet, des systèmes sont mis en place pour acheminer des fonds et des aides humanitaires aux régions qui en ont le plus besoin en contournant le gouvernement corrompu et une milice puissante liée à Téhéran — le Hezbollah.

Les généraux américains et les représentants du gouvernement savent qu'ils se sont trompés sur Al-Maliki en 2010, sur Hadi Al-Amiri en 2003, sur Abadi et Adel Abdul Madhi et sur Faleh Al-Fayadh, et qu'ils ont eu tort d'ignorer les milices soutenues par l’Iran en Irak pendant la campagne de l’État islamique. Et maintenant, ils hésitent à admettre qu'ils avaient tort de penser qu'un ancien directeur du service des renseignements désireux d’affronter l’État islamique affronterait également les milices en tant que Premier ministre.

Michael Pregent, ancien officier des renseignements, est un associé principal à l’Institut Hudson.

TWITTER: @mppregent 

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com