Riad Salamé persiste et signe : Au Liban, l’argent des déposants n'a pas disparu

Riad Salamé est sous le feu des critiques. On l’accuse notamment d’avoir fait vivre les Libanais dans une « bulle artificielle » et d’avoir fait mauvais usage de leur argent à travers des financements accordés à l’État, (mal) géré par une classe politique corrompue jusqu’à la moelle. (Photo AFP).
Riad Salamé est sous le feu des critiques. On l’accuse notamment d’avoir fait vivre les Libanais dans une « bulle artificielle » et d’avoir fait mauvais usage de leur argent à travers des financements accordés à l’État, (mal) géré par une classe politique corrompue jusqu’à la moelle. (Photo AFP).
Short Url
Publié le Lundi 24 août 2020

Riad Salamé persiste et signe : Au Liban, l’argent des déposants n'a pas disparu

  • Il y a quelques jours, une source officielle révélait à l’agence Reuters que la Banque du Liban ne pouvait assurer les subventions sur le carburant, les médicaments et le blé que pour trois mois. Une information confirmée par M. Salamé
  • "Nous allons bientôt faire un circulaire pour responsabiliser ces déposants et les inciter à ramener une liquidité importante au pays sans leur confisquer leur argent pour autant. Aujourd’hui, c’est une question éthique, et non pas légale"

PARIS: Riad Salamé a longtemps été perçu comme l’homme fort du Liban, le gardien, en quelque sorte, d’un modèle économique qui faisait des jaloux partout dans la région. Habile financier primé par les plus grandes institutions financières, garant de la stabilité de la livre libanaise depuis près de trente ans, le banquier a vu sa vie basculer avec le début de la révolte populaire en octobre 2019, et l’effondrement économique dans lequel s’est enlisé le Pays du Cèdre.

Depuis, Riad Salamé est sous le feu des critiques. On l’accuse notamment d’avoir fait vivre les Libanais dans une « bulle artificielle » et d’avoir fait mauvais usage de leur argent à travers des financements accordés à l’État, (mal) géré par une classe politique corrompue jusqu’à la moelle.    

Dans une interview exclusive accordée à Arab News en français, Riad Salamé, gouverneur de la Banque du Liban (BDL), se défend de ces accusations, qu’il estime « injustes ». Il affirme notamment être en faveur de l’audit de la BDL par des experts de la Banque de France, une proposition du président français, Emmanuel Macron, en visite au Liban après l’explosion au port de Beyrouth, le 4 août dernier, afin de faire avancer les négociations avec le Fonds monétaire international (FMI).

« Un audit de la banque du Liban a été mené par deux firmes internationales, et cela depuis 1993, rappelle toutefois Riad Salamé. Les derniers rapports de cet audit ont été envoyés au FMI au début des négociations. Il faut donc savoir que cet audit international existe, pour dissiper tout doute sur la manière dont est gérée la Banque du Liban. Quant à la proposition que la Banque de France fasse un audit de la BDL, nous l’accueillons favorablement. La décision relève de la Banque de France, mais nous sommes prêts à accueillir ces experts quand ils le souhaitent. »

Il faut donc savoir que cet audit international existe, pour dissiper tout doute sur la manière dont est gérée la Banque du Liban. Quant à la proposition que la Banque de France fasse un audit de la BDL, nous l’accueillons favorablement. La décision relève de la Banque de France, mais nous sommes prêts à accueillir ces experts quand ils le souhaitent

Riad Salamé

Le 30 avril 2020, le gouvernement a annoncé un plan de relance et demandé une aide du Fonds monétaire international, duquel Beyrouth espère obtenir une aide d’environ 10 milliards de dollars. Le Liban a initié les négociations avec le fonds, mais près de trois mois plus tard, le processus est au point mort.

S’il admet que le Liban doit négocier avec le FMI, le gouverneur de la BDL souligne être en faveur d’« une implication du FMI au Liban, même si certains ont prétendu le contraire ». Pendant les négociations cependant, une commission parlementaire et le gouvernement ont divergé sur l'estimation des déficits publiques, de ceux de la Banque centrale et de ceux des banques : de 60 000 à 241 000 milliards de livres libanaises (soit des dizaines de milliards de dollars). Le FMI a alors réclamé une seule évaluation.

salame
Avec le président de la République Michel Aoun le 23 avril 2020. (Photo AFP).

« L’approche que nous avons adoptée diffère de celle du plan gouvernemental, explique Salamé. Les différences proviennent essentiellement du fait que, dans notre approche, nous n’avons pas considéré qu’il fallait avoir des réductions sur les montants de la dette qui est en livres libanaises. Nous n’avons pas non plus pris en considération des différences sur le cours de change. En effet, la moitié des pertes imputées à la Banque centrale dans le plan gouvernemental proviennent du fait que le cabinet y fait varier le prix du dollar de 1 500 livres pour un dollar à 3 500. C’est cette perte-là que nous n’avons pas prise en compte. Les différences sont donc plutôt dues aux hypothèses de départ, sans compter des différences au sujet des dettes non performantes. »

« Notre objectif a été de réduire les pertes tout en restant transparents, mais il s’agissait surtout de réduire les contraintes que les Libanais doivent endurer à cause des réformes dues à la crise actuelle », affirme-t-il encore.

À la question de savoir pourquoi le FMI n’a pas accepté les chiffres de la BDL, Salamé justifie : « Le fonds a ses propres principes et concepts. […] Il nous les a exposés. Mais c’est aux Libanais de négocier maintenant, parce que l’objectif est réellement de pouvoir trouver une issue à la crise qui, pour le Liban, relève essentiellement d’un appui international. Et ce dernier n’aura pas lieu sans l’appui du Fonds monétaire ou sans accord politique. »

Des réformes qui tardent

Au fond du gouffre économique, le pays connaît depuis plusieurs mois une dépréciation inédite de sa monnaie, une flambée des prix, des licenciements à grande échelle et des restrictions bancaires draconiennes sur les retraits et les virements à l'étranger.

Accusé d’avoir « prêté » l’argent des déposants dans les banques à l’État, jugé incompétent et corrompu, Salamé se défend et affirme que la banque centrale « n’a pas pris l’argent des déposants. […] La BDL a essentiellement fait des prêts en livres libanaises, qui est une devise que la Banque centrale émet elle-même. Cela doit être clair. »

« Responsabiliser la Banque centrale comme un conduit entre les déposants, les banques et l’État ne relève pas de la réalité. Nous sommes capables d’imprimer des billets en livres libanaises, donc nul besoin d’utiliser l’argent des banques. Pour rappel, la plus grosse part de la dette que nous avons envers l’État est en livres libanaises. Vous me demanderez où sont donc parties les réserves du pays en devises étrangères… Sur les cinq dernières années, la balance courante a accusé un déficit cumulé de 56 milliards de dollars et le déficit budgétaire était de 25 milliards de dollars. Ce montant total de 81 milliards de dollars est le trou financier du Liban. Il n’est pas du tout lié à la Banque centrale, mais provient des chiffres de l’importation et du déficit du gouvernement », poursuit Salamé.

« Notre objectif a été de réduire les pertes tout en restant transparents, mais il s’agissait surtout de réduire les contraintes que les Libanais doivent endurer à cause des réformes dues à la crise actuelle »

Riad Salamé

Le gouverneur n’aurait-il pas dû alerter le gouvernement sur le danger du déficit, puisqu’il tenait les manettes financières du pays, alors qu’il avait rassuré les Libanais de nombreuses fois, répétant qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter ? « À la banque centrale, tout était dans l’ordre, assure le gouverneur. Personnellement, je n’ai pas cessé de réclamer des réformes et une réduction des déficits à chacune de mes interventions – certaines avec vous d’ailleurs. Je déclarais que nous étions dans une situation où nous contrôlions la situation monétaire, mais je n’ai jamais rassuré sur l’état des finances publiques. J’ai répété et insisté sur le qu’il fallait adresser des réformes pour préserver la stabilité monétaire. Aux conférences de Paris 1, 2 et 3, ainsi qu’à la conférence Cedre, j’ai exigé qu’il y ait des réformes. »

salame
Au fond du gouffre économique, le Liban connaît depuis plusieurs mois une dépréciation inédite de sa monnaie, une flambée des prix, des licenciements à grande échelle et des restrictions bancaires draconiennes. (Photo AFP).

Si le gouvernement libanais a adopté, fin avril, son plan de sauvetage économique pour relancer la croissance et assainir les finances publiques, les réformes, notamment dans le domaine de l'électricité, peinent à se concrétiser.

Sur ce plan, Riad Salamé tient à rappeler que la Banque centrale a prêté de l’argent à l’État « par obligation légale ». « Ce n’est pas comme si nous sommes allés chercher des placements avec l’État libanais, explique-t-il. En effet, l’article 91 du Code de la monnaie et du crédit oblige la Banque centrale à financer le gouvernement quand il le demande. Dans les budgets votés par les parlements en 2018, également, il nous a été demandé de prêter 6 milliards de dollars en livres libanaises, à un taux d’intérêt inférieur de 1 % aux taux d’intérêt pratiqués. En 2019, une autre loi a été promulguée pour que la BDL prête 3,5 milliards de dollars, en livres libanaises également et à 1% de taux d’intérêt. Quant au budget de 2020, une loi nous a demandé de rembourser les intérêts que nous percevons sur le portefeuille que nous avons avec l’État, et de rembourser aussi un trillion de livres libanaises. En d’autres termes, 3 milliards de dollars. Ce n’est pas réellement juste de dire que la Banque centrale et son gouverneur ont peint la vie en rose pour les Libanais. Je me demande s’il n’y a pas de mauvaises intentions derrière cette image qu’on essaie de nous coller… »

S’il accuse les gens au pouvoir d’avoir ces mauvaises intentions envers lui, Riad Salamé estime que c’est peut-être dû « à la politique locale ou pour des raisons idéologiques, ou par opportunisme », mais il révèle que « falsifier les réalités au cours des mois derniers » l’a vraiment « surpris ».

Concernant les reproches qu’on lui a adressés sur le fait d’avoir basé sa stratégie financière sur une gigantesque « pyramide de Ponzi » avec des ingénieries financières et des emprunts qui ont coûté cher au Liban, Salamé répond : « Quand vous regardez les transactions effectuées entre les banques et la Banque centrale, et les chiffres entre 2017 et juin 2020, vous constatez que la Banque centrale a émis des liquidités en devises au marché, aux banques et a également collecté des devises des banques. Vous serez surpris de constater que nous avons injecté des devises bien plus qu’on en a retiré : 11,5 milliards. »

"Je me demande s’il n’y a pas de mauvaises intentions derrière cette image qu’on essaie de nous coller… "

Riad Salamé

« L’argent des déposants est bien là »

Comment explique-t-il donc le fait que les banques n’ont plus d’argent ? « Cet argent est parti dans le déficit des balances commerciales. Ponzi ne serait pas fier de nous car, en principe, c’est la Banque centrale qui aurait dû en profiter s’il y avait vraiment un schéma de Ponzi », explique Salamé.

Et d’ajouter : « Il y a eu des chocs consécutifs qui ont mis sur les banques une pression qui a créé une panique chez les déposants, notamment la fermeture des banques en octobre pour un mois durant le début des manifestations. Cela a transformé l’économie libanaise en « cash economy ». Les gens ont perdu confiance dans le système. Puis la déclaration par le gouvernement que le pays n'était pas capable de rembourser les échéances de sa dette souveraine sur les eurobonds. J’étais personnellement contre et je l’ai exprimé officiellement ».

Le 7 mars, le Liban, qui croule sous une dette de 92 milliards de dollars (170% du PIB), a fait défaut sur une première tranche de sa dette, d'un montant de 1,2 milliard de dollars. Le 23 mars, il a annoncé qu'il ne paiera pas l'ensemble de ses bons du Trésor émis en dollars.

bdl
Le portail de la Banque du Liban est desormais ceint de fils barbelés pour empêcher les manifestants de le prendre d’assaut. (Photo AFP).

« Cela a malheureusement empêché le Liban d’avoir accès aux marchés internationaux et aux crédits bancaires internationaux, ce qui nous a handicapés, explique Salamé. Puis sont venus les effets de la Covid-19 et l’explosion du port. Dans tout cela, le système tient bon quand même. L’argent des déposants est bien là. Ils le retirent progressivement, investissent dans l’immobilier, et obtiennent des prêts. Il n’est pas vrai que l’argent a disparu. Le seul handicap concerne les transferts internationaux, et ceux-là se règleront une fois que les réformes seront faites et que la confiance sera rétablie. Et nous avons discuté de la finalité du plan du gouvernement. Nous sommes opposés au haircut (ponctions sur les dépôts) pour les déposants. Notre intention est que le déposant récupère son argent. Cela peut prendre du temps, mais il le récupèrera. Déjà, de nombreux déposants ont investi dans l’immobilier pour conserver la valeur de leurs dépôts. »

haircut
"Nous ne paierons pas le prix" peut-on lire derrière ce coiffeur qui manifeste devant la Banque du Liban le 27 novembre 2019. (Photo AFP).
 

Toutefois, de nombreux Libanais se plaignent du fait que le haircut est appliqué de facto, puisque les déposants en dollars ne peuvent retirer qu’une somme limitée de leur argent et en livres libanaises, au taux de 3 800 livres pour un dollar, alors que le taux au marché noir oscille actuellement autour de 8 000 livres pour un dollar.

« C’est le marché qui décide cela, ainsi que le client, selon le gouverneur. Il n’y pas une loi qui soustrait l’argent des gens, et la différence est cruciale. Aujourd’hui, il est certain qu’il existe différents prix pour le dollar, mais le prix officiel ainsi que celui pratiqué pour les importations et celui du marché noir varient du fait qu’on est devenu une cash economy. Avec tous ces événements, il y a une pression certaine. L’explosion du 4 août a détruit de nombreuses maisons et les gens ont besoin de liquidités. D’autant que les commerçants n’acceptent que de l’argent liquide. Mais il n’y a pas de loi qui stipule cela. Ce que le marché décide est différent de ce que fait le législateur. »

Le 7 mars, le Liban, qui croule sous une dette de 92 milliards de dollars (170% du PIB), a fait défaut sur une première tranche de sa dette, d'un montant de 1,2 milliard de dollars. Le 23 mars, il a annoncé qu'il ne paiera pas l'ensemble de ses bons du Trésor émis en dollars.

Et de poursuivre : « Aujourd’hui, le cabinet pense créer un fonds pour y regrouper de l’immobilier et donner des certificats de devises à la Banque centrale émanant de ce fonds, ce qui pourra diminuer les pertes sans augmenter les dettes, et peut-être créer la symétrie nécessaire pour exécuter le plan. L’idée est encore récente, le ministre des Finances vient de l’exposer. »

Vers la fin des subventions ?

Il y a quelques jours, une source officielle à la Banque du Liban révélait à l’agence Reuters que la Banque du Liban ne pouvait assurer les subventions sur le carburant, les médicaments et le blé que pour trois mois, une déclaration que le gouverneur confirme.

« La BDL fait de son mieux, mais elle ne peut pas utiliser les réserves obligatoires des banques pour financer le commerce, affirme-t-il. Une fois que nous atteignons le seuil de ces réserves, nous sommes obligés de ne plus financer. Mais nous sommes en passe de créer d’autres moyens de financement, que ce soit à travers les banques ou à travers un fonds que nous avons mis en place à l’étranger, baptisé “Oxygen”. Mais la BDL n’est pas l’État, qui doit agirOn ne peut pas tout mettre sur le dos de la Banque centrale et lui reprocher ce qu’elle fait après coup. Nous avons exposé la situation bien à l’avance. Que les responsables prennent les mesures nécessaires. »

Interrogé sur les montants colossaux sortis du Liban par les banquiers et les politiques avant le 17 octobre et sur l’éventuelle possibilité de retracer leur cours, le gouverneur de la BDL assure : «Nous allons bientôt faire un circulaire pour responsabiliser ces déposants et les inciter à ramener une liquidité importante au pays sans leur confisquer leur argent pour autant. Aujourd’hui, c’est une question éthique, et non pas légale, car c’est un système qui a profité à tout le monde. Dans la triste situation où nous nous nous trouvons, la BDL se doit de responsabiliser ces déposants qui, en refinançant le pays à travers des dépôts externes, peuvent recréer de la liquidité au secteur bancaire. »

Nous allons bientôt faire un circulaire pour responsabiliser ces déposants et les inciter à ramener une liquidité importante au pays sans leur confisquer leur argent pour autant. Aujourd’hui, c’est une question éthique, et non pas légale, car c’est un système qui a profité à tout le monde.

Riad Salamé

Accusé enfin par certains d’avoir profité du système pour son enrichissement personnel, Salamé répond qu’il gagnait bien sa vie avant de devenir gouverneur de la BDL, avec un salaire de 165 000 dollars par mois à la banque Merrill Lynch. « J’ai montré tous les documents à la télévision. Je suis arrivé à la BDL avec une fortune de 23 millions de dollars, qui a été investie et a donné des résultats. On m’accuse d’avoir siphonné des milliards sans chercher à connaître les dettes en face. Ma réponse est claire : puisque je peux démontrer la source de ma fortune, c’est suffisant pour prouver que je n’abuse pas de mon poste. J’ai d’ailleurs intenté un procès contre ceux qui me diffament. »

La sortie de crise est-elle pour bientôt ? « Elle est d’abord politique, selon Riad Salamé. Ce sont surtout les tensions régionales qui ont pris le dessus au Liban et il faut un soutien international pour créer une liquidité dans le pays. Je ne doute pas que les Libanais pourront se débrouiller après. »


Le chef de l'ONU, António Guterres, qualifie la situation à Gaza de «moralement, politiquement et juridiquement intolérable»

Des Palestiniens marchent dans la poussière quelques instants après une frappe militaire israélienne qui a détruit un bâtiment dans la ville de Gaza. (AP)
Des Palestiniens marchent dans la poussière quelques instants après une frappe militaire israélienne qui a détruit un bâtiment dans la ville de Gaza. (AP)
Short Url
  • Le rapport d'une commission de l'ONU a conclu qu'Israël a commis quatre actes génocidaires à Gaza en vertu de la Convention sur le génocide de 1948
  • Israël a rejeté le rapport en le qualifiant de "déformé et faux", tandis que les Palestiniens l'ont salué comme une preuve de destruction systématique et d'intention génocidaire

NEW YORK/LONDRES : Le secrétaire général de l'ONU a condamné mardi la "destruction systématique" de la ville de Gaza, mais a insisté sur le fait qu'il appartenait aux tribunaux internationaux de déterminer si Israël commettait un génocide.

Répondant à des questions au siège de l'ONU, Antonio Guterres a déclaré qu'il n'était pas de son ressort de faire une détermination juridique de génocide après qu'une équipe d'experts mandatés par le Conseil des droits de l'homme de l'ONU ait conclu qu'Israël le faisait précisément à Gaza.

Les agences de l'ONU, les organismes internationaux et les gouvernements sont soumis à une pression croissante pour affirmer que la conduite d'Israël dans le territoire palestinien depuis le début de ses opérations militaires en octobre 2023 équivaut à un génocide.

Interrogé sur le fait de savoir s'il pensait qu'Israël commettait un génocide à Gaza, Antonio Guterres a répondu : "Comme je l'ai dit à maintes reprises, dans ces circonstances et dans d'autres circonstances similaires, il n'appartient pas au Secrétaire général de procéder à la détermination juridique d'un génocide.

"Cela appartient aux entités judiciaires adéquates, à savoir la Cour internationale de justice.

M. Guterres a néanmoins déclaré que ce qui se passe à Gaza est "horrible".

"Nous assistons à des destructions massives de quartiers, à la destruction systématique de la ville de Gaza, à des massacres de civils comme je n'en ai jamais vu dans aucun conflit depuis que je suis secrétaire général", a-t-il déclaré.

"Avec pour conséquence que le peuple palestinien souffre d'une situation horrible, de famine, sans accès à aucune forme de soutien, avec des déplacements continus et un risque imminent de perdre la vie à tout moment".

Il a ajouté : "La vérité, c'est que cette situation est moralement, politiquement et juridiquement intolérable".

Les commentaires de M. Guterres ont été faits en réponse à un rapport accablant de 72 pages publié mardi par la Commission d'enquête sur le territoire palestinien occupé et Israël.

Ce rapport indique non seulement qu'Israël a commis et continue de commettre, depuis octobre 2023, des actes de génocide à l'encontre des Palestiniens de Gaza, mais aussi que l'incitation à ces actes provient des plus hautes personnalités politiques et militaires de l'État israélien.


La CPI a délivré des mandats d'arrêt à l'encontre de Benjamin Netanyahu et Yoav Gallant pour le crime de guerre de famine et les crimes contre l'humanité de meurtre, de persécution et "d'autres actes inhumains". (AFP)
La CPI a délivré des mandats d'arrêt à l'encontre du Premier ministre Benjamin Netanyahu, du président Isaac Herzog et de l'ancien ministre de la défense Yoav Gallant.

"Le génocide en cours à Gaza est un scandale moral et une urgence juridique", a déclaré Navi Pillay, chef de la commission d'enquête composée de trois membres et ancienne juge de la Cour pénale internationale, lors d'une conférence de presse à Genève.

"La responsabilité de ces crimes atroces incombe aux autorités israéliennes au plus haut niveau, qui ont orchestré une campagne génocidaire depuis près de deux ans dans le but précis de détruire le groupe palestinien à Gaza.

Le rapport se fonde sur une étude méticuleuse des faits et des conclusions juridiques concernant les attaques menées à Gaza par les forces israéliennes et le comportement des autorités israéliennes.

Le groupe d'experts a conclu qu'Israël avait commis quatre des cinq actes génocidaires définis par un traité international de 1948 connu sous le nom de "Convention sur le génocide".

Ces quatre actes sont les suivants Tuer, causer des dommages corporels ou mentaux graves, infliger délibérément des conditions de vie calculées pour entraîner la destruction totale ou partielle des Palestiniens, et imposer des mesures visant à empêcher les naissances.

Le moment choisi pour la publication du rapport n'aurait pu être plus pertinent, puisqu'il intervient peu après l'annonce par Israël d'une attaque terrestre de grande envergure contre la ville de Gaza, le plus grand centre urbain du territoire.

Si les conclusions du rapport ne surprennent pas grand monde, leur importance pourrait avoir des répercussions à l'échelle mondiale.

La commission elle-même n'est pas un organe juridique, mais le rapport pourrait être intégré dans des affaires par les procureurs de la CIJ et de la CPI.


La CIJ examine une affaire portée par l'Afrique du Sud qui accuse les forces israéliennes d'avoir commis un génocide contre les Palestiniens de Gaza.

La CPI a délivré des mandats d'arrêt à l'encontre de M. Netanyahu et de M. Gallant pour le crime de guerre de famine et les crimes contre l'humanité de meurtre, de persécution et "d'autres actes inhumains".

Le rapport a été immédiatement attaqué par Israël, mais il a été largement salué par les Palestiniens et leurs partisans.

Le ministère des affaires étrangères de l'Autorité palestinienne, qui gouverne la Cisjordanie occupée, a déclaré que le rapport avait "prouvé sans équivoque" qu'Israël avait commis le crime de génocide à Gaza "par une politique délibérée et généralisée visant à la destruction systématique du peuple palestinien".

Le ministère a appelé la communauté internationale à prendre des mesures pour protéger le peuple palestinien et à "cesser toute forme de soutien militaire et politique à Israël".

Le rapport ne représente pas la position officielle des Nations unies sur la question de savoir si des actes de génocide ont été perpétrés à Gaza, mais il augmentera la pression sur les agences des Nations unies et les gouvernements pour qu'ils utilisent ce terme.


Volker Turk, haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, a également déclaré qu'il appartenait aux tribunaux de décider "s'il s'agit ou non d'un génocide", mais que les preuves s'accumulaient.

"Nous voyons s'accumuler crime de guerre sur crime de guerre ou crime contre l'humanité, et potentiellement plus encore", a-t-il déclaré.

Au Royaume-Uni, où le gouvernement est soumis à des pressions croissantes pour adopter une position plus dure à l'égard d'Israël, un porte-parole du ministère des affaires étrangères a déclaré à Arab News que toute décision formelle quant à l'existence d'un génocide "devrait être prise à la suite d'un jugement rendu par un tribunal national ou international compétent".

"Ce qui se passe à Gaza est épouvantable et nous continuons à appeler Israël à changer de cap immédiatement en arrêtant son offensive terrestre et en laissant entrer sans délai un afflux d'aide humanitaire", a déclaré le porte-parole.

Dans une lettre envoyée au début du mois, l'ancien ministre des affaires étrangères David Lammy a écrit que le gouvernement "n'avait pas conclu qu'Israël agissait avec une intention génocidaire".

Dans une déclaration commune, des organisations de la société civile, dont le British Palestinian Committee et Palestine Solidarity Campaign, ont déclaré que les conclusions de la commission d'enquête confirmaient que M. Lammy avait non seulement "tort", mais qu'elles montraient l'ampleur de la complicité du Royaume-Uni dans les crimes d'Israël.


"Ce gouvernement a joué un jeu linguistique et juridique avec les députés, le public britannique et la vie des Palestiniens", indique le communiqué. "Plutôt que de faire tout ce qui est en son pouvoir pour protéger un peuple occupé, le gouvernement britannique a choisi de soutenir un État qui commet des crimes de guerre.

La parlementaire de gauche Zarah Sultana a déclaré que le rapport confirmait ce qui était déjà clair : Israël commet un génocide à Gaza.

"Il s'agit du génocide le plus documenté de l'histoire", a-t-elle écrit sur X. "La position du gouvernement était déjà moralement indéfendable. Elle est maintenant politiquement indéfendable".

Nimer Sultany, expert en droit international à la School of Oriental and African Studies, a déclaré que le rapport était un clou dans le cercueil du "déni de génocide" qui a empêché les gouvernements d'agir contre Israël.

Il a déclaré à Channel 4 News que le rapport était une "mise en accusation accablante de la politique du gouvernement britannique, de la Commission européenne, des États européens, qui n'ont pas agi, qui ont continué à protéger Israël de toute responsabilité".

Le ministère israélien des affaires étrangères a déclaré qu'il rejetait "catégoriquement" le rapport, le qualifiant de "déformé et faux".


Des Palestiniens fouillent les décombres de la tour Al-Ghafari après sa destruction par des frappes aériennes israéliennes dans la ville de Gaza. (AFP)
Ce rapport fait suite à une résolution adoptée au début du mois par l'Association internationale des spécialistes du génocide, selon laquelle la conduite d'Israël répond à la définition juridique du génocide énoncée dans la convention des Nations unies de 1948.

La semaine dernière, Israël a dû faire face à une pression internationale supplémentaire lorsque l'Assemblée générale des Nations unies a voté à une écrasante majorité en faveur de la relance de la solution à deux États entre Israël et la Palestine, sans impliquer le Hamas.

La "déclaration de New York" a été présentée conjointement par l'Arabie saoudite et la France, les deux pays devant accueillir une conférence internationale sur la solution des deux États au siège des Nations unies le 22 septembre.

La présidence française a déclaré mardi que cet événement était "la seule solution viable et la seule option sur la table pour sortir de cette terrible crise".

La "vaste mobilisation" de l'Arabie saoudite et de la France en faveur de la solution des deux États dans le conflit israélo-palestinien vise à convaincre les États-Unis qu'il y a une "urgence absolue" à mettre fin à la guerre à Gaza, a déclaré mardi la présidence française.

L'idée de cette conférence "est née de la visite d'Etat que le président (Emmanuel) Macron a effectuée en Arabie saoudite" l'année dernière, a déclaré l'Elysée lors d'une réunion d'information de haut niveau à laquelle Arab News a assisté.

"Nous avons réfléchi avec l'Arabie saoudite à l'initiative que nous pourrions prendre ensemble pour obtenir un cessez-le-feu à Gaza, la fin de la guerre et une solution politique à la crise qui conduirait enfin à la création de deux Etats et apporterait la paix et la sécurité à tous les peuples de la région".


Une décision a été prise par le prince héritier Mohammed bin Salman et Macron en décembre dernier pour organiser et élever la conférence proposée en tant que mécanisme de mise en œuvre de la solution à deux États.

L'Assemblée générale des Nations unies a ensuite voté pour donner un mandat à l'Arabie saoudite et à la France pour accueillir la conférence, qui a tenu sa première étape à l'ONU en juillet.

Cet événement a débouché sur la déclaration de New York, saluée par l'ambassadeur de France aux Nations unies, Jérôme Bonnafont, comme une "feuille de route unique pour parvenir à la solution des deux États".

Bien que la déclaration de New York condamne le Hamas et cherche à assurer son isolement international, l'ambassadeur israélien à l'ONU Danny Danon a accusé la semaine dernière la majorité des membres de l'AGNU de "faire avancer la terreur".

Le diplomate américain Morgan Ortagus a déclaré que la résolution était un "cadeau au Hamas", ajoutant : "Loin de promouvoir la paix, la conférence n'a rien fait d'autre que d'encourager le Hamas : "Loin de promouvoir la paix, la conférence a déjà prolongé la guerre, enhardi le Hamas et nui aux perspectives de paix à court et à long terme.

La présidence française a réfuté ces accusations mardi, avertissant que la "catastrophe humanitaire atroce" et le "bilan humain insupportable" à Gaza ne pouvaient être résolus que "sur la base d'un horizon politique pour la solution des deux États".

La déclaration de New York définit "à la fois un calendrier et une étape irréversible vers la solution des deux Etats qui commencerait par un cessez-le-feu, la libération des otages et une aide humanitaire offerte sans contrainte à la population palestinienne de Gaza", a déclaré l'Elysée.


Dans le cadre des efforts d'après-guerre visant à stabiliser Gaza, une Autorité palestinienne réformée doit être autorisée à opérer dans l'enclave par le biais d'un mandat du Conseil de sécurité de l'ONU, a ajouté l'Élysée.

La présidence française a souligné que "tous les pays arabes, les dirigeants de l'Organisation de la coopération islamique et les dirigeants de la Ligue arabe" ont accepté le plan, qui prévoit que le Hamas "n'aura aucun rôle" dans l'administration de la bande de Gaza d'après-guerre.

Le chef de l'AP, Mahmoud Abbas, a écrit une lettre à M. Macron et au prince héritier le 9 juin, dans laquelle il s'engageait notamment à réformer l'autorité.

Dans le cadre du projet international commun, plusieurs grands pays, dont le Canada, l'Australie, la Belgique et le Portugal, se sont engagés à reconnaître la Palestine lors de la conférence du 22 septembre.

"Il s'agit du mouvement le plus important depuis longtemps car, pour la première fois, des États membres du Conseil de sécurité de l'ONU mais aussi des États membres du G7 reconnaîtront l'État de Palestine", a déclaré l'Élysée.

"Cela nous permettra de dire que la solution des deux États ne peut pas être anéantie par l'opération israélienne que nous voyons se dérouler sur le terrain.

La présidence française a exprimé son inquiétude face aux récentes frappes israéliennes sur le Qatar, qui visaient des dirigeants du Hamas.

À la suite de l'attaque, les dirigeants du Royaume-Uni, de la France, du Canada, du Qatar, de la Jordanie et de l'Égypte ont tenu une réunion d'urgence à distance, s'engageant à faire preuve de solidarité avec tous les États du Golfe.

"Aucun pays ne devrait être frappé et la souveraineté des pays voisins d'Israël devrait être respectée. Nous avons réussi à obtenir une condamnation claire au Conseil de sécurité des Nations unies", a déclaré l'Élysée.

"Mais nous avons besoin de cette mobilisation collective pour être clairs, et nous espérons que le 22 septembre mettra en lumière cette mobilisation internationale qui doit faire bouger les choses, et qui doit convaincre les Etats-Unis qu'il y a une urgence absolue à mettre fin à cette guerre".


Offensive sur Gaza-ville : Israël ouvre un nouvel axe pour accélérer la fuite des habitants

Ces derniers jours, des journalistes de l'AFP ont observé un nouvel exode de Gaza-ville vers le sud, mais l'armée israélienne estime encore mercredi matin que seules "plus de 350.000" personnes ont fui vers le sud. (AFP)
Ces derniers jours, des journalistes de l'AFP ont observé un nouvel exode de Gaza-ville vers le sud, mais l'armée israélienne estime encore mercredi matin que seules "plus de 350.000" personnes ont fui vers le sud. (AFP)
Short Url
  • La route Salaheddine coupe la bande de Gaza en son milieu du nord au sud parallèlement à la côte méditerranéenne
  • L'itinéraire d'évacuation "sera ouvert pendant 48 heures seulement", à partir de mercredi midi (09h00 GMT), a néanmoins prévenu le colonel Adraee

GAZA: L'armée israélienne a annoncé mercredi l'ouverture, temporaire, d'un nouvel axe pour accélérer la fuite des habitants de Gaza-ville vers le sud, au lendemain du lancement d'une offensive militaire majeure destinée à anéantir le Hamas dans cette zone.

"Pour faciliter le déplacement vers le sud, une voie de passage temporaire est ouverte via la rue Salaheddine", a annoncé l'armée dans un message de son porte-parole arabophone, le colonel Avichay Adraee sur les réseaux sociaux.

L'armée israélienne, qui multiplie les appels à évacuer Gaza-ville, avait jusque-là conseillé aux habitants de fuir par la route côtière vers ce qu'elle a défini elle-même comme une zone humanitaire plus au sud, englobant notamment une partie de la région d'Al-Mawasi.

La route Salaheddine coupe la bande de Gaza en son milieu du nord au sud parallèlement à la côte méditerranéenne. L'itinéraire d'évacuation "sera ouvert pendant 48 heures seulement", à partir de mercredi midi (09h00 GMT), a néanmoins prévenu le colonel Adraee.

L'ONU estimait fin août à environ un million d'habitants le nombre de Palestiniens dans Gaza-ville et ses environs.

Ces derniers jours, des journalistes de l'AFP ont observé un nouvel exode de Gaza-ville vers le sud, mais l'armée israélienne estime encore mercredi matin que seules "plus de 350.000" personnes ont fui vers le sud.

Des dizaines de Palestiniens interrogés dans la ville de Gaza par l'AFP depuis plusieurs semaines ne cessent de répéter qu'il n'y "a aucun endroit sûr" où aller dans la bande de Gaza et qu'ils préfèrent encore mourir sur place plutôt que d'être déplacés une énième fois.

L'armée israélienne a annoncé mardi avoir lancé une offensive terrestre majeure à Gaza-ville visant à expugner le Hamas d'un de ses derniers grands bastions dans la bande de Gaza, territoire dévasté par la guerre déclenchée le 7 octobre 2023 par l'attaque sans précédent du mouvement islamiste palestinien en Israël.

"Défaite définitive" 

L'offensive sur Gaza-ville, annoncée depuis la mi-août et pour laquelle l'armée israélienne a rappelé des dizaines de milliers de réservistes, est largement condamnée à l'étranger.

Israël semble "déterminé à aller jusqu'au bout", a jugé mardi le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres, déplorant une situation "moralement, politiquement et légalement intolérable" à Gaza.

De nombreux pays, mais aussi une part importante de la société israélienne, accusent le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu de fuite en avant, surtout après l'attaque israélienne du 9 septembre ayant visé une réunion de dirigeants du Hamas à Doha, alors que les Etats-Unis tentaient de pousser à un accord de cessez-le-feu et de libération des otages à Gaza.

Israël a annoncé l'extension de ses opérations militaires à Gaza-ville juste après le départ du secrétaire d'Etat américain Marco Rubio, qui a promis lors d'une visite à Jérusalem le "soutien indéfectible" de Washington à son allié israélien pour éliminer le Hamas.

"Notre objectif est d'intensifier les frappes contre le Hamas jusqu'à sa défaite définitive", a affirmé mardi le chef d'état-major de l'armée israélienne, le lieutenant-général Eyal Zamir.

L'attaque du 7 octobre 2023 a entraîné la mort de 1.219 personnes du côté israélien, en majorité des civils, selon un décompte de l'AFP basé sur des données officielles. Sur les 251 personnes enlevées ce jour-là, 47 sont encore retenues à Gaza, dont 25 ont été déclarées mortes par l'armée israélienne.

Depuis lors, plus de 54.864 Palestiniens ont été tués dans la bande de Gaza par la campagne militaire israélienne de représailles, selon le ministère de la Santé de Gaza placé sous l'autorité du Hamas. Le ministère, dont les chiffres sont jugés fiables par l’ONU, ne précise pas le nombre de combattants tués mais indique que plus de la moitié des morts sont des femmes ou des mineurs.

La guerre a entraîné une catastrophe humanitaire majeure pour les quelque 2,4 millions d'habitants de la bande de Gaza. L'ONU a déclaré la famine dans certaines zones du territoire en août, et mis en garde contre une extension géographique du phénomène d'ici à la fin du mois de septembre, ce qu'Israël qualifie de "mensonges".

 


L'Arabie saoudite : un acteur clé dans la lutte contre la criminalité financière, selon Nathalie Goulet

La sénatrice française Nathalie Goulet a salué l'ambition et l'engagement de l'Arabie saoudite dans la lutte contre le blanchiment d'argent et la criminalité financière. (AFP)
La sénatrice française Nathalie Goulet a salué l'ambition et l'engagement de l'Arabie saoudite dans la lutte contre le blanchiment d'argent et la criminalité financière. (AFP)
Short Url
  • Le Royaume, selon Nathalie Goulet, dispose aujourd’hui des moyens économiques et techniques pour s’imposer comme acteur clé du dispositif mondial AML/CFT
  • L'Arabie saoudite ouvre une nouvelle ère de transparence, selon M. Goulet

DUBAÏ: À quelques semaines de la conférence internationale “Sanctions, AML & CFT for Banking and Finance in the Kingdom of Saudi Arabia”, qui se tiendra à Riyad les 21 et 22 octobre 2025, la sénatrice française Nathalie Goulet, dans un entretient accordé à Arab News en français, salue l’ambition et l'engagement de l’Arabie saoudite dans la lutte contre le blanchiment d'argent et la criminalité financière.

« L'Arabie saoudite a été en tête de ‘No Money for Terror’ dans le temps. Elle en est absolument capable, et en plus, elle a un leader très fort et une vision claire, » declare la sénatrice.

Une volonté politique affirmée

Pour Nathalie Goulet, l’évolution du Royaume ne fait aucun doute.

« Le Prince Mohammed Ben Salman, dès son arrivée au pouvoir, a immédiatement réglé les questions de corruption. Il a insufflé une politique et une volonté. »

Cette transformation accompagne l’ouverture rapide du Royaume, notamment dans le cadre de la Vision 2030, et s’inscrit dans un effort plus large pour assainir le climat des affaires et attirer des investissements étrangers dans un cadre juridico-financier stable.

« Ça se passe très bien. Mais c’est aussi une question de volonté. Et la volonté en Arabie saoudite est très marquée. »

Riyad, prochain centre de gravité régional pour la compliance

L’événement d’octobre réunira régulateurs, banquiers, juristes et spécialistes de la conformité du monde entier. Pour Nathalie Goulet, c’est une opportunité cruciale :

« Ce que j’attends, ce sont des échanges de bonnes pratiques très concrets. Car parfois, ce ne sont pas les lois qui changent les choses, ce sont aussi les interactions entre professionnels, au quotidien. »

Elle y partagera notamment son expérience sur les enjeux de transparence financière et de coopération internationale.

Des progrès significatifs et une coopération régionale renforcée

À la suite de sa participation au sommet Fighting Financial Crime à Abou Dhabi les 10 et 11 septembre derniers, Nathalie Goulet a salué les efforts des Émirats arabes unis, récemment sortis de la liste grise du GAFI.

« Il y a une vraie volonté au plus haut niveau. Et cette volonté est contagieuse. On voit aussi une forte implication saoudienne, par exemple par l'intermédiaire de Nazaha, l'autorité de lutte contre la corruption. »

Pour elle, la dynamique régionale est en marche : extraditions facilitées, respect accru des règles de coopération judiciaire, montée en compétence des autorités locales.

Un enjeu global et des réponses encore fragmentées

Malgré ces progrès, selon la sénatrice, le constat demeure alarmant : entre 2 et 5 % du PIB Mondial, seraient issus du blanchiment d’argent, mais seulement 1 à 2 % des fonds sont effectivement récupérés.

« Ce sont des milliards qui échappent aux écoles, aux hôpitaux, aux routes. Et un immense manque à gagner pour les citoyens. »

Outre l’utilisation massive de cryptoactifs non régulés et le traffic de migrants, Nathalie Goulet alerte sur les techniques des réseaux criminels de plus en plus inventives : trafic d’or déguisé en café et cargaisons de bananes trafiquées.

Enjeux spécifiques au Moyen-Orient

Le Moyen-Orient n’échappe pas à ces mutations. Nathalie Goulet pointe plusieurs problématiques: le trafic d’or, l’usage débridé des crypto-actifs, et la contrefaçon massive.

« La contrefaçon, ce ne sont pas que des faux sacs. Ce sont aussi des faux médicaments, des pièces détachées défectueuses, du tabac illicite… Le coût global est estimé à 650 milliards de dollars par an. » (Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle, 2022)

Elle insiste sur la nécessité de renforcer la traçabilité, même dans des réseaux informels comme les systèmes de transfert d’argent ou certaines plateformes numériques.

La coopération et la formation au cœur de la réponse

Face à ces défis, Nathalie Goulet appelle à une action multilatérale renforcée : formations spécialisées, partage d’informations, benchmarking international et adoption des nouvelles technologies.

« Il faut former les magistrats, les douaniers, les régulateurs. Mais aussi renforcer la coopération entre pays et partager les bonnes pratiques. »

Elle évoque aussi le rôle central de l’intelligence artificielle dans la détection des flux suspects, et appelle à la création de bourses d’étude sur les crypto-actifs et leurs mécanismes.

Arabie saoudite : vers un rôle structurant dans le système international

Alors que l’Arabie saoudite s’impose de plus en plus comme un hub régional de la finance, la question de son influence future au sein d’organisations comme le GAFI se pose.

« Le Royaume a les moyens, l’ambition et la volonté. Il applique déjà les règles, coopère efficacement, et montre l’exemple. »

La récente nomination d’un responsable émirien à la tête d’Interpol, le général de division Ahmed Naser Al-Raisi, ajoute-t-elle, reflète également l’influence croissante de la région dans la gouvernance sécuritaire mondiale.

Un combat global au service des citoyens

Selon Nathalie Goulet, l’enjeu dépasse largement les frontières des États et des institutions financières et ne peut être reléguée au second plan, même en temps de crise économique.

« Justement, parce que le climat économique est dégradé, on ne peut pas laisser l’argent échapper à la société. La criminalité détourne les ressources publiques. C’est un combat pour le citoyen, pour l’école, pour l’hôpital, » explique la sénatrice.

Riyad marquera une nouvelle étape. Et pour elle, chaque conférence, chaque échange entre professionnels, chaque progrès technique ou réglementaire contribue à une économie plus saine et plus équitable.