L’approche prudente de Biden ne résoudra pas les crises au Moyen-Orient

Le secrétaire d'État américain, Antony Blinken, donne une conférence de presse à Amman, en Jordanie, le 26 mai 2021 (AFP / POOL / Alex Brandon)
Le secrétaire d'État américain, Antony Blinken, donne une conférence de presse à Amman, en Jordanie, le 26 mai 2021 (AFP / POOL / Alex Brandon)
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Publié le Vendredi 28 mai 2021

L’approche prudente de Biden ne résoudra pas les crises au Moyen-Orient

L’approche prudente de Biden ne résoudra pas les crises au Moyen-Orient
  • La politique de l’autruche américaine risque d’accroître les turbulences au Moyen-Orient, car les pays qui se sentent menacés par l’Iran mettront en œuvre eux-mêmes des politiques pour contrer Téhéran
  • L’attitude à l’égard du récent conflit à Gaza résume l’attitude de l’administration dans tout le Moyen-Orient: faire le strict minimum pour maintenir son rôle d’intermédiaire dans la région

Le secrétaire d'État américain, Antony Blinken, est en visite cette semaine au Moyen-Orient, pour y rencontrer, parmi d’autres personnes, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, et le président palestinien, Mahmoud Abbas. Selon un responsable du département d'État, la visite a pour but de «maintenir le cessez-le-feu et l'assistance aux personnes qui en ont besoin». Un objectif bien modeste pour une administration, dont le principal slogan de politique étrangère est «l'Amérique est de retour». Cette formule ambitieuse ne coïncide pas avec le comportement du président Joe Biden, en particulier en ce qui concerne le Moyen-Orient. Dans cette région, les États-Unis semblent faire profil bas, en attendant la fin des turbulences.

Cette tendance est visible dans le rapport Interim National Security Strategic Guidance, élaboré par la Maison Blanche, dans lequel le Moyen-Orient était à peine mentionné. Les lecteurs de ce document, publié en mars, ont eu l'impression que toute la région se limitait au dossier nucléaire iranien. Cette approche non interventionniste a débuté sous Barack Obama, a été poursuivie par Donald Trump, et persiste malheureusement avec Biden. Cette tendance va au-delà des préférences personnelles de chacun de ces présidents: elle reflète une fatigue générale face aux problèmes de la région, et un regain d’intérêt pour la Chine, ainsi que la mer de Chine méridionale.

La stratégie américaine repose aussi sur une fausse perception selon laquelle, si la question du nucléaire iranien est résolue, les autres problèmes du Moyen-Orient se résoudront facilement. Cependant, cette politique de l’autruche est susceptible d’accroître les turbulences, car les pays qui se sentent menacés par l’Iran prendront sur eux d’élaborer, et de mettre en œuvre des politiques pour contrer les agressions de Téhéran.

Les récentes attaques israéliennes contre Gaza démontrent que la politique de l’autruche ne fonctionne pas. Même si les États-Unis essaient de prendre de la distance avec les problèmes de la région, ces derniers les rattrapent inévitablement. Biden n'a pas fait de la question israélo-palestinienne une priorité, pensant qu'elle était trop compliquée pour être résolue. Pourtant, confrontée à l’actualité brûlante, l’administration américaine a été contrainte de prendre position. Elle s’est de facto retrouvée impliquée dans un conflit qu'elle cherchait à éviter. La gestion du conflit israélo-palestinien est assez problématique, car Washington est divisé sur la question. L'aile progressiste du Parti démocrate veut voir la fin de l'occupation et l’avènement d’une solution à deux États. L'aile traditionnelle, dont Biden est membre, soutient sans condition Israël.

L’attitude américaine à l’égard du récent conflit à Gaza reflète l’attitude de Washington dans toute la région

Dr Dania Koleilat Khatib

L'administration Biden est également confrontée à de nombreux défis économiques et sociaux sur le plan intérieur. La question du racisme fait des ravages sur la cohésion de la société américaine, et les difficultés économiques liées à la pandémie de coronavirus consument également la présidence. Il lui reste donc peu de place pour la diplomatie étrangère, et le Moyen-Orient n’est pas en tête de ses priorités.

Même lors de la réunion entre Blinken et le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, la semaine dernière, les deux hommes sont convenus de coopérer sur plusieurs questions, mais le Moyen-Orient n’en faisait pas partie, à l’exception du programme nucléaire iranien. La Syrie, la Palestine, le Liban, l'Irak, le Yémen et la Libye posent tous de grands défis. Néanmoins, ils ne semblent pas assez graves pour attirer l'attention de Biden et de son équipe.

La réaction à l’égard du récent conflit à Gaza résume l’attitude de l’administration dans la région en général: faire le strict minimum pour maintenir son rôle d’intermédiaire dans cette zone. Il est clair que les ambitions américaines en matière de politique étrangère restent limitées: l'objectif est avant tout de maîtriser les crises, plutôt que de les résoudre. Même si Blinken a mentionné l’attachement de l'administration Biden à une solution à deux États, on ne constate pas de politique volontariste des États-Unis pour pousser à un accord.

 Blinken a vaguement mentionné que les «conditions» devraient être remplies pour que les deux parties puissent «s'engager de manière significative et positive vers deux États». Qu'est-ce que cela signifie en pratique? Existe-t-il un plan américain pour forcer Netanyahou, qui a même évité de mentionner la notion d'État palestinien, à accepter une solution à deux États?

En ce qui concerne le Moyen-Orient, l'administration Biden ne semble pas chercher de solutions. Elle essaie plutôt d'éviter de prendre des décisions, dont les répercussions sont inconnues et les résultats aléatoires. Toutefois, la politique comporte des risques, et toute décision implique un certain degré d'incertitude. Alors que Trump a été accusé d'être impétueux, Biden est au contraire beaucoup trop prudent, au point de prendre une trop grande distance.

Curieusement, l'administration Biden fait face à certaines des mêmes critiques que son prédécesseur: certains postes ne sont toujours pas pourvus, et elle ne fonctionne pas bien. Mais Biden n'est pas un politicien amateur, contrairement à Trump, qui est passé de la téléréalité à la Maison Blanche. Biden est un vrai professionnel, un politicien chevronné. Autant l'administration précédente souffrait des caprices et du caractère impulsif du président, autant celle-ci souffre cruellement de passivité et d'indécision.

La politique de l'autruche, qui veut que les États-Unis ne prennent aucune décision, privilégient le statu quo, et essaient simplement d'attendre la fin des problèmes, a également des conséquences dommageables sur ses partenaires, qui finiront par perdre confiance en Washington. Ils risquent de résoudre eux-mêmes les menaces qui les entourent, avec des conséquences potentiellement dangereuses. Alors que Blinken faisait route vers Israël, Netanyahou a averti que son pays pourrait prendre des mesures unilatérales contre l'Iran. La dernière chose dont la région a besoin est une confrontation entre Israël et l'Iran.

Les États-Unis doivent comprendre que les problèmes ne disparaîtront pas simplement en les ignorant. Au contraire, ils reviendront encore plus forts.

 

 

• Dr. Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes spécialisée dans le lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise. Elle est également chercheuse affiliée à l'Institut Issam Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales à l'université américaine de Beyrouth.

 

Avertissement: les opinions exprimées par les rédacteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com.