Les jetons NFT transforment le marché de l'art de collection

Un visiteur examine le timbre One-Cent Magenta de Guyane britannique dans les locaux de la maison Sotheby's à Londres. (Reuters)
Un visiteur examine le timbre One-Cent Magenta de Guyane britannique dans les locaux de la maison Sotheby's à Londres. (Reuters)
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Publié le Vendredi 18 juin 2021

Les jetons NFT transforment le marché de l'art de collection

 Les jetons NFT transforment le marché de l'art de collection
  • L'année dernière, une vidéo virale a été vendue pour 590 000 dollars et un tweet pour 2,9 millions de dollars
  • «Sous leur forme la plus simple, les NFT permettront à tout investisseur de détail d'acheter une partie d'une œuvre d'art qui était autrefois inaccessible»

Le One-Cent Magenta de Guyane britannique, le timbre le plus précieux au monde, a été acheté la semaine dernière pour 8,3 millions de dollars (1 dollar = 0,83 euro) par Stanley Gibbons, la plus ancienne société de vente de timbres du monde. Extrêmement rare et souvent coté à des prix très élevés, ce timbre a été émis temporairement par un maître de poste local en 1856, époque à laquelle la colonie était détachée de Londres. Cet achat a cependant surpris bien des gens, dans la mesure où il représentait une part considérable de la capitalisation boursière de la société. À l’issue de la vente, il a été annoncé que Stanley Gibbons a dépensé sans compter pour mettre le One-Cent Magenta à la disposition de tous, sous forme de propriété fractionnée et de collections numériques. Cette annonce constitue le dernier exemple en date d'une maison traditionnelle qui tire le meilleur parti de l'essor de la propriété numérique.

L'année dernière, une vidéo virale a été vendue pour 590 000 dollars et un tweet pour 2,9 millions de dollars. La vente de ces actifs numériques en jetons non fongibles (NFT) a annoncé l'arrivée des NFT sur le marché de l'art de prestige. Cette année, Mike Winkelmann, l'artiste numérique connu sous le nom de «Beeple», a vendu une œuvre d'art pour 69 millions de dollars. Ainsi, l'artiste qui vendait des impressions de ses œuvres pour moins de 100 dollars à la fin de l'année dernière a rejoint «le top 3 des artistes vivants les plus cotés», selon la maison Christie's, qui a vendu l'œuvre. Grâce à ses millions de fans en ligne, Mike Winkelmann a réussi à créer un marché pour ses œuvres dans un monde qui était jusqu'à présent dominé par une poignée de mécènes et de connaisseurs fortunés.

Soutenus par Christie's, la maison de vente aux enchères qui bat depuis 250 ans le record mondial des ventes d'art les plus chères, les NFT ont explosé pour devenir un outil d'achat et de vente d'art. De plus en plus de personnes les considèrent comme le moyen par lequel l'art numérique sera acheté et échangé à l'avenir. Cette évolution a été saluée comme une démocratisation du marché de l'art à bien des égards. Elle risque néanmoins de faire flamber les prix. La hausse des prix enregistrée récemment est dérisoire par rapport à la valeur que les NFT représenteront plus tard, une fois que leur usage sera plus répandu et que leur intégration dans l'achat et la vente d'œuvres d'art sera plus souple.

La technologie en elle-même reste toutefois incompréhensible pour de nombreux collectionneurs éventuels. En effet, l'évaluation des œuvres d'art représente historiquement un processus difficile à appréhender, où la rareté, l'âge, la source, le potentiel de maturation ainsi que la taille des œuvres entrent en jeu. Le problème de l'évaluation d'une pièce artistique, qui peut représenter différentes notions selon les personnes, a compliqué la méthode selon laquelle fonctionnent les NFT. Néanmoins, les NFT fonctionnent de la même manière qu'un ticket de cinéma, qui représente la possession temporaire d'une place enregistrée dans un carnet de réservation, ce qui permet de rationaliser quelque peu le processus d'utilisation.

En utilisant la blockchain [chaîne de blocs ou la technologie qui permet de stocker et transmettre des informations de manière transparente, sécurisée et sans organe central de contrôle - NDLR], les NFT autorisent les collectionneurs à acheter et à vendre des objets numériques uniques et à déterminer à qui ils appartiennent. Techniquement, un NFT peut contenir tout type de produits numériques, y compris des dessins, des vidéos, des gifs, des chansons ou des éléments de jeux vidéo. James Khazaei, un collectionneur d'art installé principalement à Dubaï et associé d'une galerie de premier plan, fait observer que «le rôle que les NFT jouent dans la commercialisation de l'art numérique peut également s'étendre à diverses formes d'utilisation, telles que l'acquisition de pièces uniques, comme des peintures ou des cartes à collectionner, et même de nouvelles éditions d'œuvres d'art déjà existantes». La blockchain réduit ainsi les complications inhérentes à la propriété multiple ou à la double propriété, puisqu'elle permet de déterminer l'identité du propriétaire du fichier.

L'accès aux registres de propriété possède un caractère révolutionnaire dans la mesure où le nombre de marchands et de maisons de vente aux enchères, ayant accès à ces informations, était jusqu'à présent limité. L'enregistrement public de la propriété qui se fait au moyen des NFT donne accès à l'historique complet d'une œuvre d'art. Cela permet aux collectionneurs de mieux contrôler les prix. Cette possibilité n'est cependant pas exempte de risques, comme nous l'a montré l'expérience vécue au cours des derniers mois. L'essor des jetons NFT a en effet été accompagné d’une évolution inquiétante; des œuvres à la valeur artistique plutôt douteuse ont été vendues aux enchères en ligne de manière totalement irréaliste et à grand renfort de publicité. En outre, étant donné que les enchérisseurs sont à même de générer et copier assez facilement les fichiers numériques qu'ils obtiennent, certaines œuvres d'artistes ont été volées pour être ensuite revendues comme étant authentiques.

Soutenus par la maison Christie's, les jetons non fongibles connaissent un essor spectaculaire en tant qu’outil d'achat et de vente d'art.

 

Zaid M. Belbagi

La vente du timbre One-Cent Magenta prouve une fois de plus que les NFT sont capables de révolutionner le commerce des objets de collection. Les artistes sont toutefois préoccupés par l'impact sur le marché des ventes d'œuvres d'art reposant sur la blockchain, réputée pour sa consommation en énergie du fait de sa conception. Les premières personnes à s'intéresser à cette technologie estiment cependant qu’elle est vouée à perdurer. Stefan Kaba-Ferreiro, associé directeur de la société GHCO et pionnier dans ce domaine, fait preuve d'optimisme: «Sous leur forme la plus simple, les NFT permettront à tout investisseur de détail d'acheter une partie d'une œuvre d'art qui était autrefois inaccessible. Ils donneront en outre la possibilité aux musées de lever des fonds en vendant des parties de leurs collections. Nous assurerons la liaison technologique entre les musées et diverses bourses telles que la bourse de Londres. C'est la nouvelle la plus marquante sur le marché des options depuis bien longtemps.»

Zaid M. Belbagi est un commentateur politique et un conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG).

TWITTER: @Moulay_Zaid

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com