Lors d'un sommet pacifique, Biden et Erdogan se montrent «d'accord sur leurs désaccords»

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, s'entretient avec le président américain, Joe Biden, en marge du sommet de l'Otan à Bruxelles, en Belgique, le 14 juin 2021. (Reuters)
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, s'entretient avec le président américain, Joe Biden, en marge du sommet de l'Otan à Bruxelles, en Belgique, le 14 juin 2021. (Reuters)
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Publié le Jeudi 24 juin 2021

Lors d'un sommet pacifique, Biden et Erdogan se montrent «d'accord sur leurs désaccords»

Lors d'un sommet pacifique, Biden et Erdogan se montrent «d'accord sur leurs désaccords»
  • Pendant une heure et demie, Biden et Erdogan se sont entretenus, d’abord en tête-à-tête, puis avec leurs délégations
  • Cette rencontre avait l'allure d'un inventaire des questions qui opposent les deux pays

La rencontre tant attendue entre le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et son homologue américain, Joe Biden, a finalement eu lieu: c'est à Bruxelles que les deux hommes se sont rencontrés la semaine dernière, en marge du sommet de l'Otan.

Pendant une heure et demie, ils se sont entretenus, d’abord en tête-à-tête, puis avec leurs délégations. Étant donné que la durée du sommet a été déterminée par Washington, on peut supposer que Biden l'a aménagée en fonction de ce qu'il avait à dire à Erdogan. Par ailleurs, trois semaines avant le sommet, lors d'une visite dans le pays, la secrétaire d'État adjointe, Wendy Sherman, avait fait connaître à la Turquie l’ensemble des attentes des États-Unis. Il est donc probable que Biden ait répété à Erdogan ce que Sherman avait dit. Ce scénario laisse penser que la rencontre a pris la forme d'un monologue préparé des deux côtés sans qu’il s’agisse d’un véritable échange.

Certes, Biden a donné l'impression de se moquer de la façon dont la Turquie présenterait à la presse l'issue de cette rencontre, affirmant: «Je laisserai aux Turcs le soin de vous en parler.» De fait, Erdogan a fourni des informations aux médias: il a rappelé les raisons pour lesquelles les États-Unis devaient cesser de soutenir les combattants kurdes dans le nord de la Syrie. Apparemment, les États-Unis sont restés de marbre sur ce point; si Biden avait donné ne serait-ce qu'un petit signe d’espoir à ce sujet, Erdogan l'aurait annoncé avec enthousiasme.

Le retrait des forces américaines d'Afghanistan constitue une autre question importante. Elle avait été soulevée lors du sommet de l'Otan, mais également au cours des entretiens bilatéraux entre Erdogan et Biden. L'Otan n'a pris aucune décision ferme à cet égard, bien que la Turquie ait été signalée comme une partie capable d’assumer la responsabilité de la sécurité de l'aéroport de Kaboul. Dans son discours à la presse, Erdogan a affirmé que la Turquie envisagerait d'assumer cette responsabilité si un soutien diplomatique, économique et logistique lui était accordé. Il a également déclaré qu'Ankara pouvait collaborer avec le Pakistan et la Hongrie dans ce domaine. Étant donné que le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, passe pour le dirigeant le moins démocratique des pays de l'Otan, il est difficile de penser que le choix de ce partenaire potentiel par Erdogan soit une simple coïncidence.

Toutefois, il est tout à fait possible que la Turquie parvienne à protéger l'aéroport de Kaboul; en effet, les Turcs sont plus à même d’établir de bonnes communications avec les Afghans que les autres pays de l'Otan. Des risques pèsent toutefois sur les efforts de la Turquie, dans la mesure où les talibans contrôlent environ deux tiers du territoire afghan. Cela pourrait entraîner Ankara dans un conflit sans issue.

La rencontre Erdogan-Biden a principalement permis d'éviter un effondrement des relations entre leurs pays respectifs.

Yasar Yakis

Voici plusieurs semaines, Washington avait proposé de tenir ses réunions avec les talibans à Istanbul plutôt qu'au Qatar. Les États-Unis espéraient sans doute qu'Istanbul conviendrait mieux à ce type de rencontres, et Erdogan a probablement jugé que cela lui apporterait les faveurs de Biden. Mais les talibans, après avoir fait traîner les choses dans un premier temps, ont tout bonnement décidé de renoncer aux réunions d'Istanbul.

Une anecdote sur la conférence de presse d'Erdogan illustre le désarroi dans lequel il est tombé. En effet, avant son départ pour Bruxelles, le président turc avait fait savoir qu'il exprimerait sa déception au sujet du terme «génocide» utilisé par Biden pour qualifier la déportation des Arméniens par l'État ottoman en 1915. Au terme de la rencontre avec Biden, un journaliste lui a demandé s'il avait soulevé cette question. La réponse d'Erdogan a été la suivante: «Dieu merci, cette question n'a pas été soulevée.» Les mots «Dieu merci» ont dû lui échapper, car ils laissent penser qu'Erdogan était ravi que la question ne soit pas abordée lors des entretiens, alors qu'il était censé la poser lui-même.

Pour la Turquie, la coopération avec les États-Unis est envisageable en Syrie, en Libye, en Ukraine et en mer Noire, des régions où la Russie et les États-Unis défendent toutefois des intérêts divergents. Au lendemain du sommet de l'Otan, Erdogan a quitté Bruxelles pour se rendre en Azerbaïdjan. Lors de sa conférence de presse, il a fortement mis l’accent sur ce voyage – sans doute pour réaffirmer le soutien que la Turquie peut apporter aux États-Unis afin de contrebalancer la prépondérance de la Russie dans le Caucase.

La rencontre Erdogan-Biden a principalement permis d'éviter un effondrement des relations entre leurs pays respectifs. L'impact que cette attitude conciliante envers les États-Unis exercera sur les relations entre la Turquie et la Russie constitue un autre sujet crucial.

Même si aucun accord n'a été obtenu sur les différents points abordés, l'atmosphère de la rencontre semble avoir été calme. En effet, les deux dirigeants ont échangé leurs points de vue sur les questions à l'ordre du jour sans pour autant chercher à se convaincre l’un l’autre. Cette rencontre avait plutôt l'allure d'un inventaire des questions qui opposent les deux pays. Ils ont ainsi fait l’économie de toute confrontation inutile et ont maintenu une atmosphère de coopération et de compréhension mutuelle.

Et l’on peut en effet affirmer qu'ils ont été d'accord sur leurs désaccords au sujet de tous les points de l'ordre du jour qu’ils ont fini par confier à leurs ministres; ces derniers continueront à explorer les champs de coopération et à étudier les solutions possibles. L'échiquier semble indiquer un match nul que la Turquie a peu de chances de remporter sur le long terme.

 

Yasar Yakis est ancien ministre des Affaires étrangères en Turquie, et membre fondateur du parti AKP au pouvoir. Twitter: @yakis_yasar

NDLR: les opinions exprimées par les rédacteurs de cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com