Le sport de demain a déjà vu le jour

Avec le sport narcissique, le corps devient à la fois outil et sujet de l’exercice sportif. (Photo, AFP)
Avec le sport narcissique, le corps devient à la fois outil et sujet de l’exercice sportif. (Photo, AFP)
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Publié le Mardi 29 juin 2021

Le sport de demain a déjà vu le jour

Le sport de demain a déjà vu le jour
  • L’objectif de ces Rencontres de la prospective sportive n’était pas d’engager un débat public mais de mener une analyse critique à l’aube des jeux Olympiques de Tokyo
  • Je suis confiant que les pays du Moyen-Orient sauront saisir ces tendances qui se dessinent dans le sport contemporain et proposeront aux sportifs, sponsors et fans du monde entier de nouvelles opportunités

Le 24 juin dernier, et ce ne fut pas un hasard du calendrier car c’est le lendemain de la journée Olympique, un groupe d’experts, de philosophes, d’historiens, de chefs d’entreprise et d’athlètes s’est réuni à Paris afin de réfléchir et débattre sur le futur du sport et des jeux Olympiques. Ce n’était pas la première fois qu’une telle journée était organisée mais ce fut la première fois qu’un panel aussi varié, et aux avis aussi antagonistes, se retrouvait pour comprendre et agir. 

L’objectif de ces Rencontres de la prospective sportive n’était pas d’engager un débat public – ce n’est pas le but des initiateurs – mais bien de mener une analyse critique à l’aube des jeux Olympiques de Tokyo, d’une montée en puissance de la politisation du sport et d’une incompréhension, voire d’un désamour croissant des fans. Cette analyse critique a eu un véritable écho auprès des acteurs présents. 

Comme ces Rencontres de la prospective sportive vont désormais se dérouler dans d’autres pays, il est intéressant de présenter les constats… car les mesures qui seront mises en œuvre varieront, en fonction des pays et surtout de leur culture. Les enjeux diffèrent entre le Moyen-Orient, les pays du Maghreb ou de l’Afrique subsaharienne, de l’Asie du Sud-Est…

 

Si l’acceptation du concept sportif dépend de la géographie et de l’époque, le «sport» recouvre néanmoins un certain nombre d’invariants (exercice physique avec force et/ou agilité, répétition en vue d’amélioration, mesure et performance…)

Comme ces Rencontres de la prospective sportive vont désormais se dérouler dans d’autres pays, il est intéressant de présenter les constats… car les mesures qui seront mises en œuvre varieront, en fonction des pays et surtout de leur culture. Les enjeux diffèrent entre le Moyen-Orient, les pays du Maghreb ou de l’Afrique subsaharienne, de l’Asie du Sud-Est…

Le premier constat concerna la construction culturelle du sport. Si l’acceptation du concept sportif dépend de la géographie et de l’époque, le «sport» recouvre néanmoins un certain nombre d’invariants (exercice physique avec force et/ou agilité, répétition en vue d’amélioration, mesure et performance…). Il revêt souvent une dimension ludique. Et il s’inscrit dans un cadre normatif: ses règles sont dictées par un organe de référence (souvent une fédération internationale, comme la Fédération internationale de football association [Fifa] pour le football ou la Fédération internationale de natation [Fina] pour la natation). 

Ce premier constat permit d’identifier la contrainte temporelle pour créer un sport mondialement reconnu, en général quarante à soixante ans. Le Comité international olympique (CIO), créé le 23 juin 1894, eut différentes phases de développement, risqua la faillite dans les années 1970 puis fut sauvé par le président Samaranch qui en fit une réelle puissance financière et politique dès les années 1990.

Le second constat fut celui de l’accélération des changements dans les écosystèmes du sport. MM. François Bellanger (Transit-City) et Patrick Roult (Institut national du sport, de l'expertise et de la performance – Insep) identifièrent 7 dynamiques, «7 temps de dévoration» car pour eux, le sport dévore le monde, tel Cronos qui mangea ses enfants.

1/ Le sport compétition se regarde dans un espace dédié, un stade, et se consomme à la télévision. Son audience a beau vieillir (53 ans d’âge moyen pour les jeux Olympiques, 61 ans pour les grandes compétitions de tennis…), il reste une réalité et continue de drainer une grande partie des financements (sponsors, pouvoirs publics).

2/ Le sport libre ne s’inscrit plus dans la perspective de gagner mais dans celle du plaisir. Il s’affranchit des espaces sportifs dédiés et se pratique en ville ou dans la nature, en privilégiant la participation et le dépassement individuel.

3/ Avec le sport narcissique, le corps devient à la fois outil et sujet de l’exercice sportif. Le sport n’est plus que le prétexte, l’objectif est l’affirmation de son corps. En privilégiant la dérision (esprit) et l’hypersexualisation (du corps sportif), il sera décliné très différemment en fonction des cultures locales. 

4/ Le sport augmenté est soutenu par la performance technologique. Il est mesuré par nos montres, capteurs abdominaux, GPS et autres applications. Ce sport augmenté bénéficie aussi des progrès de la robotique et des exosquelettes. Après le corps réparé des athlètes paralympiques, il mettra en avant le corps augmenté du cyborg, la figure moderne de Prométhée. 

5/ Avec l’esport, le jeu vidéo a quitté le confort de notre salon pour entrer dans l’arène sportive. Il offre aux compétiteurs le choix de leur avatar, représentation idéalisée et pluripotente. Il permet la fusion d’un sport virtualisé (football, basket, hockey ou course automobile), de l’arène imaginaire et de la stratégie (Moba; Multiplayer Online Battle Arena, des jeux mettant en scène des espaces numériques dans lesquels des équipes de joueurs s’affrontent dans des jeux de rôle).

6/ Avec le sport de l’émancipation, la compétition devient un espace d’affirmation politique, de revendication de la culture, de la communauté, que cette dernière soit sexuelle (place de la femme, communauté homosexuelle ou transgenre…), raciale ou religieuse.

7/ Au service de la planète, le sport nature s’inscrit dans une écologie active et une perspective environnementale. Il s’oppose à la révolution industrielle, celle-là même qui l’a vu naître courant du XIXe siècle.

Ces 7 temps sont les axes qui structureront les développements de toutes nos pratiques sportives. C’est pourquoi il est essentiel que les acteurs du sport (acteurs politiques, fédérations internationales, sponsors, médias, fans et bien sûr sportifs) en prennent conscience car ils auront un impact radical sur le devenir de nos pratiques et de nos compétitions. Comme pour tout système émergent, les acteurs qui se mobiliseront les premiers auront un avantage concurrentiel, cette fameuse prime aux «early adopters»premiers entrants»). 

Certains territoires se sont déjà engagés : la fédération de Russie, la République populaire de Chine, la Corée du Sud avancent à pas de géant, adaptent leurs politiques nationales et révisent leur vision stratégique. Je suis confiant que les pays du Moyen-Orient, et plus particulièrement le royaume d’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis (EAU), sauront, eux aussi, saisir ces tendances et proposeront aux sportifs, sponsors et fans du monde entier de nouvelles opportunités pour, comme le disait le baron de Coubertin, l’inventeur des jeux Olympiques modernes, «célébrer la jeunesse universelle et le printemps humain».

Philippe Blanchard a été directeur au Comité international olympique puis en charge du dossier technique de Dubai Expo 2020. Passionné par les mégaévénements, les enjeux de société et la technologie, il dirige maintenant Futurous, les Jeux de l’innovation et des sports et esports du futur.

 

NDLR : Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de Arab News.