Les «élections» du régime, les Iraniens en ont assez!

Une jeune fille accompagne sa mère dans un bureau de vote de Téhéran au moment de l'élection présidentielle de 2021. (Archive/AFP)
Une jeune fille accompagne sa mère dans un bureau de vote de Téhéran au moment de l'élection présidentielle de 2021. (Archive/AFP)
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Publié le Mardi 29 juin 2021

Les «élections» du régime, les Iraniens en ont assez!

Les «élections» du régime, les Iraniens en ont assez!
  • C'est en 1989 que, pour la première fois, la population iranienne a tenté de changer le système
  • En 2013 et plus tard, en 2017, les Iraniens se sont rendus aux urnes en masse afin d’élire le prétendu modéré Hassan Rohani

Depuis plusieurs décennies, l’immense majorité des Iraniens espèrent changer l'establishment théocratique de l'intérieur – sans violence. Mais la situation actuelle, sur le plan social ou politique, sonne le glas de cette espérance.

Le fait de voter à l’élection présidentielle représentait l'une des méthodes qui permettait à de nombreux Iraniens de transformer le régime de manière pacifique, bien qu'ils fussent tout à fait conscients que de nombreux candidats se voyaient disqualifiés par le Conseil des gardiens. Des foules entières se rendaient malgré tout aux urnes afin de prévenir l'accession à la présidence du candidat favori du régime – qu’il s’agisse d’un partisan de la ligne dure ou d’une personne affiliée au Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI). Ils espéraient par ailleurs voir un candidat pragmatique, modéré ou réformateur honorer ses promesses, apporter un changement radical et répondre aux doléances de la population.

C'est en 1989 que, pour la première fois, la population a tenté de changer le système. Elle a voté pour Akbar Hachemi Rafsandjani, qui prônait la privatisation et la primauté des intérêts économiques du pays plutôt que les principes révolutionnaires de la République islamique. Toutefois, au cours des huit années que dura sa présidence, Rafsandjani n'a fait que consolider la position des religieux au pouvoir, étouffer les groupes d'opposition et soutenir l'exportation de la révolution iranienne à l'étranger via ses institutions militaires.

1997 marque la victoire de Mohammed Khatami. Cette année-là, la participation électorale a été remarquable, s’élevant à un peu moins de 80%. Khatami a remporté près de 70% des voix. Il est parvenu à écarter les candidats de la ligne dure, dont le candidat du régime, Ali Akbar Nategh-Nouri. La victoire de Khatami a réjoui bien des gens, dans la mesure où il appelait à la démocratie, au dialogue entre les civilisations, à l'État de droit et au respect des droits de l'homme. Néanmoins, au terme de ses deux mandats présidentiels, aucun changement politique n'a été constaté. Bien au contraire, le Corps des gardiens de la révolution islamique, le groupe paramilitaire Basij et les forces de sécurité du régime ont tous durci leurs actions répressives.

Envers et contre tout, la population a refusé de baisser les bras. En 2009, elle a soutenu le réformateur Mir-Hossein Moussavi, qui affrontait Mahmoud Ahmadinejad. Si le taux de participation avoisinait les 84%, nombreux sont ceux qui estiment que cette élection a été truquée, car Ahmadinejad a remporté le scrutin avec 62% des voix. Cette élection a déclenché des manifestations contre le pouvoir en place à travers tout le pays, les premières du genre depuis la création de la République islamique.

La participation à l’élection de juin 2021 n’a pas dépassé 48,8%, ce qui montre la grande hostilité du peuple iranien à son égard.

Dr Majid Rafizadeh

En 2013 et plus tard, en 2017, les Iraniens se sont rendus aux urnes en masse afin d’élire le prétendu modéré Hassan Rohani et d’empêcher les partisans de la ligne dure d'accéder à la présidence. La participation a atteint quelque 73% au cours de ces deux élections. Bon nombre d'Iraniens espéraient que Rohani allait transformer la politique du pays et soutenir leurs droits. Cette fois encore, durant les huit années de mandat de Rohani, c’est le contraire qui s'est produit: le régime a continué à soutenir les milices et les groupes terroristes à travers le Moyen-Orient, y compris la milice houthie au Yémen. En outre, Téhéran n'a cessé de s'ingérer dans les affaires intérieures des pays arabes, notamment l'Irak, la Syrie, le Liban et le Yémen. En outre, les droits et la situation économique du peuple iranien ont tous deux empiré.

Il y a un élément à retenir de l'élection présidentielle qui au cours du présent mois: les Iraniens sont de plus en plus déçus par la République islamique et ne croient plus qu'un président réformateur ou modéré soit différent d'un partisan de la ligne dure ni qu'il soit capable d'apporter un véritable changement. En effet, la participation à l’élection a enregistré le taux le plus bas de l'histoire du régime. Seuls 26% des électeurs inscrits ont voté dans la capitale, Téhéran. Selon les chiffres officiels, la participation dans tout le pays s'est élevée à 48,8%, avec 12% de bulletins nuls, ce qui montre la grande hostilité du peuple iranien à l'égard de cette élection. Les votes nuls ont atteint le nombre le plus élevé jamais observé au cours des quarante dernières années du régime.

Il est intéressant de souligner que la différence entre la dernière élection présidentielle et les précédentes ne tient pas au fait qu'aucun candidat modéré ou réformateur ne s'est présenté: le banquier Abdolnaser Hemmati, par exemple, passe pour être un candidat réformateur. En réalité, la différence majeure réside dans le fait que les électeurs refusent de voter.

Certains politiciens iraniens ainsi que des médias contrôlés par l'État ont eux-mêmes reproché au régime ce faible taux de participation. Le journal Etemaad Daily a publié la semaine dernière un article intitulé «Pourquoi les responsables passent-ils sous silence la non-participation de 30 millions d'Iraniens? Les dirigeants de la République islamique se doivent de déclarer l'état d'urgence dans leurs rangs». Et l’article met en garde: «À la même époque, voilà quatre ans, plus de 41,3 millions de personnes ont voté à l’élection présidentielle... [Cette année], pourtant, le nombre d'électeurs a chuté à moins de 29 millions. Une baisse spectaculaire de 12 millions au moment où le nombre de personnes qui pouvaient voter a augmenté de 4 millions. Dans ce contexte, les dirigeants de la République islamique sont tenus […] de mener une enquête immédiate et impartiale sur les raisons qui ont empêché plus de la moitié des Iraniens de se rendre aux urnes.»

Cette participation record traduit la profonde déception ressentie par les Iraniens à l'égard de la République islamique et de ses dirigeants, toutes tendances politiques confondues – cela concerne également les prétendus réformateurs et modérés.

 

 

Le Dr Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain formé à Harvard. Twitter: @Dr_Rafizadeh

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com