Comment la «bonne nouvelle» d’Erdogan est tombée à plat

Le président turc Recep Tayyip Erdogan participe à un défilé dans la partie nord de la capitale divisée de Chypre, Nicosie, dans la République turque autoproclamée de Chypre du Nord, le 20 juillet 2021. (Photo, AFP)
Le président turc Recep Tayyip Erdogan participe à un défilé dans la partie nord de la capitale divisée de Chypre, Nicosie, dans la République turque autoproclamée de Chypre du Nord, le 20 juillet 2021. (Photo, AFP)
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Publié le Mardi 27 juillet 2021

Comment la «bonne nouvelle» d’Erdogan est tombée à plat

Comment la «bonne nouvelle» d’Erdogan est tombée à plat
  • Une autre nouvelle importante annoncée par Erdogan est son intention de démilitariser 3,5% de Varosha
  • Le plan de règlement de la question chypriote élaboré en 2004 a été rejeté par les Chypriotes grecs lors d’un referendum en 2005

La semaine dernière, le président turc Recep Tayyip Erdogan a annoncé qu’il comptait partager une «bonne nouvelle» à Chypre, où il se rendait pour participer aux célébrations du 47ième anniversaire de l’opération militaire menée par Ankara pour stopper l’annexion de l’île par la Grèce.

Les médias turcs avaient alors multiplié les conjectures : 

- L’Azerbaïdjan, et même le Pakistan, envisageraient de reconnaître la partie nord de Chypre sur le plan diplomatique. La Turquie a organisé à cette fin la visite d’une délégation parlementaire azerbaïdjanaise sur l’île.

- Une partie de Varosha, une zone militaire restreinte à la périphérie de Famagouste et l’une des destinations touristiques les plus prisées des célébrités dans les années 1970, allait être rendue à ses propriétaires.

- Une base militaire de drones allait être établie sur l’île.

- Une base navale serait érigée dans le nord de Famagouste.

- La découverte de gaz naturel dans la zone de compétence maritime revendiquée par le nord de Chypre.

En réalité, la «bonne nouvelle» n’était rien de tout cela. Erdogan a simplement annoncé qu’un nouveau palais présidentiel serait construit à Chypre. Peu de Chypriotes turcs considéreraient cela comme une nécessité urgente alors qu’ils souffrent de graves difficultés économiques, et que la reconnaissance internationale de leur État se fait attendre depuis plus de 35 ans.

La communauté internationale doit expliquer pourquoi les Turques et les Chypriotes grecs ne peuvent pas établir deux États différents à Chypre, alors que la République dominicaine et Haïti, malgré leurs affinités religieuses et linguistiques, ont pu le faire sur l’île caribéenne d’Hispaniola. 

Yasar Yakis

Les médias pro-gouvernementaux en Turquie présentent la construction de ce bâtiment comme une étape importante vers la solution à deux États que la Turquie et le gouvernement de la partie nord de Chypre tentent de promouvoir.

Une autre nouvelle importante annoncée par Erdogan est son intention de démilitariser 3,5% de Varosha, afin de permettre aux propriétaires grecs de revenir et de rouvrir leurs hôtels. «Une nouvelle ère va s’ouvrir à Varosha, et tout le monde pourra en profiter, dans la conformité du droit de propriété. À présent, un processus va être lancé dans l’intérêt de tous», affirme-t-il. Toutefois, il n’a pas spécifié sous quelle souveraineté la zone serait placée, un manque de précision inquiétant pour les Chypriotes grecs, et qui ont mobilisé la communauté internationale afin d’empêcher ce processus. Le département d’État américain a appelé les Chypriotes turcs et la Turquie « à revenir sur leur décision et sur toutes les mesures prises depuis octobre 2020». Le Royaume-Uni, la Russie et la France ont fait de même. Le principal argument des Chypriotes grecs est que, conformément aux résolutions 550 et 789 du Conseil de sécurité des Nations unies, cette zone devrait être placée sous administration onusienne.

Le plan de règlement de la question chypriote élaboré en 2004 par le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, allait exactement dans ce sens, mais il a été rejeté par les Chypriotes grecs lors d’un référendum en 2005.

Le point le plus important dans le programme d’Erdogan était son insistance sur une solution à deux États pour Chypre. 

« Une solution permanente et durable à la division du pays ne peut être trouvée sans accepter qu’il y a deux peuples et deux États à Chypre. La communauté internationale acceptera tôt ou tard cette réalité», estime-t-il.

Pendant des décennies, la Turquie a tout fait pour créer «une fédération bicommunautaire et bizonale» politiquement égale sur l’île, mais les Chypriotes grecs insistent pour que la partie chypriote turque soit subordonnée à la partie grecque. 

Donc force est pour le camp turc de conclure que la seule solution réaliste est celle à deux États.

La Turquie a subi trop de revers dans ses relations avec l’UE, et cette dernière a perdu son influence sur la question chypriote. Il ne sera donc pas facile de forcer Ankara à renégocier «la fédération bicommunautaire et bizonale».

La communauté internationale doit expliquer pourquoi les Turques et les Chypriotes grecs ne peuvent pas établir deux États différents à Chypre, alors que la République dominicaine et Haïti, malgré leurs affinités religieuses et linguistiques, ont pu le faire sur l’île caribéenne d’Hispaniola. 

La Turquie estime que la création de deux États indépendants à Chypre est tout à fait justifiée, car les Turcs et les Grecs sont deux peuples différents, ils parlent des langues différentes, ils adhèrent à des religions différentes, et ils vivraient ensemble de manière plus heureuse en tant que voisins amicaux.

 

Yasar Yakis est ancien ministre turc des Affaires étrangères, et membre fondateur du parti AK au pouvoir. Twitter: @yakis_yasar

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com